Bonheurs jazziques

Bonheurs jazziques

Une troisième édition de haut vol pour le Rendez-Vous de Charlie, ce « petit frère du Charlie Jazz Festival » imaginé par l’association Charlie Free, a enflammé le public de la salle Guy Obino de Vitrolles
Internationales, les deux journées de ce temps fort de l’automne convoquaient en quatre concerts un florilège d’exception. La première soirée était placée sous le signe de la trompette avec Hermon Mehari puis Erik Truffaz, la seconde se concentrait sur des hommages, que ce soit avec le tromboniste Daniel Zimmermann et sa réinterprétation de l’œuvre de Serge Gainsbourg ou Kenny Garrett et son dernier projet, Sounds from the Ancestors. 

Trompettes

La trompette d’Hermon Mehari ouvrait le bal, inspiré par l’Érythrée que son père a fuie en raison de la guerre. Ce pays, visité une seule fois par le jeune musicien, a nourri les huit titres de son album, Asmara (nom de sa capitale). Si les rythmes renvoient pour beaucoup à ceux des musiques traditionnelles du pays de la Corne d’Afrique, la trompette veloutée se livre à des improvisations qui nous ramènent à l’univers du jazz, en volutes somptueusement orchestrées auxquelles répondent les performances du piano de Peter Schlamb, ami de toujours (« depuis dix-sept ans, complice musical déjà à Kansas City ! », sourit le trompettiste). La fête s’invite avec Melsi et ses musiques de danse, la fluidité du jeu du pianiste qui mêle les techniques du jazz et du classique, rivalise avec celle du trompettiste, tandis que la contrebasse de Luca Fattorini s’évade en solos inoubliables que scande, imperturbable Gautier Garrigue à la batterie.

Instrumentiste au long cours, Erik Truffaz, cet incomparable explorateur, revisitait quelques thèmes du cinéma (concert que l’on retrouve dans son dix-septième album en deux volets, Rollin’ & Clap), débutant en solo avec une trompette en épure, par le motif de La Strada, vite rejoint sur scène par Alexis Anérilles (claviers), Valentin Liechti (batterie), Marcello Giuliani (basse) et Matthis Pascaud (guitare). Le trompettiste au chapeau (il est coiffé de son éternel feutre noir) accorde son souffle aérien à ses mémoires de pellicules, convie Fantômas, Les tontons flingueurs, Le Casse, Ascenseur pour l’échafaud, One Silver Dollar. La musique des films est déclinée avec un amour et une espièglerie d’enfant. On repasse par des sentiers connus, le compositeur reprend Yasmina (écrite en 2001). Complicités entre la puissance de la trompette, l’incandescence de la guitare, les inspirations brillantes de la batterie, les échappées pianistiques…

Erik Truffaz au festival Rendez-Vous de Charlie à Vitrolles, automne 2023

Erik Truffaz, Rendez-Vous de Charlie © DR

Et hommages

Le 4 novembre, L’Homme à tête de chou in Uruguay, idée originale du tromboniste Daniel Zimmermann, offrait une relecture éclectique et personnelle de pièces du compositeur et « génial tricheur » (ibid) que fut Gainsbourg. Le musicien allait dénicher des passages oubliés, extrait de Rock Around the bunker (1975), de Gainsbourg Percussions (1964, New York USA ou Machin choses), ou des passages « mythiques » comme La Ballade de Melody Nelson, accompagné de la batterie de Julien Charvet, la guitare de Pierre Durand et la basse de Jérôme Regard.

Enfin, le dernier compagnon de route de Miles Davis, le saxophoniste Kenny Garrett, accompagné de Rudy Bird (percussions), Keith Brown (piano), Ronald Bruner (batterie), Jeremiah Edwards (contrebasse) et Melvis Santa (percussions & chant), présentait son dernier album (paru en 2021), Sounds from the Ancestors. Le musicien s’affirme ici comme un maillon de la longue filiation aux ramifications multiples du jazz. Son premier titre, It’s time to come home, souligne cette appartenance avec un saxophone alto qui chaloupe sur des percussions (Rudy Bird) qui semblent nées au cœur d’une cérémonie de chants Yoruban. 

Kenny Garrett au festival Rendez-Vous de Charlie à Vitrolles, automne 2023

Kenny Garrett au festival Rendez-Vous de Charlie © DR

Les « ancêtres » seront tour à tour Stevie Wonder, Aretha Franklin, son mentor, le trompettiste Marcus Belgrave, les batteurs Art Blakey ou Tony Allen dont le beat afro inspira Fela Kuti, et bien sûr, Miles Davis dont il fut le compagnon de route durant des années. Jazz, R&B, gospel de la ville natale du saxophoniste, Detroit, se retrouvent avec une richesse pailletée dans ce concert où les strates historiques nourrissent puissamment une inspiration personnelle qui dispense un art de la joie communicatif.

Seule ombre au tableau, la programmation est masculine à quasi cent pour cent (la chanteuse du concert de Kenny Garrett, Melvis Santa, n’était pas prévue dans la programmation initiale et sa ligne mélodique calquée sur celle du clavier ou du saxophone n’entre pas dans la structure des pièces). Promis, Aurélien Pitavy, directeur artistique de Charlie Free, annonce de fantastiques pointures féminines à l’affiche de la programmation annuelle du Moulin à Jazz !

Salle Guy Obino, Vitrolles, les 3 & 4 novembre dans le cadre du Rendez-vous de Charlie.x

Lewis Caroll à l’heure du jazz !

Lewis Caroll à l’heure du jazz !

Ils nous en avaient donné un avant-goût lors du festival de Pâques à la fin de la représentation de Pierre et le loup au Jeu de Paume, les dix-sept musiciens de The Amazing Keystone Big Band revenaient au Grand Théâtre de Provence cette fois pour livrer à une salle comble leur version originale d’Alice au pays des Merveilles, composition qui permet d’arpenter les différents styles de jazz, chacun se trouvant associé à l’un des personnages du roman de Lewis Caroll adapté pour la scène par Sandra Nelson 

À la jubilation d’entendre une formation de big band, avec son armada de trompettes, trombones et saxophones sans compter batterie, piano, contrebasse et guitare, se greffait le plaisir des mots portés par une Alice (Yasmine Nadifi) qui ne supporte pas de s’ennuyer dans le jardin aux côtés d’une grande sœur qui lit un livre « sans images ni dialogues ». Heureusement, vient la distraire l’apparition d’un Lapin Blanc très pressé (Sébastien Denigues qui endossera tous les rôles ainsi que celui du récitant). Nul besoin de décor ni de déguisements complexes, une écharpe autour de la tête, une veste de costume et le Lapin est en piste, un nuage de fumée, et la chenille apparaît, un boa en plumes blanches et le sourire du Chat du Cheshire s’étire ; un effet de lumière, des bras qui battent le vide et la petite fille entame sa chute dans l’étrange terrier dans lequel elle s’est engagée… Bien sûr le récit n’est pas exhaustif, combien d’heures de spectacle pour toutes les péripéties di livre original Les Aventures d’Alice au pays des merveilles ! 

The Amazing Keystone Big Band au GTP, Aix-en-Provence

Keystone Big Band © Maxime de Bollivier

 Le propos n’est pas là, il s’agit de transcrire la magie, le goût de l’absurde qui prend sens, de se glisser dans les délices de l’imagination et surtout d’arpenter les territoires du jazz. La composition due à Bastien Ballaz, Jon Boutellier, Fred Nardin et Davis Enhco, mêle son inextinguible verve aux différentes étapes du récit, donnant à entendre un panorama de l’histoire du jazz, Duke Ellington accompagne le Lapin Blanc toujours en retard, James Brown et ses élans funky la chute d’Alice, un air de reggae pose son empreinte sur le jazz de la Chenille qui fume, le mambo suit les délires du Chapelier fou, la Reine de Cœur sera annoncée par une fanfare… Count Basie rejoindra Alice dans son retour à la réalité.

Le concert clairement dédié aux familles et aux enfants à partir de sept ans enthousiasme la salle. En cadeau pour les plus grands, l’ensemble offre un extrait de West Side Story, le Mambo, et le Troublant Boléro de Django Reinhardt avant de présenter avec humour les diverses familles d’instruments du big band tandis que les instrumentistes livrent des exemples de solos, échos des passages virtuoses offerts tout au long du spectacle. Un petit bijou coloré qui amorce la période des festivités de fin d’année.

Le spectacle Alice au pays des Merveilles a été joué les 20 et 21 octobre au Grand Théâtre de Provence, Aix-en-Provence

À Gréoux, le jazz coule de source !

À Gréoux, le jazz coule de source !

Le festival de jazz de Gréoux-les-Bains célèbre son neuvième anniversaire déclinant comme de coutume un florilège précieux de l’histoire du jazz

Les divers courants du jazz se rencontrent assurément à Gréoux-les-Bains, grâce à la pertinence des programmations de Patrick Bourcelot, directeur artistique du festival de jazz qui ouvre la rentrée des saisons nouvelles. Entre autres ensembles, on pouvait y entendre l’Orchestre Syncopatique venu de Montpellier.

Ce quintette aux instruments que ne renierait aucune fanfare (les interprètes sont familiers des déambulations de rues), trompette (Benjamin Faconnier), clarinette (Pierre Bayse), tuba (Olivier Bour), instaure de joyeux dialogues entre le piano de Joseph Vu Van et la batterie de Simon Laurent. Leurs costumes rouges et or dignes des parades les plus rutilantes s’accordaient à la fête sonore qui transporta l’auditoire du Centre de Congrès l’Etoile. L’ouverture par Make Me a Pallet on the Floor, ce standard du « blues/jazz/folk » de la fin du XIXème donnait le ton, suivi par un New Orleans qui mêlait rythmes cubains et jazzy pour un Mardi Gras déjanté le refrain « When I get in New Orleans » donne envie de se lever et de danser ! Les instrumentistes au fil des morceaux offrent des solos de rêve.

Orchestre Syncopathique à Gréoux-Les-Bains, festival de Jazz

L’Orchestre Syncopatique © Patrick Bourcelot

On se délecte de confitures aux mesures syncopées (on est « syncopatique » ou pas !) on flirte avec les doubles sens espiègles que le tuba souligne par des clausules ironiques, on se joue des codes, on relate des conversations mutines, on s’immisce dans le Carnaval, on reprend Iko Iko, cette chanson de la Nouvelle-Orléans qui raconte la confrontation des parades de deux tribus d’Indiens de Mardi Gras (la légende de l’enregistrement en 1965 par The Dixie Cups dit que la version fut lancée par les chanteuses a capella avec des percussions jouées sur les cendriers du studio). Bien sûr la bluette n’est jamais trop loin et You’re my sunshine répond à celle qui ne veut pas gâter son « gelly roll » tandis qu’un « sweet hart » tisse ses guimauves sirupeuses que contredisent des rythmes malicieusement opposés. Le kaléidoscope rondement mené de musiques d’une même époque en brosse le portrait, tout du moins son esprit. La New Orleans des débuts du XXème renaît dans l’effervescence musicale qui allait nourrir le foisonnement des formes du jazz.

Lady Day

C’est une Billie Holiday espiègle et heureuse que la chanteuse, Nicolle Rochelle (que l’on a déjà applaudie cette année au Blues Roots Festival aux côtés de Julien Brunetaud, décidément, elle sait s’adapter à tous les répertoires !), interpréta avec un sens du phrasé, des modulations, des accentuations, des expressions qui faisaient revivre la grande Lady Day (ainsi l’avait surnommée son ami, le saxophoniste Lester Young dont est repris The man I love) des débuts. « C’est une partie de son parcours que l’on occulte trop souvent, sourit l’artiste, et c’est à ces années lumineuses que nous avons voulu rendre hommage », même si déjà, prostitution, misère, drogue, alcool ont marqué tout le parcours d’Eleanora Harris Fagan, dite Billie Holiday. Se refusant de réduire le répertoire de cette voix majeure du jazz et du blues aux chansons désespérées ou engagées (comme le célèbre Strange Fruit qui appuie, en 1938, la lutte pour la mixité et l’égalité raciale), le superbe ensemble Hot Sugar Band et Nicolle Rochelle s’emparent, certes de chansons mélancoliques, (Yesterdays), mais aussi de ballades sentimentales qui célèbrent l’espoir, The way you look tonight, It’s like reaching the moon, déplorent les amours trahies, Moanin’Low, abordent parfois tout de même un bonheur amoureux, What a little moonlight can do… Séries de titres que l’on retrouve sur le très bel album Eleanora/ The early years of Billie Holiday que l’ensemble vient de sortir.

Nicolle Rochelle et le Hot Sugar Band à Gréoux-Les-Bains, festival de Jazz

Nicolle Rochelle et le Hot Sugar Band © Patrick Bourcelot

Le piano de Bastien Brison s’autorise de délicates échappées, tandis que la contrebasse de Julien Didier reprend parfois un archet classique avant de reprendre ses pizzicati rythmiques que prolonge la batterie de Jonathan Gomis aussi aux arrangements avec Jean-Philippe Scali (saxophone alto et clarinette) et Corentin Giniaux (clarinette, saxophone ténor) dont les improvisations magiques tissent avec la guitare de Vincent Simonelli la trame d’une subtile alchimie qui fait oublier l’heure. Les années trente livrent leurs chorus, se déclinent en solos inventifs et virtuoses, jonglent avec des airs empruntés à Ella Fitzgerald. Nicolle Rochelle chante, danse, solaire à l’image de ce qu’elle interprète. On en redemande !!!!

Concerts donnés au Centre de Congrès de l’Etoile de Gréoux-les-Bains lors du Festival de Jazz de Gréoux.

Nicolle Rochelle et le Hot Sugar Band à Gréoux-Les-Bains, festival de Jazz

Nicolle Rochelle © Patrick Bourcelot

Pas de blue devil au Blues Roots Festival!

Pas de blue devil au Blues Roots Festival!

C’est acté, décidément, le Blues Roots Festival de Meyreuil, en signant sa cinquième édition, inscrit les paysages de la Sainte-Victoire au cœur du monde foisonnant du blues, avec des programmations d’une tenue internationale 
Les trois soirées du festival s’articulaient chacune en deux temps, un artiste jeune déjà solidement confirmé puis une légende. 

Hymne à la liberté

Le guitariste allemand surdoué Henrik Freischalader (toujours coiffé de sa casquette Peaky Blinders) ouvrait le bal avec ses complices Moritz Fuhrhop (orgue Hammond), Armin Alic (basse), Hardy Fischötter (batterie).

« Le blues est pour lui plus que de la musique, c’est sa vie », souriait le directeur artistique André Carboulet,… « Dans mon nom, il y a « liberté », soulignait le musicien, « frei ». « How much money do you need to feel alive / How much money can you spend to help someone », interroge sa chanson The Question, extraite de son dernier disque, une ballade puissante aux accents groove de guitare heavy bluesy vibrants. La technique somptueuse du musicien se joue des sonorités rétro-70, se mariant avec une voix émouvante pour un blues intemporel qui ne néglige pas la joie de la danse même lorsqu’elle dit « my baby don’t love me no more ». Le blues magnifié par les duos époustouflants entre les instrumentistes, les solos emportés, préfigurent la légende en devenir !

Henrik Freischlader au Blues Roots Festival © François Colin

Henrik Freischlader © François Colin

Nikki et Jules, traduisez Nicolle Rochelle (chant, danse, « la » Joséphine Baker » de Jérôme Savary) et Julien Brunetaud (pianiste génial), apportaient leur verve et leur humour accompagnés de Sam Favreau (contrebasse), Cédrick Bec (batterie) et Jean-Baptiste Gaudray (guitare) le soir suivant. Leur propos abordait le « deuxième versant de la grande vague du blues : boogie-woogie, rhythm and blues… ».

On glisse vers la New Orleans, on tangue dans un « slow blues », on s’égare dans le funky de Mountain blues (composition de Nikki & Jules) avant le final qui propose Let’s make a better world (Earl King). La vivacité des utopies berce ces musiques généreuses.

Le lapstick de Laura Cox permettait un hommage à la musique country qui l’a nourrie avant de décliner un rock addictif qui flirte parfois avec les inflexions du groupe Popol Vuh (qui a tant composé pour le réalisateur Werner Herzog). Toute fine sur scène, la jeune guitariste, chanteuse et compositrice, impose une présence forte qui dynamise ses musiciens, Antonin Guérin (batterie), Adrien Kah (basse et chœur), Florian Robin (claviers). Se riant des diktats que l’apparence génère, avec ses airs d’enfant sage, elle décide de sa musique, le rock, utilisant souvent la technique du « chiken picking » de la country, pour un concert de haute volée.

 

 

Le temps des légendes

Nikki & Jules au Blues Roots Festival © François Colin

Nikki & Jules  © François Colin

Laura Cox au Blues Roots Festival © François Colin

Laura Cox  © François Colin

Le pionnier de l’harmonica en France, Jean-Jacques Milteau  (JJ !) s’amuse aux traversées transatlantiques des musiques, vous donne rendez-vous à Memphis, allume la radio sur Elvis Presley boulevard, emprunte la route 61, direction le Mississipi…

Et comme « l’ensemble est supérieur aux parties », il réunit autour de lui, outre ses instrumentistes, Jérémy Tepper (guitare), Gilles Michel (basse), Eric Lafont’ (batterie), deux chanteurs aux voix opposées, l’un ancré dans la terre et les rocailles, l’autre tutoyant les nuages, Michael Robinson et Ron Smyth qui offrirent des duos sublimes où chaque timbre enrichissait l’autre.

Le blues retrouve ses racines gospel, arpente les titres des albums. Will you come with me? « Oui ! » entend-on crier dans l’assistance.

A bluesman came to town, le guitariste et chanteur Tommy Castro annonçait :“It’s party time tonight” et enchaînait ses tubes, The pink lady, That girl, Blues prisoner, avec un sens très théâtral en une plongée vertigineuse dans le grand bleu du blues.

JJ Milteau Sextet au Blues Roots Festival © François Colin

JJ Milteau Sextet  © François Colin

Tommy Castro au Blues Roots Festival © François Colin

Tommy Castro  © François Colin

Le festival se refermait en pyrotechnie avec Sugaray Rayford, géant de la scène, endroit où il se sent chez lui, présent dès le changement de plateau, blaguant avec les techniciens et ses musiciens, s’adressant au public comme à des amis, « les gouvernements sont fous, tous, mais les peuples sont beaux, et ce sont eux que j’aime ».

La chaleur humaine est aussi une histoire de blues avec un orchestre éblouissant, (« ils peuvent jouer n’importe quoi » affirme Sugaray, exemples à l’appui), guitare stratosphérique de Daniel Avila, trompette (Julian Davis), sax (Derrick Martin), batterie (Ramon Michel), basse (Allen Markel) imperturbables malgré les frasques espiègles de Sugaray dont le chant conte, s’indigne, prend des allures de prédication des églises américaines, confie.

On n’oubliera pas de sitôt la reprise par Robert Drake Shining aux claviers et au chant du célébrissime Comfortably Numb (The Wall, Pink Floyd), ni de l’intervention impromptue en « guest star » de l’épouse du bassiste, feu follet à la voix bigrement groovy, ni le dernier chant, a cappella, de Sugaray, assis sur une caisse, face au public, un What a wonderful world (Louis Armstrong) qui nous rappelle combien l’art est capable de rapprocher les mondes et de lutter pour la paix.

Blues Roots Festival du 7 au 9 septembre, domaine de Valbrillant, Meyreuil

Pour expliciter le titre: Le terme blues vient de l’abréviation de « Blue devil », expression anglaise pour « idées noires »

Sugaray Rayford au Blues Roots Festival © François Colin

Sugaray Rayford  © François Colin

Le festival d’art lyrique d’Aix s’enjazze

Le festival d’art lyrique d’Aix s’enjazze

Le Festival d’Aix ouvre de larges pages au jazz et aux jeunes interprètes dont l’originalité, la passion, l’intelligence musicale dessinent des concerts d’anthologie dans la cour si sage de l’Hôtel Maynier d’Oppède.

Le jazz, un art engagé

Femme instrumentiste, dans le domaine du jazz, ce n’est pas encore totalement une évidence, et saxophoniste encore moins, si ce n’est dans les dernières années où enfin, elles s’imposent dans ce monde assez fermé malgré ses aspirations de liberté musicale. Lakecia Benjamin, lauréate du Deutscher Jazzpreis Award du meilleur instrument à vent international, arrivait en star sur la scène aixoise, vêtue d’or et d’argent, soulignant avec humour son statut. « We celebrate life tonight ! » s’exclame-t-elle, c’est comme pour un «amazing grace ». 

La géniale saxophoniste, entourée d’Ivan Taylor, contrebasse, Zaccai Curtis, piano et E.J. Strickland, batterie, dévoile les morceaux de son tout nouveau CD, Phoenix, qui célèbre la vie autant parce que tout s’est arrêté durant la pandémie qu’elle est une miraculée d’un accident de la route. Les grands thèmes des musiques de John Coltrane et surtout d’Alice Coltrane deviennent l’étoffe de compositions veloutées sur lesquelles un piano limpide vient rêver, souligné par la contrebasse et les inventions percussives de la batterie. Les pièces se nourrissent aussi des univers plus contemporains, passant de leur ancrage dans le blues à des envolées de free jazz, flirtent avec le slam, revisitent la ballade, font un clin d’œil à l’œuvre de Basquiat, replongent dans la profondeur du gospel, lient intensément création et discours engagé pour la défense de la paix, des droits humains, parodient au passage certains rythmes de marche militaire ou reprennent le poème de la poétesse et militante féminise Sonia Sanchez, Peace is a Haiku Song qui voit les mains de toutes les couleurs battre des ailes comme des papillons. Le jeu précis et inspiré de la saxophoniste semble s’abstraire des limites physiques. La main gauche virevolte sur les clapets puis s’en détache à la fin des motifs comme pour laisser les sons s’envoler, libres dans la vibration de leurs harmoniques.

Lakecia Benjamin au Festival d'Aix-en-Provence

Lakecia Benjamin, Festival d’Aix © Vincent Beaume

Un trio à cinq voix

Le Trio Noé Clerc, Noé Clerc, accordéon, Clément Daltosso, contrebasse, Elie Martin-Charrière, batterie, se présentait en quintet sous les grands platanes de Maynier d’Oppède avec deux nouveaux complices, Robinson Khoury, trombone et Minino Garay, percussions. 

Créatifs et espiègles, les musiciens dessinent leur Secret Place (leur dernier album), avec une palette qui puise dans de multiples univers, blues, jazz, musiques contemporaines et traditionnelles, le tout avec une finesse d’orchestration rare. Les Premières pluies, « de la goutte d’eau à l’averse puis à la tempête », sourit Noé Clerc, précèdent le tableau coloré et impressionniste de Blue mountain, dont les couleurs varient tout au long de la journée, s’inspirant au passage du blues, d’une note jazzée et de lointains airs balkaniques. Se greffent des passages dus aux autres musiciens : un mélange époustouflant de jazz, tango, et poèmes déclamés en castillan par Minino Garay (extraits de son dernier album, Speaking Tango), éblouissant Distancing from reality de R. Khoury. On découvre l’accordina dans la chanson en occitan Canson, on valse-musette avec La Mystérieuse (Jo Privat), on part en Arménie grâce à Arapkir bar… Voyages oniriques comme seule la musique sait les créer.

Noé Clerc Trio au Festival d'Aix

Noé Clerc Trio, Festival d’Aix © Vincent Beaume 

Noé Clerc Trio au Festival d'Aix

Noé Clerc Trio Festival d’Aix © Vincent Beaume

Concerts donnés les 11 et 15 juillet à l’Hôtel Maynier d’Oppède dans le cadre du Festival international d’Art lyrique d’Aix-en-Provence  

Du classique, du jazz, du stambeli

Du classique, du jazz, du stambeli

Concert jazzique de haute volée grâce au Trio Wajdi Riahi dans la cour de l’Hôtel Maynier d’Oppède !

Accompagné de Basile Rahola (contrebasse) et Pierre Hurty (batterie), amis de longue date, le pianiste Wajdi Riahidessinait les orbes d’une musique délicatement ciselée, reprenant des pièces de son dernier album, Mhamdeya, dont le morceau titre convie à une évocation nostalgique et un tantinet espiègle de la ville natale du compositeur, et livrant un avant-goût de son prochain opus (l’enregistrement va débuter dans les prochains jours).

Le lyrisme de certaines pièces n’est pas sans rappeler celui d’un Keith Jarret ou d’un Bill Evans, le piano déploie ses orbes, le jeu superbement articulé médite ici, s’emporte là, revient sur soi, s’évade, volutes oniriques… La fusion entre les instruments, leur complicité, permet une osmose rare, où arrangements et improvisations jubilent, vont chercher l’autre, le taquinent, l’appellent, se confient, voyage subtil entre l’intime, les réminiscences et une recherche musicale qui ne cesse de s’affiner et d’explorer de nouveaux territoires.

 Avec une pointe d’humour le pianiste présente Inel Blues, dont le titre est dû à une faute de frappe : ce devait être Intel Blues, apocope d’Intellectuel Blues, « car ce n’est pas vraiment du blues », puis les musiciens ont trouvé qu’« Inel Blues sonnait bien et on l’a gardé »… Une anecdote fournit le thème d’un autre morceau, Back to the little room. « Je prenais des cours de piano classique au conservatoire de Tunis, explique Wajdi Riahi, ma prof était merveilleuse. Durant quinze ans j’ai tenté de la revoir. Enfin, un jour, dans sa salle de cours, que le conservatoire nommait « la petite chambre », je l’ai retrouvée, le bonheur de ces retrouvailles avec tous ces souvenirs a fait naître ce morceau »…

Concert Wajdi Riahi Trio à l’Hôtel Maynier d’Oppède dans le cadre d'Aix en Juin

Concert Wajdi Riahi Trio, Festival d’Aix-en-Provence © Festival d’Aix-en-Provence

La contrebasse épouse la ligne mélodique, puis dessine ses contrechants, la batterie devient sans baguettes lieu de percussions traditionnelles. Si les passages du premier album citent seulement en échos émus les phrasés de mélodies traditionnelles, et restent complètement dans un esprit jazzique, les pièces du futur opus sont imprégnées du stambeli, le gnawa du Maroc, le jazz se métisse alors en une « road to Stambeli » sur laquelle la voix du pianiste murmure une nouvelle harmonie. Douceur festive qui mène le public à chanter en chœur… La puissance de certaines voix de la salle donna une dimension inattendue au bis!

Le 17 juin, Hôtel Maynier d’Oppède, dans le cadre d’Aix en Juin