L’esprit de Noël

L’esprit de Noël

Parmi la foule de concerts proposés par la Tournée des chants de Noël du Département, le « Noël Corse » tient toujours une place particulière
Soyons honnêtes, il y a peu de chants de Noël corses vraiment issus de la tradition. Ne fait pas illusion Notte Santa (Sainte Nuit), traduite internationalement mais due au prêtre allemand Joseph Mohr (1792-1848) ? Ne chipotons pas, le choix du groupe I Messageri était plus qu’avisé : les voix de Jean-Michel et Fabrice Andreani (fondateurs de l’ensemble) superbement accompagnées par Jean-Paul Colombani (guitare), Ghjasepu Mambrini (guitare baroque, mandoline, guitare) et Michel Tomei (flutes, guitare, claviers), apportaient un velouté lumineux aux chansons interprétées.

Les morceaux, le plus souvent issus du répertoire du groupe, mais piochés aussi parfois dans l’énorme corpus des chansons corses, se liaient au thème de la soirée par leur volonté d’universalité. « Il est dommage de parler de partage et de solidarité seulement en période de Noël » soulignait Fabrice Andreani après avoir entonné l’une des chansons du groupe, Pè fà la campà (« Pour qu’elle vive » : « Dì mi la torna sta sera / È ch’ella pò esse vera / A meia sola a verità / Ne vogliu fà umanità » dis-le moi ce soir encore/ Que l’on peut être d’accord / Avec comme seule vérité/ l’amour de l’humanité). On fait un détour par La Prière de Brassens, traduite en corse, hommage est rendu au poète majeur, grande figure du Riacquistu, militant culturel passionné et pédagogue de l’enseignement de la langue corse, Ghjuvan’Teramu Rocchi.

I Messageri @ DR

I Messageri @ D.R.

Une polyphonie et quelques chants traditionnels s’ajoutent, pour lesquels le chanteur retrouve avec justesse le son un peu nasillard des « anciens ». Les parties instrumentales sont remarquablement menées, et flirtent du côté des musiques du monde et de la pop avec un égal bonheur. Un régal ovationné par les chanceux qui sont arrivés avant l’heure (chaque concert a refusé du monde).

Vu le15 décembre, Maison du Peuple, Gardanne, dans le cadre de la Tournée des chants de Noël

Le Cantique des Cantiques, version sanscrite

Le Cantique des Cantiques, version sanscrite

Le festival Mehfil, organisé par Taal Tarang (Indian Arts Academy) depuis 2016 emprunte son nom aux lieux palatiaux dédiés à la musique, la danse et la poésie. Ces trois arts étaient intimement mêlés lors de la soirée « Gīta-Govinda, La poésie en danse »

Le 6mic était aux couleurs de l’Inde ce soir-là pour une première mondiale à l’occasion de la traduction française versifiée inédite par Dominique Wohlschlag aux éditions Albin Michel du Gīta-Govinda, poème du XIIème siècle sous-titré Les chants d’amour de Rādhā et Krishna. Comme dans le Cantique des Cantiques que le Roi Salomon composa pour la merveilleuse Reine de Saba, l’amour physique est une parabole de l’amour divin et de l’élévation de l’âme, la matière symbolise l’aspiration à la transcendance. Le Gīta-Govinda est considéré comme « le chant du cygne de la poésie classique sanscrite » unissant poésie, sentiment amoureux et dimension spirituelle. Nombreuses en sont les interprétations dansées et jouées encore de nos jours. 
Kathak de légende

Pour la première fois la représentation de cette poésie était donnée en danse Kathak, chorégraphiée et dansée par Pandit Ashimbandhu Bhattacharya venu spécialement du Bengale pour l’occasion aux côtés de Maitryee Mahatma, née à Calcutta et initiée à la danse dès l’âge de dix ans et qui, après une thèse de doctorat en littérature à Paris, enseigne l’art de la danse indienne à Marseille. Les deux danseurs endossaient avec une fine élégance les rôles du huitième avatar de Vishnou, Krishna, et de la « gopi » (une vachère) Rādhā, la préférée de Krishna avant son épouse principale Rukminī. Les autres « gopis » étaient incarnées par les espiègles Audray Delcamp et Pallovee Seeromben. Les rapports de Krishna avec les « gopis » ne sont guère exclusifs et le dieu volage fait souffrir la belle Rādhā, même si la symbolique du principe divin auquel toutes les âmes individuelles cherchent à s’unir pour obtenir la libération peut être invoquée…

Gīta-Govinda, La poésie en danse © Véronique Marcel

Gīta-Govinda, La poésie en danse © Véronique Marcel

Quoi qu’il en soit, la mise en scène toute simple des tableautins qui s’enchaînent, précédés de la lecture en voix off des étapes de la narration, permettent au néophyte de comprendre la trame et les enjeux : il l’aime, elle l’aime, elle le perd, le cherche, l’attend, le retrouve enfin, le boude puis se réconcilie… L’art transcende le propos qui pourrait sembler mièvre. On est séduits par les évolutions des danseuses, la précision de leurs gestes, positions des mains, des doigts, rythmes des pieds, clochettes des chevilles, sur les enregistrements de musiques traditionnelles jouées sur sarod (sorte de luth hybride apparu au XIXème siècle au nord de l’Inde), violon, tabla. Voyage initiatique que signe son auteur dans les dernières strophes du texte : « Il connaît les secrets obscurs de la musique, / Médite sur Vishnu sans interruption. / De l’art d’aimer il sait les implications / Et passe pour un maître épris de rhétorique. / Telles sont les vertus de Srî Jayadeva, / Le poète érudit protégé de Krishna »….

9 décembre, 6mic, Aix-en-Provence

Gīta-Govinda, La poésie en danse © Véronique Marcel

Gīta-Govinda, La poésie en danse © Véronique Marcel

Creuset musical

Creuset musical

Trois premières mondiales par l’Ensemble Télémaque dans le cadre d’October Lab nous livrent une approche nouvelle de la composition contemporaine et l’ancrant profondément au cœur de l’instrumentarium et des thèmes traditionnels

La question était posée : « quels liens entretiennent les musiques traditionnelles et la création contemporaine ? ». Raoul Lay, compositeur, chef d’orchestre, directeur fondateur de l’Ensemble Télémaque et instigateur d’October Lab, cette fantastique plateforme internationale de création musicale destinée à la production et la diffusion d’œuvres qui s’affranchissent des frontières, expliquait la naissance de ce questionnement (qui entraîne ceux du rapport entre improvisation et écriture et de la transmission d’un répertoire réinventé), par sa rencontre avec le sheng, cet orgue à bouche chinois datant de 1100 av. J.C. qui est enseigné dans les conservatoires et joué à « égalité » avec les instruments de l’orchestre. Les instruments traditionnels de la Méditerranée (« c’est notre base », sourit le musicien) ne sont pas traités ainsi, d’où le pari fou de proposer à trois compositeurs du bassin méditerranéen, issus de la Corse, la Sardaigne et Malte, d’exercer leur art en intégrant à de nouvelles œuvres sous la forme concertante, des instruments vecteurs des musiques populaires et traditionnelles, en l’occurrence, mandoline et launeddas (flûte sarde), joués par deux immenses solistes, Vincent Beer-Demander (mandoliniste) et Michele Deiana (launeddas). 

Théâtralité joyeuse

Les lumières ne s’éteignent pas en début de concert. Les chaises des musiciens de l’Ensemble Télémaque restent vides, seul, attend le mandoliniste, Vincent Beer-Demander. Le chef d’orchestre, Raoul Lay, se retourne brusquement vers le public, comme s’il allait le diriger, inversant les rôles. Un geste, précis, dessine l’amorce d’une rythmique. Pas cadencés, grelots et tambourins se font entendre ; deux percussionnistes, Christian Bini et Federico Pintus (le premier, membre de l’Ensemble Télémaque, le second élève du conservatoire de Sassari) descendent le long des gradins et poursuivent leur danse à leur place d’orchestre, bientôt les suivent sur le même pas et les mêmes grelots, les autres instrumentistes, Charlotte Campana (flûte), Linda Amrani (clarinette), Gérard Occello (trompette), Jean-Christophe Selmi (violon), Pascale Guerin (alto) et Jean-Florent Gabriel (violoncelle). 

October Lab, Ensemble Télémaque © Pierre Gondard

October Lab, Ensemble Télémaque © Pierre Gondard

8 : Il ballo delle occiate de Maria Vincenza Cabizza (Sardaigne), écrit en mémoire du premier baiser échangé par ses grands-parents sur cette danse traditionnelles, séduit par sa vivacité, ses élans, sa joie de vivre communicative, sa forme proche du poème symphonique qui intègre launeddas et mandoline en un double concerto au tissage lumineux.
Nuraghe de Jérôme Casalonga (Corse), en référence à ces tours énigmatiques éponymes de la culture nuragique de la Sardaigne, s’appuyait sur le bourdon de la launeddas pour brosser de vastes paysages aux lignes en épure d’un intense lyrisme. L’auditeur alors voyage, redécouvre le relief accidenté des montagnes, plonge vers la mer, se love dans la quiétude d’un village dont les cloches résonnent au loin.

Sans doute la plus « continentale » des propositions, Fighting for hope de Karl Fiorini, inspiré par le livre de Petra Kelly, militante du mouvement pour la paix et l’une des fondatrices du parti des Verts allemand, s’ombrait d’accents mahlériens en une composition travaillant la masse instrumentale en une sculpture somptueuse habitée par une mandoline aux accents qui vont jusqu’aux sons saturés, puis retrouvent une palette de couleurs aux nuances moirées. La harpe de Guilia Trabacchi (conservatoire de Bolzano) offrait de subtils contrepoints à un ensemble qui trouvait dans sa matière même de sublimes envols.

October Lab, Ensemble Télémaque © Pierre Gondard

October Lab, Ensemble Télémaque © Pierre Gondard

En conclusion les Folks songs de Luciano Berio, interprétés par la pétillante soprano, Laura Delogu (conservatoire de Cagliari), abolissaient les frontières entre les genres musicaux, unissant les pièces traditionnelles et l’écriture contemporaine avec finesse et intelligence. Une leçon d’écriture ! Sans aucun doute, une nouvelle forme de composition est en train de naître ici, réconciliant tradition et contemporanéité en des œuvres fascinantes.

Vu le 21 octobre, Idééthèque, Pennes-Mirabeau

 

Le Brésil s’invite à Correns

Le Brésil s’invite à Correns

Le Chantier, ce laboratoire de création musicale atypique qui fait vivre les musiques du monde, fusionnant mémoire et modernité dans le creuset d’une inspiration toujours vivante, s’octroyait une ouverture de saison aux couleurs du Brésil

Après la présentation de la saison nouvelle qui compte cinq créations, des actions culturelles, des ateliers, un portail pédagogique des musiques du monde, le Chœur de la Provence Verte (atelier collectif ouvert aux amateurs, mêlant travail corporel, vocal, scénique et percussif) ouvrait le bal sous la houlette dynamique de Sylvia Auclair (à la baguette depuis janvier dernier).

« Fais-moi un manteau de mots, j’ai froid » déclare la première chanson issue du répertoire de Michèle Bernard selon qui « l’art doit faire partie des choses qui rendent à l’individu sa dignité et son envie de vivre ». Ce pourrait être aussi l’un des adages du Chantier. On partait ensuite autour du monde par le biais d’airs populaires comme Shosholoza, chanson de travail d’Afrique australe reprise par Mandela et ses compagnons contre l’apartheid. La chanteuse, s’emparant du surdo (instrument percussif membranophone), revenait ensuite à la forme d’un quintet, Sambadaora, groupe de musiciens passionnés, Wallace Negão (cavaquinho), Wim Welker (guitare à sept cordes), Olivier Boyer (pandeiro, percussions), Raphaël Illes (flûte, percussions). La virtuosité des instrumentistes permettait de rendre avec un naturel confondant la joie de la samba même lorsque les paroles sont tristes.

Sambadaora à Correns © Zoé Lemonnier

Sambadaora à Correns © Zoé Lemonnier

Toute une vie se déroule aux rythmes d’une infinie variété, depuis les mélodies des années trente à celles d’aujourd’hui, dans la plus pure tradition des rodas, ces moments festifs qui rassemblent autour d’une table des musiciens qui jouent tandis qu’un public de tout âge (petits et grands) danse autour. Chacun reprend les refrains en chœur, non, la samba n’est pas près de mourir, l’esprit du collectif non plus !

Soirée du 29 septembre, la Fraternelle, Correns

Photographies  Zoé Lemonnnier

Du cri des mouettes et de la joie du Choro

Du cri des mouettes et de la joie du Choro

Soirée mémorable de clôture pour le Festival Durance Luberon ! Après s’être attaché à des formes musicales variées, jazz, classique, lyrique, arpenté les lieux patrimoniaux du Luberon, fait « salle comble » et refusé du monde par trois fois tant la formule est plébiscitée par les publics et les artistes (pour la plupart de la région, rareté militante dans le domaine de la culture aujourd’hui !).
Le pianiste et arrangeur Vladik Polionov, directeur artistique du festival, sait avec intelligence réduire les plus grands opéras et format de poche. « Hier, nous avons eu une Carmen d’anthologie, confiait l’une des organisatrices bénévoles, avec Julie Robard-Gendre dans le rôle-titre ! ». Luc Avrial, président du festival, sourit : « nous ne souhaitons pas changer. Que le public soit au rendez-vous-même en excès, nous réjouit, mais nous ne voulons pas grossir, juste rester dans des proportions humaines conviviales, avec le marchand de glaces du coin, (vous avez goûté ? c’est excellent !), les produits locaux, les petites places emplies de charme comme celle où nous nous trouvons ce soir, à Grandbois. La proximité entre les artistes et le public, l’implication fidèle des bénévoles (nous le sommes tous à part les techniciens), la diversité de ce qui est proposé à des tarifs plus qu’acceptables, ne serait plus possible et un autre esprit, nous n’en voulons pas ! ».

Les chansons « brasilofrançaises » d’Aurélie et Verioca étaient conviées le 19 août sur la place aux hautes murailles moyenâgeuses de Grandbois. « On leur raconte ? » Paris, le Blue Note, les artistes du Brésil, la fascination pour ces musiques aux thèmes et aux rythmes si riches prennent vie dans les accords de la guitare de Verioca (Verioca Leherm). « Elle vient d’où la chanson ? / De la guitare/ du bois / de la forêt… » un oiseau passe, Vérioca imite tout, les mouettes (ou un chat qui miaule ?), les oiseaux, le vent dans les branches, les sons d’un carnaval survolté, le coassement d’une grenouille, les instruments de cuisine (oui entre la musique et la cuisine, se tissent de curieuses similitudes de termes, « batterie », « mandoline », « piano »…) puis se substitue aux percussions avec des démonstrations éblouissantes de beat box. On rit aux « rythmes de Lacan » et de la « psychanalyse française », on voit les chèvres de l’expression (« devenir chèvre ») devenir des vaches, « vaca ! ».

On s’embarque pour traverser la mer, les flots se déversent sur la place, les rêves relient les êtres, les échos des musiques de Baden Powell ou Bill Evans croisent ceux de Michel Legrand, avant de fusionner dans les compositions de la guitariste virtuose sur lesquelles l’interprète a posé ses mots. « Je ne me considère pas comme poète, sourit-elle après le spectacle, j’écris sur les musiques que Verioca m’envoie ». Il est question d’amours, de la planète, d’un tableau de Michel Tyszblat, père d’Aurélie (disparu en 2013), de contes de l’enfance (« Accrochée aux pages, je déambulais »), de choro enfin, toujours !

Aurélie et Verioca au Festival Durance Luberon

Aurélie et Verioca © SOÏME Rémy

Les voix des deux musiciennes se complètent finement, leurs timbres différents s’accordent avec une irrésistible poésie.  Abandonnant les micros les deux complices en dernier rappel entonnent avec le public le refrain « indispensable et universel au Brésil », Lala Laïa pour affirmer Viver é ser feliz !( « vivre c’est être heureux »). Félicité partagée en cette conclusion du festival. On se dit « à l’an que ven » : la prochaine édition débutera le 3 août 2024.

Le concert de clôture du festival Durance Luberon a été donné le 19 août, place du village à Grandbois

Jouez jeunesse!

Jouez jeunesse!

Quelle émotion au GTP dimanche soir ! L’Orchestre des Jeunes de la Méditerranée (OJM) offrait toute la diversité de son talent sous la houlette attentive et fougueuse de Duncan Ward

Moment attendu du Festival International d’art lyrique d’Aix-en-Provence, le concert de l’OJM, cette formation qui réunit de jeunes musiciens talentueux de la Région Sud Provence-Alpes-Côte d’Azur et du bassin méditerranéen, offrait un programme qui permettait d’appréhender la richesse de la palette de cet ensemble. Le froissement d’un bâton de pluie ouvrait la partition de Betsy Jolas, A Little Summer Suite, en six brefs mouvements enchaînés tels une série de tableautins ciselés. Les étapes du voyage proposé par Escales de Jacques Ibert donnaient les couleurs de ce concert, passant de Rome à Tunis et Valencia. Les écheveaux des motifs servis par un orchestre aux pupitres parfaitement équilibrés, tissèrent une fresque somptueuse, pailletée de nuances avant la plongée harmonique de la Création de l’OJM – Medinea, par cinq musiciens compositeurs (sous le regard bienveillant de Fabrizio Cassol, directeur musical de la session) dont les voix et les instruments livraient des airs soutenus ostinato par l’orchestre en une approche musicale sans partition.

Orchestre des Jeunes de la Méditerranée - - Festival d'Aix-en-Provence © Vincent Beaume.13

Orchestre des Jeunes de la Méditerranée / Festival d’Aix-en-Provence © Vincent Beaume.

Orchestre des Jeunes de la Méditerranée - - Festival d'Aix-en-Provence © Vincent Beaume.13

Camille Thomas / Festival d’Aix-en-Provence © Vincent Beaume.

Instants uniques et bouleve rsants que prolongea la superbe prestation de la violoncelliste soliste Camille Thomas qui offrit un bis en hommage à l’Ukraine et pour la paix, dans le Concerto pour violoncelle n° 1 en la mineur de Saint-Saëns après les Variations on an Egyptian Folktune de Gamal Abdel-Rahim, une fantastique rêverie filmique digne d’un péplum en technicolor. La Valse de Maurice Ravel acheva de subjuguer un public debout.

Concert donné le  23 juillet au GTP dans le cadre du Festival international d’art lyrique d’Aix