Programmé dans la cour de l’Hôtel Maynier d’Oppède, le concert de Jawa Manla s’est déplacé dans l’amphithéâtre de ce haut lieu aixois
Petite pluie sur Aix, mais hors de question d’annuler le concert de la chanteuse et joueuse de oud, Jawa Manla. La jeune artiste, qui fut aussi présente lors de la soirée des 40 ans de l’OJM le 12 juillet 2024, réunissait autour d’elle ses complices, pour la plupart issus de l’Orchestre des Jeunes de la Méditerranée, sur ses compositions : Elif Canfezâ au kemenche (nommé parfois lyre de la Mer Noire à trois cordes frottées par un archet), Adèle Viret au violoncelle que l’on a déjà entendue au festival l’an dernier avec le groupe qu’elle a fondé, Mosaïc, Pierre Hurty à la batterie, Sinan Arat à la flûte et au ney, enfin Munzer Al Kaddour, récitant. Le programme de la soirée reprenait les morceaux de l’album Distant Roots, malheureusement pas disponible physiquement, mais accessible sur diverses plateformes du net.
Le fil des textes se fonde sur deux grands thèmes : l’amour de la musique, la joie viscérale qu’elle apporte et l’exil doublé de l’impossibilité du retour vers la terre natale, la Syrie. La jeune artiste évoque dans Layla l’enthousiasme éprouvé lorsqu’elle était enfant au moment d’aller suivre sa leçon de oud à l’école de musique, dansante et jubilatoire énergie. Une chanson traditionnelle syrienne vient s’insérer dans ce parcours, Bali Ma’ak, un air qui a accompagné l’adolescence de la musicienne et qui raconte la perte de l’être aimé, blessure sans espoir, où l’écho de la voix disparue semble se confondre avec les contrepoints du violoncelle. La voix de Jawa Manla, subtilement modulée, profonde et expressive, sait épouser l’intériorité des poèmes avec une sobre élégance. On ressent dans Dafa (qui signifie chaleur et convivialité en arabe) la distance si courte, une journée de voiture, entre Marseille et la Syrie et pourtant infranchissable.
À la nostalgie liée au déracinement se lie la récitation du poème de Nizar Kabbani avec ses odeurs de café, de jasmin et de cardamone. Les lettres des amours interdites du poète Ibn Zeydoun (1003-1071) et de sa compagne poétesse, Wallada bint al-Mustakfi, la Sappho arabe (994-1091) viennent raconter les similitudes entre la mosquée-cathédrale de Cordoue et la mosquée de Damas et les inatteignables partages… La virtuosité de l’oudiste se joue des rythmes, mêlant ceux des musiques arabes aux balkaniques à sept temps ou aux quatre temps de la musique classique européenne. La fusion entre les sonorités d’instruments d’origines différentes, la variété des styles, la profondeur du propos, la justesse de l’abord d’une musique à la fois savante et populaire séduisent, lumineuses et sensibles.
Le 22 juin, Hôtel Maynier d’Oppède, Aix-en-Provence, dans le cadre d’Aix en juin
Une mosaïque d’émotions
Une nappe sonore aux cordes, respiration primordiale avant l’éclosion d’une mélodie, d’un rythme, frémissement d’un accordéon, et la flûte kaval-oiseau s’élance, rejointe par les percussions multiples d’une batterie traditionnelle et d’une darbouka… Avec le sextet Mosaïc, la cour de l’Hôtel Maynier d’Oppède entre dans un songe éveillé, chatoyant de couleurs multiples. Cet ensemble de six jeunes musiciens que le Festival d’art Lyrique d’Aix a fait se rencontrer grâce à Médinéa, s’est définitivement soudé durant le confinement, sourit la violoncelliste Adèle Viret, à l’origine du groupe. « C’était un projet un peu fou de réunir six artistes par vidéo lorsqu’ils habitaient dans quatre pays différents. Cela a donné un long parcours qui a abouti à des résidences à Lisbonne, Hammamet, Marseille, sous le regard bienveillant de Fabrizio Cassol. Notre répertoire est basé sur un mode de composition collective : tout est sorti de nos rencontres ». Cette complicité est tangible sur le plateau, les regards, les comptes des temps, les enchaînements, les nuances, les débuts et fins de passages solistes (plus ébouriffants les uns que les autres). Le jazz se mêle aux rythmes syncopés de l’Orient tandis qu’un parfum venu des Balkans distille ses orbes sur les élans chambristes « classiques ». Aucune voix ne se dédie de ses origines, mais écoute, fusionne, va vers… Les passages entre les univers s’effectuent avec subtilité, le violoncelle creuse les sonorités, la contrebasse (Zé Almeida) reprend les motos ostinato avant de se livrer à une improvisation jazzée, l’accordéon ( Noé Clerc) s’immisce dans les diverses formes en un souffle qui se démultiplie, la flûte kaval, virtuose (Georgi Dobrev), redessine les montagnes et emprunte leurs chants aux oiseaux, les percussions (Hamdi Jammoussi) jouent entre l’Atlas et les volets bleus de Sidi Bou Saïd, tandis que la batterie (Diogo Alexandre) épouse tous les tempi avec une redoutable maestria. L’ensemble est hypnotique, bouleversant d’humanité et d’humour.
6 juillet 2023, Hôtel Maynier d’Oppède, Aix-en-Provence, (Festival d’Aix)