
Comme un roman
Curieusement très peu joué aujourd’hui, le seul opéra de Gustave Charpentier, Louise, est joué au Festival d’Aix dans l’écrin de la grande salle de l’archevêché dans une mise en scène de Christof Loy. Ce dernier en offre une lecture qui met en abîme le propos de ce que son compositeur qualifiait de « roman musical ».
Cet opéra en quatre actes et cinq tableaux apparaît dans l’histoire comme le premier opéra du XXème siècle, créé le 2 février 1900 à la salle Favart dans le cadre de l’Exposition universelle qui se voulut « bilan d’un siècle ».
La volonté de Gustave Charpentier d’ancrer puissamment le récit dans la réalité populaire vient sans doute des origines de ce dernier. « Fils de boulanger, né du peuple, non seulement il ne se cacha point (de ses origines), mais voulut faire une musique pour le peuple, et sur des sujets populaires, Louise est, on le sait, l’histoire d’une ouvrière. (….) il eut autant que sa musique, le souci d’une œuvre qu’il avait fondée, « Mimi Pinson » dont le but était de répandre la culture musicale parmi les ouvrières parisiennes. (…) jusqu’au bout il (est) resté le musicien qui, à tout autre, préfère le chant des âmes simples », raconte Pierre Waleffe dans sa Vie des Grands Musiciens Français (Éditions du Sud, Albin Michel, 1960).
Quoi qu’il en soit, Louise est le premier opéra naturaliste, mariant situation sociale, familiale et lieux. La dimension dramatique du cadre influe sur le déroulement de l’action : un véritable hymne à la ville de Paris, symbole de vie, de liberté, de réalisation de soi, de joie de vivre, se dessine à travers les chants des grisettes, les petits métiers, colporteurs, marchands ambulants et des personnages pittoresques, tels, le pape des fous, la balayeuse, Irma, Marguerite la laitière, Élise, la petite chiffonnière, Suzanne, la glaneuse de charbon, Blanche, la plieuse de journaux, Gavroche, bricoleur, gardiens de la paix, noctambule. Paris devient un axe majeur de l’intrigue, lieu d’amours, d’ivresses, de fêtes, de lumières.
Louise /Festival d’Aix-en-Provence 2025 © Monika Rittershaus
Le scénario est simple : une jeune ouvrière dans une manufacture de couture, Louise, vit chez ses parents qui se refusent à la voir grandir. Amoureuse du poète bohème Julien, elle s’enfuit, et devient la « Muse de Montmartre ». Son bonheur ne dure pas : sa mère, sous prétexte de la dépression dans laquelle son père a plongé depuis son départ vient la chercher. La vie dans sa famille se transforme en enfer, son père qui manque de la tuer dans un moment de rage la chasse.
Christof Loy inclut cette trame dans une atmosphère d’irréalité en faisant débuter et finir la pièce (la construction de l’opéra est véritablement théâtrale) dans un hôpital psychiatrique.
L’espace scénique orchestré par le scénographe Étienne Pluss installe l’ensemble de l’action dans un grand hall, bordé de bancs, salle d’attente d’une institution médicale, hall de gare avec ses immenses fenêtres…
Tout commence dans l’atmosphère d’un film de Jacques Tati : les sons des talons des personnages qui traversent le lieu résonnent, le claquement des portes d’un couloir supposé claquent donnant une estimation de l’approche des personnes par l’intensité de leur bruit. Des malades sont appelés, des conversations chuchotées et inaudibles se tiennent, tandis qu’une jeune fille, prostrée sur le seul banc du devant de la scène semble attendre.
À la fin de la représentation, on la verra sortir de l’espace des consultations, fragile et déboussolée accompagnée de ses parents qui sont venus la chercher. Ce qui se passe entre ces deux temps s’inscrit d’emblée dans un rêve, une vision intime de ce que la jeune fille a ressenti, doublé de fantasmes dont on ignore la véracité.
Louise /Festival d’Aix-en-Provence 2025 © Monika Rittershaus
Le résultat est splendide, porté par une véritable troupe constituée des Chœurs et Orchestre de l’Opéra de Lyon, la Maîtrise de Bouches-du-Rhône de Samuel Coquard, la Banda de l’Orchestre des Jeunes de la Méditerranée, une phalange coryphées et une formation de danseurs et danseuses, le tout sous la houlette de Giacomo Sagripanti qui mène tout cela avec une tension sans cesse maintenue et une justesse qui met en évidence la palette chatoyante du coloriste qu’est Gustave Charpentier.
En Louise, Annick Massis remplaçait au pied levé Elsa Dreisig, incarnant la fragilité et les tensions qui paralysent le personnage. Enfermée dans son rôle de jeune fille sous la coupe de parents qui la jugulent, elle transcrit par ses gestes, sa manière de se tenir l’étouffement de ses passions. Elle aura du mal à se laisser aller à l’amour. Lors de sa fugue, elle exultera de vie et de joie avec des accents d’un lyrisme épanoui avant de retomber sous la coupe terrifiante de ses géniteurs, une mère cruelle qui voit en sa fille une rivale et fait semblant d’ignorer l’amour incestueux que le père porte à sa fille.
Louise /Festival d’Aix-en-Provence 2025 © Monika Rittershaus
Lorsqu’elle se heurtera à son père à la fin de l’opéra, elle atteindra des sommets d’expressivité dans sa révolte. La mère, Sophie Koch, est superbement imposante et dure avant de trouver une certaine douceur envers sa fille à la toute fin. Nicolas Courjal livre avec sa voix de basse à la tessiture ample un portrait complexe du père aimant, trop, impudique, et étrangement fragile. Habillé comme Julien dans la dernière partie du spectacle, il entre dans le délire de sa fille par une ambigüité diabolique. Adam Smith est un Julien très belcantiste, incarnant tous les désirs de Louise, avec une liberté ignorant toute entrave.
Les scènes d’ensemble sont d’une vivacité enthousiasmante, que ce soit celle de l’atelier de couture ou de la fête à Paris.
Aucune voix n’est en-dessous du propos, toutes séduisent par leur finesse, leur expressivité, leur gouaille parfois.
Les voix des enfants de la Maîtrise des Bouches du Rhône apportent leur fraîcheur dans cet ensemble opératique foisonnant.
Louise /Festival d’Aix-en-Provence 2025 © Monika Rittershaus
L’opéra de Gustave Charpentier fut jugé scandaleux à l’extrême fin du XIXème et refusé par de nombreux directeurs d’opéras car il mettait en scène de manière trop explicite le désir féminin et la révolte contre l’autorité parentale (dans l’œuvre originale, contrairement à la relecture de Cristof Loy, un « happy end » permet à la jeune Louise de trouver la force de la liberté). Pourtant, dès sa création il remporta un triomphe qui ne fut jamais démenti jusque dans les années 1960. Musicalement, et cette facture est remarquablement soulignée par la version aixoise actuelle, cet opéra est à la frontière des époques, héritier du bel canto, il emprunte aussi des accents à l’œuvre wagnérienne, mais il annonce aussi la génération d’un Kurt Weill par son thème, son recours à l’entrée d’airs populaires, sa capacité à modeler les phrasés avec naturel, sans recherche de « faire beau », mais toujours au plus près de l’esprit de ce qui est énoncé.
Une reprise qui fera date !
Louise est jouée au Festival d’Art Lyrique d’Aix du 5 au 13 juillet au théâtre de l’archevêché (le 11 juillet il sera retransmis en direct sur arte.tv et le 14 juillet à 20h sur France Musique)
Louise /Festival d’Aix-en-Provence 2025 © Monika Rittershaus
Louise /Festival d’Aix-en-Provence 2025 © Monika Rittershaus