Elle a dit « NON! »

Elle a dit « NON! »

Andromaque de Racine passionnément interprétée au Jeu de Paume dans la subtile mise en scène d’Yves Beaunesne

Ils aiment tous mais sans réciprocité : le célèbre résumé, Oreste aime Hermione qui aime Pyrrhus qui aime Andromaque qui aime Hector, tué par le père de Pyrrhus, installe d’emblée la pièce dans un cercle d’impossibilités que rien se peut résoudre. Chacun s’enferme dans l’orbe de sa passion jusqu’à la folie. La démesure, l’hybris de la Grèce antique, se déploie alors, défiant la mesure, et mène, inexorable, à la tragédie qu’irrigue de son souffle l’ampleur des vers de Racine.

 

Aux sources orientales

La scénographie s’inspire de la cour d’un palais de Beyrouth, verrière élégante dont les vitres en partie brisées laissent percevoir dans l’ombre les musiciens qui, entre chaque acte de la pièce, se livrent à de courts intermèdes chantés, accompagnés par un accordéon et un violoncelle. La performance des acteurs qui passent de la « partition » racinienne pliée avec aisance au tempo de l’alexandrin, à la partition musicale est à saluer : aucune rupture de ton, mais une élégante fluidité. La musique composée spécialement pour cette œuvre par Camille Rocailleux sait préserver les couleurs de la mise en scène par un tissage très fin entre les voix et les instruments, renvoyant par ses mélodies et ses accords aux sources antiques. Le texte des chants condense quelques extraits de l’Andromaque d’Euripide. Les sonorités du grec ancien dans sa prononciation érasmienne ancrent le sujet dans son histoire, tandis que les mots de Racine prennent un tour tragiquement actuel : lorsqu’Andromaque rappelle « cette nuit cruelle » où sa ville, Troie, prise par les Grecs, fut détruite, les « cris des vainqueurs » se mêlant « aux cris des mourants », combien d’échos actuels sont éveillés en nous !

Andromaque au Jeu de Paume

Andromaque © Dominique Houcmant

Transmettre

On pouvait s’étonner au départ du choix d’Yves Beaunesne pour incarner le confident d’Oreste de Jean-Claude Drouot, l’immense acteur qui ne peut en aucun cas être réduit à la mythique série Thierry la Fronde dont il fut le héros. Pylade est en effet l’ami d’Oreste. « Il n’est pas contradictoire d’imaginer un ami beaucoup plus âgé. Pylade met en garde Oreste, tente de le modérer, de l’avertir. Son expérience lui donne une épaisseur », explique le metteur en scène. On se laisse séduire par ce choix. Pylade (Jean-Claude Drouot) fait figure de sage, sacrifié (seule entorse à la pièce de Racine) par la folie d’Oreste, il meurt en essayant de protéger son ami de lui-même. L’intrigue est portée avec puissance par la talentueuse phalange de comédiens réunis par le metteur en scène ; Milena Csergo , épaulée par sa confidente Céphise, Johanna Bonnet-Cortès, campe une Andromaque hiératique et émouvante, murée dans son refus d’épouser Pyrrhus, bouleversant Léopold Terlinden capable de tout sacrifier à son amour, malgré les injonctions de Phoenix, son gouverneur, Christian Crahay, tandis que, tout aussi excellent, Oreste, interprété par Adrien Letartre, donne la réplique à une Hermione fantasque, Lou Chauvain, qui oscille entre l’attitude d’une noble princesse et celle d’une enfant capricieuse et butée, secondée par sa confidente, Cléone, spirituelle Mathilde de Montpeyroux. Ces deux dernières apportent la dimension du rire et de l’humour de la pièce.

La légèreté accorde par effet de miroir davantage de profondeur aux enjeux, souligne la spirale de la folie qui emporte tout, sous le regard muet du jeune Astyanax (Niccolo Wagner à l’écran) projeté sur le décor de fond de scène, catalyseur de toutes les tensions. C’est lui dont les Grecs par l’entremise d’Oreste veulent la tête, craignant que, devenu grand, l’enfant ne souhaite venger son père, Hector et sa ville, Troie. Son sort devient objet de chantage de la part de Pyrrhus… Le passé hante le présent, sa cruauté infinie empoisonne les survivants et leurs relations : la guerre de Troie continue ses ravages bien après sa fin. Les blessures ne se referment jamais vraiment… Hermione souhaiterait que l’Épire, royaume de Pyrrhus, soit une nouvelle Troie, et elle une sorte de seconde Hélène, tandis que Pyrrhus cherche à abolir cette relation au passé : il souhaite détruire la mémoire de ses actes anciens pour une nouvelle naissance scellée par un mariage avec Andromaque. Cette dernière, femme, captive, assujettie à un destin qu’elle ne maîtrise plus, dit « non » et par là, infiniment contemporaine, dresse une image neuve et intemporelle de la résistance.

Andromaque au Jeu de Paume

Andromaque © Dominique Houcmant

 La finesse du jeu des acteurs, la limpidité de leur diction, l’intelligence des textes, la pertinence des variations, la beauté des lumières qui sculptent l’espace scénique, tout concourt à construire une lecture aiguisée de la pièce de Racine. Un diamant taillé !

Du 2 au 4 février, Jeu de Paume, Aix-en-Provence

Mirages en clair-obscur

Mirages en clair-obscur

Présenté comme une comédie musicale, Lovetrain2020 d’Emanuel Gat, spectacle composé sur des tubes du duo anglais des années 80, Tears for Fears, était repris avec bonheur au Grand Théâtre de Provence

Comédie musicale sans histoire mais rythmée de temps forts, cette pièce du fondateur de la compagnie Emanuel Gat Dance s’articule entre les temps musicaux et les temps de silence. Les évolutions des danseurs ne sont jamais en paraphrase de la musique et créent leurs propres sonorités lors des silences par les respirations, le bruit des pas sur le sol, le frottement des tissus. 

Tout naît dans l’ombre, les personnages s’agitent derrière de longs pans sombres qui laissent quelques passages, quatre portes hautes et étroites, d’où sourd une lumière grise. Une abondante fumée plane sur tout cela, ajoutant au caractère onirique de l’ensemble. Le premier personnage à sortir pour se retrouver sur la partie visible du plateau reste immobile alors que la musique pulse ses tempi entraînants. La dichotomie entre le mouvement de la musique et l’immobilité du personnage établit d’emblée une tension qui emporte le spectateur dans un imaginaire que viennent peupler de couleurs et de formes les somptueux costumes aux allures baroques rêvés par Thomas Bradley. Chaque personnage est un tableau vivant qui s’anime avec verve, conjugue ses voltes avec ses complices.

Lovetrain © Julia Gat

Lovetrain © Julia Gat

Les quatorze danseurs s’orchestrent en mouvements d’ensemble sublimes, baignés dans un clair-obscur qui flatte les émergences. La perfection plastique des gestes nourris de grammaire classique, néo-classique, contemporaine, indienne voire égyptienne, emporte le spectateur dans une galerie d’art mouvante et moirée. Les groupes se font et se défont, les courses folles soudain se figent, transformant la scène en haut-relief saisissant. Les protagonistes se retrouvent parfois seuls ou en nombre réduit pour des pas de deux, des trios, des quatuors qui se cherchent, se trouvent, se séparent, s’éparpillent, se diluent dans les ombres… Une pépite !

Un bord de plateau riche

Le chorégraphe venait ensuite se plier au jeu des questions avec le public. Lorsque le sujet de ses diverses casquettes pour ce spectacle, il en a conçu aussi les lumières, véritable chorégraphie scénographique, il répond : « J’aime le terme et le métier de chorégraphe, je touche aussi ce qui est autour de la seule création chorégraphique ».
Le titre aussi intrigue : « Lovertrain prend son nom de la dernière chanson du spectacle, Sowing the seeds of love, explique-t-il. J’ai aimé que cela ne veuille rien dire et que ce soit en même temps un terme très concret qui s’est traduit par un éclat d’idées visuelles et chorégraphiques. » Poursuivant ses éclaircissements à propos de sa démarche il reprenait : « Le silence est un outil dramaturgique, il apporte une dynamique autre. Les pauses dans la musique sont nécessaires : la danse se perçoit différemment sans musique, la chorégraphie prend le pas sur elle, devient autonome dans sa gestuelle et sa dynamique. Sans musique on ‘écoute’ la danse.

Lovetrain © Julia Gat

Lovetrain © Julia Gat

Lovetrain © Julia Gat

Lovetrain © Julia Gat

Dans mon travail je suis ce qui se passe dans le travail au studio. Ma démarche est celle de la rencontre : une observation de l’extérieur de ma part, une observation de l’intérieur pour mes danseurs. La logique chorégraphique vient de leur écoute entre eux. La dynamique du groupe est mon outil de travail. Cela fonctionne comme pour une équipe de foot : le groupe a des objectifs, il s’agit de faire quelque chose ensemble. L’information n’est pas centralisée, pas même pour moi, le travail est conçu comme un système horizontal. Nous travaillons vraiment ensemble. »

Le 30 janvier, Grand Théâtre de Provence, Aix-en-Provence

Lovetrain © Julia Gat

Lovetrain © Julia Gat

De l’amour et pas un téléphone!

De l’amour et pas un téléphone!

Au Petit Duc la « contre-diva du jazz », Cathy Heiting, présentait un nouveau répertoire de créations : Unconditional

EP à la clé, spectateurs en salle et sur écrans (la chaîne du Petit Duc permet une multiplication exponentielle du public), la soirée programmée par l’irrésistible duo Myriam Daups et Gérard Dahan affichait complet. Il est vrai que l’annonce de la venue de Cathy Heiting, une fidèle du lieu, est toujours attendue, tant cette artiste inclassable a su séduire par sa verve et la qualité irréprochable de son travail. Avec sa voix qui arpente sans effort apparent les trois octaves, la chanteuse se meut avec autant d’aisance dans le jazz, le funk, le lyrique (on a toujours un souvenir ému de Bizet était une femme où virtuosité vocale et instrumentale subjuguaient jusqu’aux zygomatiques mis à rude épreuve !), et explore tous les genres, accorde sa lecture de standards de la pop (sa reprise de « 1/2/3drink »  (Chandelier de Sia) a fait date), écrit, crée, sait réunir autour d’elle la fine fleur des musiciens et créer avec et entre eux une complicité sensible. 

Pour l’occasion elle réunit Sylvain Terminiello (double bass), Samuel Bobin (batterie), Renaud Matchoulian (guitare électrique), Ugo Lemarchand (piano et saxophone ténor). Chacun apporte sa contribution aux arrangements, aux compositions rêvées à deux ou trois. L’écoute de l’autre, la liberté laissée à l’improvisation, la sûreté des ensembles qui jouent sur les textures, les harmonies, les contre-chants, les variations, offrent une palette pailletée profondément ancrée dans l’inspiration jazzique. Les solos ne cherchent pas à éblouir par leur virtuosité technique, elle semble si naturelle, mais travaillent les couleurs, abordent l’intime avec une sobre élégance.

Cathy Heiting et Sylvain Terminiello au Petit Duc © Mitch Bis

Cathy Heiting et Sylvain Terminiello au Petit Duc © Mitch Bis

Le thème de la nouvelle création tient de la gageure tant l’époque est troublée : articuler tout un répertoire sur le thème de l’amour peut aussi prendre des allures révolutionnaires alors que le monde se déchire !

Cet amour est inconditionnel, réunit certes les amoureux, mais aussi les familles, les êtres, le monde. « Nous allons évoquer l’amour sous toutes ses formes, explique en introduction l’espiègle musicienne, carré, rond, rectangulaire… ». On commence par des roses, celles qui évoquent les personnes empathiques, The rose, puis on remonte une histoire d’amour depuis sa fin jusqu’à ses débuts en trois chansons, un texte est dédié à France, la sœur disparue l’an dernier de la chanteuse, deux morceaux sont consacrés à ses deux fils, un passage « quizz » reprend My Funny Valentine ce qui donne l’occasion d’un magnifique duo contrebasse, voix…

Cathy Heiting au Petit Duc © Mitch Bis

Cathy Heiting au Petit Duc © Mitch Bis

On passe par tous les registres avec fluidité. On se laisse porter par les mélodies, happer par les rythmes, surprendre par les enchaînements. Le morceau de rappel est le seul en français, sur un poème de Samuel Bobin, sublime…

Cathy Heiting choisit ici un retour à l’épure, à un jazz lumineux qui nous touche. Et c’est très beau.

26 janvier, Petit Duc, Aix-en-Provence

Cathy Heiting Quintet au Petit Duc © Mitch Bis

Cathy Heiting Quintet au Petit Duc © Mitch Bis

Rocky, épopée contemporaine 

Rocky, épopée contemporaine 

On sourit d’abord à l’improbable rencontre entre le film de Stallone, Rocky, sorti en 1976 et la fine plume de François-Xavier Renucci, familière des poètes, puis on entre dans son livre et l’on est happé

Rocky, paru chez Rouge Profond en 2023, navigue entre les écritures : le premier chapitre est composé d’un florilège de photographies extraites du film Rocky, moments-clés dont les sous-titres seront les têtes de chapitre. Enveloppant les propos, deux parties de monologue ouvrent et referment le texte. Mots en italique plongés dans les pleurs de l’enfant qui voit sa mère sauter d’une voiture en marche et ceux de la fin qui, peut-être, se transforme en réconciliation avec soi : l’adhésion inconditionnelle d’« I love you »… les mots qu’Adrienne (version française d’Adrian) lance à Rocky alors qu’il lui demande où elle a mis son chapeau. Le sublime voisine l’incongru et le mythe universel peut se mettre en place : la tragédie fait le grand écart entre la fange et les étoiles.  

Rocky Balboa sur le divan

Les réflexions qu’inspire le film à François-Xavier Renucci sont mises en scène. Le discours est dialogué ou rapporté sous forme d’un journal destiné au psychiatre fasciné par le cas de ce personnage, Jacques C., venu spontanément le consulter. À travers les références au film de Stallone, se dessine la vie du patient et s’élabore une manière d’appréhender le monde, fine, foisonnante, aiguisant sa perception des choses par des raisonnements à sauts et à gambades, selon la formule de Montaigne, célébrant à la fois la liberté du style et de la pensée et son rythme parfaitement codifié. 

Débute alors un « commentaire vagabond » qui, chapitre après chapitre, va se nourrir des vingt clichés choisis aux premières pages de l’ouvrage. L’intrigue s’éclaire de références multiples, on croise le Caravage dans le clair-obscur du premier plan ; les lumières qui orchestrent le tableau en arrière-plan du personnage de Rocky sont celles qui sont utilisées pour l’ensemble de la scène. Le film de culture populaire se moire peu à peu d’un faisceau de repères qui convoquent l’histoire du cinéma, la grande histoire, la littérature, la musique. Le film est scruté dans ses moindres détails. Une cage aux oiseaux, et voici Adrienne et Rocky « oiseaux volants dans la nuit des rues de Philadelphie ». Les noms des animaux sont forcément littéraires : le poisson rouge surnommé Moby Dick renvoie au « monstre blanc symbolique, (…), l’océan devenu animal, traversant les mers du globe ». Les rapprochements les plus acrobatiques s’effectuent, danse légère sur les réminiscences filmiques et littéraires. Tout fait sens, emporté dans le flux puissant de l’épopée. Car il s’agit bien de cela, trouver au cœur de l’œuvre un souffle épique : les dieux antiques veillent, Apollon transparaît tandis que la lune, Phoebe, décline ses énigmes nocturnes. On franchit les océans, Christophe Colomb débarque sur les terres qu’il découvre et ne porteront pas son nom, la bataille de Philadelphie s’étire encore durant des mois avant d’être gagnée par le jeune peuple américain contre les Britanniques pendant la guerre d’indépendance.

Rocky, François-Xavier Renucci aux éditions Rouge Profond

On s’enflamme aux confins du monde puis on retourne au trivial, nécessaire contrepoint de l’héroïsation. Il y a les fesses de Rocky, le clou dans le gant de boxe, la Ventoline de Tony Gazzo, le caïd de quartier, le « who cares ? » de Rocky désabusé. Il faut tenir les quinze rounds du match de boxe contre le champion invaincu, peu importe de perdre. C’est au bout d’une nuit de lutte que la petite chèvre de monsieur Seguin meurt sous les coups du loup, mais elle a réussi à résister toute une nuit…

Les géographies de l’écriture

Dix séances et neuf lettres circulent autour du film et de sa lecture par Jacques Casanova (y a-t-il un nom qui ne soit pas anodin dans ce livre ?). On renoue avec les techniques du cinéma, grâce est rendue aux monteurs, les vrais artisans du film. Sont évoqués les premiers essais de cinéma, pas L’arrivée d’un train en gare de La Ciotat (qui sera cependant utilisé en clin d’œil), film projeté en 1895, mais les Monkeyshines de 1889 ou 1890 de William K.L. Dikson et William Heise, représentant un personnage très flou dont la silhouette qui s’agite rappelle au narrateur celle de Rocky.
L’écriture trouve des écrins, la chambre d’hôpital puis une petite maison à Pléneuf Val-André. Est-ce un hasard ? Ce fut le lieu de villégiature du poète Jean Richepin, il y est d’ailleurs enterré. L’une de ses premières œuvres, La Chanson des gueux, lui valut un mois de prison et 500 francs d’amende, scellant sa réputation de Villon des temps modernes… Une autre figure rebelle à convoquer ?
L’artifice géographies littéraires s’amuse jusqu’à la fin du livre où sont donnés les lieux d’écriture de l’écrivain, Isseuges, en Auvergne et Aix-en-Provence… en exergue déjà l’auteur glisse une pointe d’humour avec le célèbre « Dignity ! Always dignity ! » de Gene Kelly dans Singin’in the Rain.
L’analyse filmique découvre des symétries qui articulent aussi le cheminement du livre. L’imaginaire collectif se love dans les œuvres du cinéma. Tout revient à l’écriture, le film s’inscrit dans la littérature qui nous a forgés. On sourit aux exigences de la ponctuation invoquées par Jacques alors qu’il écrit à son médecin : « vous me l’aviez bien dit : maîtrisez votre ortho-syntaxe ! La ponctuation est le fondement de la civilisation ». Exigence vite remise en cause : la respiration de chacun est le seul critère de la musique des pages. Celles-ci dissimulent aussi un flipbook dessiné par Olivier Mariotti, hommage au héros campé par Stallone.
L’œuvre n’est en rien solitaire, mais la conjugaison de nos souvenirs, de notre culture, de notre sensibilité. En cela elle est unique et multiple tout à la fois. Le livre de François-Xavier Renucci est passionné, passionnant, érudit avec légèreté, profond dans l’analyse de notre relation aux œuvres.

MARYVONNE COLOMBANI
Rocky, François-Xavier Renucci, éditions Rouge Profond, 22€

Vendredi 2 février, la bibliothèque de la Halle aux Grains accueillera François-Xavier Renucci pour une rencontre à partir de 18heures : « Rocky Balboa sur le divan : psychanalyse d’un chef-d’œuvre »

Géographies schubertiennes

Géographies schubertiennes

David Fray devant une salle comble au Conservatoire Darius Milhaud interprétait les Moments musicaux et les Impromptus de Schubert : une leçon de simplicité et de grâce 

Effectuant un petit changement de programme, le pianiste s’emparait du trop rarement joué Allegretto en ut mineur D. 915 dont la forme et l’atmosphère rappellent celles des Six Moments musicaux D. 780, pièce maîtresse de la première partie du concert. Les sept morceaux, délicats tableautins, sont dépouillés à l’extrême et pourtant laissent éclore sensibilité et mélancolie. Le jeu de David Fray rendit avec élégance cette musique qui pourrait sembler être celle d’un enfant trop sage si l’on ne s’attarde pas à ce qui vibre sous la simplicité.

Mélodies entêtantes, harmonies réitérées, art des silences, concision, ourlent la fraîcheur d’un cadre alpestre, la douceur d’une rêverie, les ombres d’un chagrin… La solitude de l’être s’apprivoise et trouve un équilibre apaisé au cœur des « éclairages changeants d’une scène immobile » (David Fray). Les quatre Impromptus D.899 apportaient un souffle nouveau. Soudain, l’expression prend davantage d’ampleur en une liberté où la couleur et le climat intérieur tissent un espace où l’imagination s’évade, où l’on retourne au fil d’une narration soutenue par les triolets uniformes du premier Impromptu au climat incantatoire dont le thème harmonisé et amplifié s’ancre dans les basses en octaves. 

David Fray © D.R.

David Fray © D.R.

Sublimes ampleurs ! La légèreté fluide du deuxième Impromptu, ses modulations, ses surprises, dessinèrent leurs vagues lumineuses invitant la limpidité du troisième, délicat Andante en sol bémol majeur qui n’est pas sans évoquer par ses cascades de croches des pages de Chopin.
Enfin, le quatrième, allegretto en la bémol mineur/majeur, joue des ambiguïtés, poursuit la théâtralité sans emphase de l’ensemble en chatoyants ruissellements. On écoute une voix qui dessine des urgences, s’épanche avec fermeté fait un tour du côté de l’univers du lied, bouleverse, emporte. Le jeu de David Fray laisse sourdre la poésie des partitions, en fait ressentir l’âme, lyrique, retenue, diaphane. À l’ovation répondront deux bis qui ouvrent sur le nouvel opus du musicien, un CD consacré aux variations Goldberg (chez warnerclassics), une autre manière d’abolir le temps…

Le 13 janvier, Conservatoire Darius Milhaud, Aix-en-Provence