
Nota bene!
La nouvelle pièce de la dramaturge Audrey Schebat, La Note, réunit sur scène François Berléand et Sophie Marceau pour un duo drôle, profond, superbement écrit et interprété.
La scénographie est signifiante : attachée au pied d’un piano à queue de salon une grosse corde terminée par un nœud coulant occupe le devant de la scène. Sous le nœud coulant, un tabouret de piano attend. Julien, (François Berléand), seul sur scène, griffonne sur une petite table un mot qu’il froisse, jette, recommence… cela ne lui convient jamais. Il renonce, se lève, monte sur le tabouret, se passe la corde au cou, tergiverse, un appel téléphonique interrompt son geste. On rit.
L’arrivée de Maud, (Sophie Marceau), l’épouse de Julien, vient faire échouer les intentions lugubres de son mari. Il est un psychanalyste de renom, elle est une pianiste internationale. Elle revient d’un triomphe à Berlin. Ses valises juste posées, elle découvre la scène hallucinante de son époux prêt à se pendre.
S’ensuivent des enchaînements de dialogues vifs où la colère, une certaine lassitude et une ironie parfois espiègle abordent les interrogations sur soi, sur l’autre, sur le couple, avec une pertinence fine. Les spectateurs retrouvent tous quelque chose d’eux-mêmes dans des répliques qui peuvent devenir « culte » : « on n’a pas réussi, dit Julien, à faire de nous autre chose que ce qu’on est » ou l’énigmatique « pour être vainqueur, il faut être vaincu » qui s’inspire de façon lointaine des propos du pilote automobile Mika Häkkinen, « pour faire un bon vainqueur, il faut être un bon perdant ».
La note © Bernard Richebé
Quelle insidieuse fêlure a amené à un tel point de rupture ce couple harmonieux? Ils ont la cinquantaine et offrent l’image d’une réussite sociale et personnelle : ils ont deux grands enfants qui leur sont très attachés et ont « réussi » leur vie, et chacun dans son domaine est une image de l’excellence. Et pourtant Julien a décidé de mettre fin à ses jours, enfin, les termes ne sont peut-être pas exacts. Le personnage joue sur les mots, modalisant les faits par une pirouette qui fait sourire d’abord mais donne à réfléchir : « j’ai voulu me donner la mort, mais pas me prendre la vie ». La réplique suit la remarque désabusée de Maud : « Tout le monde attend que sa vie commence avant qu’elle se termine ».
Le déclencheur de la discussion des deux époux est non pas la tentative de suicide du mari, mais le fait qu’il n’ait pas laissé de « note », c’est-à-dire de mot ultime destiné à ceux qui restent. Ne pas avoir pris la peine de formuler un adieu sous quelque forme que ce soit, suscite l’indignation de Maud et la mise à plat des vies des protagonistes.
Au passage il y aura une superbe déclaration d’amour, la tentation de définir ce qu’est un couple, ce qui le soude réellement.
La note © Bernard Richebé
Le tour de force de cette pièce est de nous faire rire avec les sujets les plus difficiles, la mort, la déliquescence du couple, l’irrémédiable passage du temps, la perte, les renoncements, les choix de vie…
Sophie Marceau revient sur les planches après douze ans d’absence et démontre plus que jamais qu’elle est une grande dame du théâtre. Souveraine, elle habite la scène avec une aisance élégante et naturelle, face à un François Berléand tout aussi juste dans son jeu et la fine distanciation opérée avec son rôle.
Dans la mise en scène très sobre d’Audrey Schebat, aucune de ces deux puissances théâtrales ne cherche à écraser l’autre et c’est un duo virtuose qui s’empare de la pièce d’une profondeur et d’une lucidité insoupçonnées malgré ses airs de théâtre de boulevard, et sa construction classique selon la règle des trois unités, temps, lieu, objet. Un régal !!!
La note a été jouée du 23 au 25 janvier 2025 au Jeu de Paume