Les voix lyriques de demain au festival d’Aix

Les voix lyriques de demain au festival d’Aix

La promotion 2025 des Voix de l’Académie réunit une phalange de jeunes artistes venus du monde entier, douze jeunes chanteurs et chanteuses ainsi que trois pianistes et chefs de chant, sous la houlette bienveillante et attentive d’artistes et pédagogues au sommet de leur art, selon une tradition établie depuis désormais plus de vingt-cinq ans. L’Académie sert de vitrine à ces artistes en développement de carrière, et joue un rôle de tremplin, les faisant connaître et découvrir par un public et des « chasseurs de talents » internationaux. 
Cette année, supervisent cette résidence le professeur de chant et directeur du département vocal de la Juilliard School of Music de New York, Darrell Babidge, le baryton Stéphane Degout, la pianiste et cheffe de chant Marine Thoreau La Salle, le chef d’orchestre Sébastien Daucé, directeur musical de l’Ensemble Correspondances (pour le dernier concert de la formation).
Contrairement aux sessions précédentes qui donnaient à écouter leur concert dans le cadre en plein air de l’Hôtel Maynier d’Oppède actuellement en réfection, les spectacles sont donnés dans la salle du Pavillon Noir qui prête chaque année ses murs aux manifestations du Festival d’Aix. Le passage du plein air à une structure fermée changeait un peu l’atmosphère habituelle de ces représentations, leur accordant un caractère plus rigide.

Chaque programme de concert explore un répertoire particulier, airs d’opéra, chant français, musique baroque française et italienne… La première représentation était consacrée à l’opéra. Chaque interprète avait en charge deux chants répartis entre les deux moments du concert, conçu comme un petit marathon interrompu par un entracte. La tension, liée à la représentation accompagnée d’un piano seul, était multipliée par les ordres de passage et les univers différents dans lesquels les artistes devaient entrer d’emblée en emmenant le public avec eux, avant de laisser rapidement la place à la performance suivante. On peut vraiment parler ici de performance, tant le travail vocal est soutenu par une étude précise de la dramaturgie musicale, une mise en scène minimaliste mais qui apporte une cohérence entre le propos chanté et les attitudes, les expressions, les mimiques, les mouvements des chanteurs.

Voix de l'Académie© Vincent Beaume

Festival d’Aix-en-Provence 2025 – Aix en juin – Résidence Voix © Vincent Beaume

Les trois pianistes, Benjamin Read, Anna Gershtein et Antoine Dutaillis, accompagnent avec une très belle justesse les voix, épousent les rythmes, attendent lorsque la modulation d’une ornementation prend davantage d’ampleur, offrent un écrin sensible aux chants dont la palette recouvre toutes les émotions humaines.
Certains savent faire sonner les idiomes des partitions, s’arcqueboutant comme le baryton Navasard Hakobyan sur les aspérités de la langue allemande dans l’air de Wolfram (acte III du Tannhäuser de Wagner) et les scansions du français dans une magnifique et convaincante interpétation de l’air de Zurga (Les Pêcheurs de perles, Bizet), ou offrant une articulation parfaite comme le baryton Armand Rabot qui dessine d’incroyables tableautins avec sa voix large et sculptée dans le prologue, air de Tonio du Pagliacci de Leoncavallo puis dans Le Roi de Lahore (Massenet), ou encore le ténor Hugo Brady aux superbes phrasés teintés d’un subtil vibrato naturel dans l’aubade de Mylio (acte II) du Roi d’Ys d’Édouard Lalo et La finta giardiniera (Mozart). Le travail de clarté des textes est remarquablement mené chez la plupart des interprètes, souligné par une expressivité qui tisse une complicité immédiate avec le public.

C’est en actrice accomplie que la mezzo-soprano Emily Treile aborde le récitatif et l’air de Junon du Semele de Haendel. Tout prend sens dans son approche vocale, les modulations et les vocalises ne sont plus de simples ornements caractéristiques du baroque, mais font partie du propos, insistant sur les intentions du texte. Elle sera bouleversante en deuxième partie avec l’air de Sapho « Ô ma lyre immortelle » (Gounod). La même puissance se retrouvera chez les sopranos Emily Richter, superbe Arabella (Strauss), puis Fiordiligi (Mozart) ou Meredith Wohlgemuth toute d’élégante finesse que ce soit dans l’air d’Ilia (Idomeneo de Mozart) ou l’air de Cléopâtre (Guilio Cesare in Egitto, Haendel). La soprano Lucia Tumminelli avec un délicat vibrato naturel apporte sa fraîcheur lumineuse à Halka (Stanislas Moniuszko) puis au sublime air de Liu (Turandot, Puccini). Séduit aussi la clarté et l’intensité de l’interprétation de la mezzo-soprano Mathilde Ortscheidt que ce soit dans le Cœur sans amour, printemps sans roses du Cendrillon de Massenet ou dans l’air de Sesto dans La clemenza di Tito mozartienne.

Deuxième concert de la Résidence Voix de l’Académie du Festival d’Aix-en-Provence consacré au chant français, sous la supervision artistique de Stéphane Degout. Le vendredi 27 juin 2025 à la Villa Lily Pastré. ARTISTES ENCADRANTS : DARRELL BABIDGE, STÉPHANE DEGOUT, MARINE THOREAU LA SALLE, SÉBASTIEN DAUCÉ. SOPRANO : SEMILY RICHTER, LUCIA TUMMINELLI, MEREDITH WOHLGEMUTH. MEZZO-SOPRANOS : MATHILDE ORTSCHEIDT, EMILY TREIGLE. TÉNORS : HUGO BRADY, MATTHEW GOODHEART, DANIEL ESPINAL. BARYTONS : ARMAND RABOT, NOAM HEINZ, NAVASARD HAKOBYAN, THOMAS CHENHALL. PIANISTES CHEFFE ET CHEFS DE CHANT : ANNA GERSHTEIN, ANTOINE DUTAILLIS, BENJAMIN READ. Photographies de Vincent Beaume.

Festival d’Aix-en-Provence 2025 – Aix en juin – Résidence Voix © Vincent Beaume

Les contrastes entre les œuvres permettent aux artistes de se confronter aux différents modes de traitement des thèmes, le baroque de l’Ariodante (Haendel) et le bel canto au souffle plus ample de l’air Furtiva lacrima de Donizetti dans lequel le ténor Matthew Goodheart évolue avec une belle aisance. Daniel Espinal prête sa voix de baryton à la romance de Rodolfo (La bohême, Puccini) puis au Roméo de l’Acte II (Roméo et Juliette) de Gounod, y modelant une émotion sensible tandis que Noam Heinz (baryton) passe avec aisance de l’air de Mercutio (Roméo et Juliette, Gounod) à Trouble in Tahiti de Bernstein où il joue avec les rythmes, les ruptures de ton, siffle, brossant une comédie enlevée. Thomas Chenhall accorde quant à lui les inflexions de sa voix de baryton à l’air de Valentin, « Avant de quitter ces lieux » (Faust, Gounod), personnage dont la pureté s’oppose à la fausse douceur de la Canzonetta de Don Giovanni (Mozart), les demi-teintes du premier air se parent d’ombres menaçantes dans le second à la dangereuse légèreté.
Plus de deux heures de spectacle ? On ne s’en rend pas compte tant la variété des univers et la beauté des interprétations captive l’auditoire. Les noms de ce concert sont à retenir, ils seront têtes d’affiche sous peu !

Le concert des Voix de l’Académie #1 a été donné au Pavillon Noir (Aix), le 25 juin 2025

Le corps, un récit vivant

Le corps, un récit vivant

Le Pavillon Noir accueillait le 30 septembre dernier Arthur Perole, artiste associé pour la période 2022-2023. Le danseur et chorégraphe proposait lors de cette soirée festive et participative (le spectacle était suivi par la Boum Boom Bum où chacun, muni d’un casque de Silent Party, déambulait entre food truck, stands improbables, karaoké, tubes de boums et DJ set final) Nos corps vivants aux côtés de Marcos Vivaldi (musicien), Benoit Martin (son) et Nicolas Galland (lumière). Alors que le public s’installe autour du module carré sur lequel le danseur va évoluer, des bonbons sont distribués, ceux de nos fêtes d’anniversaires petits, retour à une innocence où l’on ne se pose pas de questions sur le sucre et ses effets nocifs, juste un instant de partage !

« C’est bon ? tout le monde est servi ? » le danseur quitte alors sa doudoune poilue pour dévoiler un marcel pailleté tandis que des bribes de conversations se diffusent, « les drogues mettent en contact avec les fantasmes… j’ai toujours eu peur des autres, depuis que je suis né… les hommes on leur impose pas trop de choses, les femmes si… » des ondes sonores viennent habiter l’ombre, le corps du danseur se tord, fluide, les bras se tendent, se courbent, essaient l’épaisseur de l’air. Le visage traduit toute une palette d’émotions, se fige dans les attitudes convenues des cartoons. Les mimiques stéréotypées deviennent vocabulaire de danse, la gestuelle normée des conversations est dessinée avec espièglerie et un certain sens du tragique. Derrière la banalité des poncifs où se placent individualité, personnalité, pensée ?
La voix de Marguerite Duras apporte sa gravité suave « On ne voyagera plus, ça ne sera plus la peine… quand on peut faire le tour du monde en huit jours… pourquoi le faire ? ».

Arthur Perole Noscorpsvivants@Nina-FloreHERNANDEZ<br />
Pavillon Noir

Nos corps vivants@Nina-FloreHERNANDEZ

Le corps du danseur, statue vivante, compose une mélodie où les rythmes se heurtent, cherchent l’arrêt sur image, se saccadent, sont emportés dans une écriture qui les dépasse. Puis le performeur jongle, à l’instar d’un Charlie Chaplin, avec les sources de lumière, déploie un clavier de piano pour une chanson de Françoise Hardy. La performance enserrée dans un espace minimaliste ouvre les frontières de nos habitudes, de nos inconscients, l’humour empreint d’un indéniable lyrisme épouse avec tendresse la multiplicité de l’humain.

Pavillon Noir et Bois de l’Aune, le 30 septembre 

Et si déjà le monde n’était plus qu’une légende?

Et si déjà le monde n’était plus qu’une légende?

La création 2021 du chorégraphe et directeur du KLAP, Michel Kéléménis, Légende, s’adresse aux enfants, mais aussi aux grands par son universalité. Certes, à l’instar des livres pour enfants, pas de grandiloquence ni de recherche indigeste, mais un condensé d’inventivité, de délicatesse, d’humour, qui nous amène à réfléchir, passés les premiers émerveillements et les premiers rires. Le point de départ s’ancre dans une dystopie à laquelle bien des signes actuels semblent prédisposer notre avenir : les animaux ont disparu de la Terre, seuls restent les êtres humains. 

Légende, spectacle de Kéléménis donné au Pavillon Noir, Aix-en-Provence

Légende de Michel Kéléménis © DR

Ils sont quatre sur scène, les survivants de l’apocalypse, Claire Indaburu, Hannah Le Mesle, Maxime Gomard, Anthony Roques, comme surpris d’exister encore alors que tout s’est dissipé. Subsiste comme animal de compagnie un très spirituel petit robot (un projecteur qui s’anime et dont les « yeux » bougent et changent de couleur en fonction de ses émotions), digne héritier de Wall-E (le petit héros mécanique du film éponyme d’Andrew Stanton). Pas d’apitoiement ni de lamento sur le temps passé. Les interprètes font revivre par leur danse la faune absente, réinventent les démarches, les attitudes, les tenues, et déploient une fresque drôle voire potache, où leurs souvenirs nimbés d’une imagination fertile ou l’inverse peu importe, reconstituent l’idée des éléphants, des cygnes, des hémiones, les poules… La musique du Carnaval des animaux de Saint-Saëns permet de décrypter ce qui pourrait être obscur dans l’identification des spécimens représentés. Des séquences dues aux créations électro d’Angelos Liaros-Copola viennent ajouter un autre dynamisme et ancrent le propos dans l’hypothétique futur qu’il décrit. La danse s’orchestre en tableautins expressifs au cœur desquels les danseurs deviennent les acteurs de leur propre mythologie, émouvants, drôles, architectes d’une histoire rêvée.

Les corps sont des idées dont la mouvante géométrie se développe avec une élégante vivacité. La précision des gestes, le sens toujours présent dans le moindre pas, l’intelligence espiègle d’une narration qui ose les détours les plus insolites et fonde un bestiaire qui tient tout autant de celui que nous connaissons que de celui d’un Brueghel, associant à l’observation du réel les ajouts les plus incongrus, créant une arche de Noé fantastique où des êtres mirifiques s’envolent, d’autres plongent dans les eaux calmes d’une mer onirique, d’autres encore arpentent la terre, s’y cachent, trouvent des arbres improbables, des nids étranges. L’acrobatie s’immisce dans la grammaire de la danse, apporte l’élan de ses pirouettes à la volonté de sauver un monde perdu… celui de notre humanité aussi nimbée des superbes lumières de Bertrand Blayo.

Spectacle donné au Pavillon Noir le 25 mars