Noël aux pays du froid
Concert aussi exceptionnel que rare, « Une couronne de roses, Noël orthodoxe » conduisait le Chœur de Radio France sous la houlette de Lionel Sow, son directeur artistique depuis 2022, à explorer trois siècles de musique sacrée orthodoxe, du XVIIe siècle à nos jours.
Développée sur la base du chant byzantin, la musique traditionnelle de l’Église orthodoxe est aussi marquée par les divers territoires où elle a éclos, ce qui la fait relever autant de la création des musiciens au fil des époques que de l’ethnomusicologie, puisqu’elle est nourrie des traditions populaires. Cette dernière est empreinte d’une liberté de rythmes époustouflante, avec des changements à l’intérieur de mesure à l’intérieur d’un même morceau et la prédominance des rythmes impairs. Les chants sacrés sont toujours exécutés a capella.
Les instruments étaient suspects en raison de leurs origines païennes et considérés comme maudits. On raconte qu’au XIIe siècle, l’évêque Cyrille Tourovski vit en songe des démons armés de flûtes, de gouslis (instruments cordophones issus de la lyre ou de la cithare antiques) et de tambourins. Au matin, persuadé que son rêve était un avertissement divin, et effrayé par ce qu’il considéra comme une émanation de l’enfer, il fit interdire les instruments et fit bannir les rhapsodes et autres artistes, poètes et musiciens. Entre déportations et exils volontaires, les musiques instrumentales essaimèrent ainsi à des distances considérables ce qui eut pour effet de contribuer à une certaine homogénéité des traditions musicales !
Lionel Sow © Christophe Abramowitz
Les voix concertantes
C’est avec une direction toute de finesse que Lionel Sow débutait le concert par une œuvre baroque du compositeur ukrainien, Nikolaï Diletsky (1630-1690), avec son Concerto pour double chœur, Vous qui entrez dans l’église. La théâtralisation liée à la division des pupitres ouvre un dialogue alerte et joyeux en une écriture claire aux lignes sobres.
On sautait un siècle pour trois œuvres réparties au long du concert de Dmitri Bortniansky (1751-1825) qui étudia la composition au chœur de la Chapelle impériale à Saint-Pétersbourg auprès de différents professeurs dont le chef de chœur italien Baldassare Galuppi qu’il suivit quelques années en Italie. L’influence italienne se retrouve dans ses œuvres avec l’introduction de polyphonies nouvelles. Le caractère aérien de ses pièces est magnifié par les voix superbement placées du Chœur de Radio France.
Chœur de Radio France © Mathieu Genon
Répondait à son Hymne des chérubins n° 7 celui, contemporain de Krzysztof Penderecki (1933-2020). Une construction au cordeau, un détour par de subtiles dissonances, un son qui circule entre les pupitres, trouve des échos fantastiques, s’élève en architectures somptueuses, part d’unissons larges, les creuse, les multiplie, les orne, les divise, les assemble en un tissage moiré… un coup de poing esthétique !
Le murmure du chœur soutenant le chant délié de la soliste Ursula Szoja dans Quel miracle remarquable de Vasyl Barvinsky (1888-1963) laisse l’auditoire en apesanteur tandis que les deux pièces de Sergueï Rachmaninov (1873-1943), Ô mère de Dieu toujours en prière et Ave Maria déploient leurs harmonies, se jouent des nuances et offrent des fortissimi éblouissants. Le morceau éponyme du concert, Une couronne de roses de Pyotr Ilich Tchaïkovski (1840-1893) fait le pont entre Noël et Pâques, autre grande fête de la liturgie orthodoxe : les roses de la nativité se chargent des épines de la couronne du Christ.
Chœur de Radio France © Christophe-Abramowitz
Enfin, et repris en bis, Les Bergers de Bethléem d’Alexandre Kastalsky (1856-1926) apportaient une conclusion de fête avec son irrésistible crescendo soutenu par le bourdon impressionnant des basses.
Un appel à la paix en cette fin d’année ?
Concert donné le 10 décembre au Grand Théâtre de Provence