La session « composition collective » de l’Orchestre des Jeunes de la Méditerranée œuvrait cette année sur « La mélancolie de Pénélope »
Sous la houlette du compositeur et saxophoniste Fabrizio Cassol se sont livrés au jeu de la composition en groupe les quinze musiciens et musiciennes du bassin méditerranéen, des sessions précédentes de l’OJM, depuis Colin Heller, membre de l’OJM de 2012 à 2014, à Alessandra Soro, arrivée en 2022. Chaque instrumentiste et chanteur se rattache à traditions musicales différentes, certaines par transmission orale, d’autres écrites, du jazz au gnawa sans oublier les musiques savantes européennes et orientales.
Tisser les cultures
Sur scène, se côtoient ainsi le oud (Jawa Manla, Islem Jamaï, Sarra Douik), le guembri (Omarhaba), la lyre et le violon grecs (Athina Siskaki), le violon et le nyckelharpa (Colin Heller), le Kemenche (Elif Canfezâ Gündüz), la clarinette grecque (Panagiotis Lazaridis), la guitare (Matteo Nicolon), le violoncelle (Adèle Viret), la contrebasse (Benoît Quentin), la batterie (Pierre Hurty). Les gammes « européennes » et les gammes « orientales » se frottent, se mêlent, s’enrichissent, jouées avec virtuosité et enthousiasme. Les orchestrations oscillent entre superbes ensembles et soli endiablés, ménagent des temps a cappella où s’élèvent les voix de Fabiana Manfredi, Alessandra Soro, Wafa Abbès, Jawa Manla et des autres instrumentistes. L’un lance l’appel, les autres reprennent en chœur ; les mélodies se modulent, se démultiplient en canon, en contre-chants à la tierce, s’ornementent, choisissent une ligne épure puis s’harmonisent en constellations vibrantes. Les mélismes font écho aux appogiatures, le violoncelle répond au Kemenche… Toutes les possibilités techniques sont explorées, vivifiées par une harmonie sans cesse remodelée.
Fabrizio Cassol – OJM (Jawa Manla)- Festival d’Aix © Vincent Beaume
Oratorio de Pénélope
Le thème de Pénélope, l’épouse d’Ulysse, qui « sagement » attendit vingt années le retour du héros parti pour la guerre de Troie, est l’un des axes de la programmation du festival 2024 (projection du film d’Angelopoulos, Le Regard d’Ulysse (Το Βλέμμα του Οδυσσέα), Il ritorno d’Ulisse in patria de Claudio Monteverdi, sans compter l’allusion à la guerre de Troie avec Iphigénie en Aulide et Iphigénie en Tauride de Gluck)
Cependant, les jeunes musiciens de l’OJM ne le traitent pas du point de vue masculin, ni ne considèrent la reine d’Ithaque comme une potiche attendant, imperturbable, nouant et dénouant les fils de son métier à tisser pour éviter un nouveau mariage avec l’un des prétendants, avides de s’emparer de son île par cette union. Son nom la prédestine à ce déchirement, constitué de « pênê » (trame, tissu, toile) et « lépo » (déchirer, écorcher), littéralement, « celle qui déchire la toile ». Femme de pouvoir, d’intelligence, de sentiments puissants, la Pénélope de l’OJM est un personnage nuancé et fort, dont la personnalité résiste à l’usure du temps et des choses, sait garder intactes ses émotions, se refuse à être le jouet du pouvoir masculin, triomphe par sa force de résilience et finalement vainc.
Fabrizio Cassol – OJM- Festival d’Aix © Vincent Beaume
L’unité de l’œuvre présentée, sa variété mélodique et rythmique, la multiplicité de ses registres, la palette de ses couleurs, sa vivacité, son tempo soutenu, subjuguent. Souvent on se dit que là, il y a un « tube », un air à enchanter le monde. La construction rigoureuse des textes, tous écrits par les musiciens ou nés de la tradition, et leur osmose avec les musiques mises en œuvre accorde une unité souveraine à l’ensemble. Un diamant taillé.
12 juillet Conservatoire Darius Milhaud, Aix-en-Provence