La chanteuse, auteure et compositrice Souad Massi posait un temps ses valises au Grand Théâtre de Provence. Rarement, le public de cette salle, venu en nombre applaudir la « Joan Baez arabe », a été aussi divers et ouvert.
Au programme, le répertoire de son dixième album, Sequana, offrait un véritable voyage musical et humain. Entre retour aux lieux de son enfance, lutte contre les dictatures de tout genre, la musicienne pose une voix qui sait se glisser dans le registre multiple des émotions tandis que ses sidemen rivalisent de virtuosité et d’inventivité : volutes aux mélismes aériens du violon de Mokrane Adlani, percussions virevoltantes de Rabah Khalfa, guitare époustouflante de Ralph Lavital, batterie imperturbable de Maamoun Dehane, basse aux accents magiques de Guy Nsangue.
Souad_live_03-03-23 © Noelle Ballestrero
Tout commence sous les auspices du conte initiatique et du voyage poétique avec un clin d’œil à Saint-Exupéry : « Dessine-moi un pays ». Ne résistons-pas au plaisir de noter quelques vers de la chanson : « Dessine-moi un foyer avec de grandes fenêtres, /Afin que la lumière pénètre mon cœur./ Dessine-moi un oiseau, un oiseau libre que personne n’a acquis (…) / Dessine-moi le sourire d’un résistant, / La vue des visages humiliés m’indigne,/ Car le sang de la liberté nourrit mes veines./ Dessine-moi un pays que nul autre artiste n’a dessiné ». Tout fait sens au fil des textes qui se mirent dans les accords folk, chaâbi, rock… « Choisis les poèmes que tu chanteras » dit-elle dans Une seule étoile.
Les images se succèdent, fortes, belles, et si l’on ne comprend pas la langue de certains titres, comme Nousik, Oumnya, Amessa (…), on se laisse séduire par les sonorités, les rythmes, les intonations, les syllabes rugueuses qui se fondent en douceur. Les amours sont parfois malheureuses, comme dans Deb (Heart broken), mais l’espoir et l’esprit voyageur balaient tout : « Si j’étais un petit oiseau / Je volerais dans les cieux/ Je traverserais des montagnes et des rivières »…
Quelques pièces ne sont pas des compositions de la musicienne, mais magnifiquement choisies et réorchestrées, ainsi Hurt de Johnny Cash qui débute en folk et dérive sur un ébouriffant final rock avec guitare, basse et batterie.
Souad_live_03-03-23 © Noelle Ballestrero
Si la douleur est « la seule chose qui existe », pour renouer avec les sensations, la mémoire ne meurt pas… La liberté, l’amour se tiennent debout face aux oligarchies qui cherchent à tout museler. Symbolique de cet univers de luttes, émeut profondément le chant dédié à Victor Jara, Victor (le son de la main). Pour cette chanson, l’artiste quitte sa guitare : le poète assassiné par la junte chilienne de Pinochet avait eu les mains massacrées, il fallait détruire le guitariste… mais « le temps et ta voix témoigneront ».
Tout est métaphore, les mots et les notes nous parlent de beauté, d’indignations, de liberté… Comme la déesse gauloise de la guérison, Sequana, l’art aurait-il la faculté de guérir ou du moins de trouver un diagnostic clairvoyant sur nos sociétés ?
Le public du GTP fait une standing ovation à l’artiste, rareté en ces lieux !
Concert donné le 27 septembre au Grand Théâtre de Provence, Aix-en-Provence