Le duo Keyife, fondé en 2023, prend la source de son nom dans le mot turc « keyif » traduisant l’art de prendre son temps et d’être serein, explique volontiers l’un de ses deux fondateurs, Christian Fromentin (chant, violon, kamantcheh persan, oud, saz). Avec Fathi Belgacem (cajun, darbouka, bendir, konnakol), il arpente en infatigable voyageur les univers des musiques traditionnelles orientales, les contextualisant dans leurs contrées, leurs parcours, leurs emplois, leur histoire et les faits historiques qui les entourent, faisant entendre les similitudes et des particularités propres à chaque type musical, depuis les langues employées, les rythmes, les diverses variations mélodiques, les instruments de musique, les modes de composition.

,À Trets, dans le cadre des manifestations programmées grâce à l’association Par les Villages, le duo se muait en trio avec, pour la première fois, Hédia Chaffaï au qanun. Prenant la « grande porte d’entrée en Orient », le groupe abordait sa traversée par la Turquie avec un air traditionnel, Romane, et poursuivait avec Longa Soltaniyegah, pièce de Udi Yorgi Bacanos (1900-1977), né dans une famille tsigane grecque et considéré aujourd’hui comme le fondateur de l’école moderne du jeu de l’oud, lui apportant nombre d’innovations techniques.

Keyife à Trets Nov. 2024 © MC

Keyife à Trets Nov. 2024 © MC

Les chansons turques suivent, opérant un grand écart entre la musique urbaine et celle des campagnes, le « rock » stambouliote de Barış Akarsu (1979-mort en 2007 dans un tragique accident de voiture alors qu’il se rendait à une fête), Rüzgar, et les traditions d’Anatolie avec Uzun ince du poète, chanteur, joueur de saz et compositeur, Âşık Veysel, ainsi surnommé (son vrai nom étant Veysel Şatıroğlu), « Âşık », c’est-à-dire, « troubadour ».

Les mélodies d’une infinie richesse passent d’un instrument à l’autre en une conversation complice qui offre à chacun des solos vertigineux. Les quarts de ton s’enivrent de variations subtiles. Mélismes et autres ornementations redessinent les architectures ouvragées où le qanun s’emporte, les cordes du saz ou du kemantche se démultiplient tandis que le violon, une petite merveille du XIXe, nourrit les mélodies de ses couleurs orientales et que les percussions complexifient à loisir les rythmes premiers jonglant entre les pairs et les impairs, du quatre au neuf, dix ou douze temps quant la voix du percussionniste ne se lance pas dans une longue improvisation aux fragrances de l’Inde avec le fameux konnakol qui par ses syllabes simples rend la voix égale aux autres percussions (tha, ti, ke, di, me, dju…).

Keyife à Trets Nov. 2024 © MC

Keyife à Trets Nov. 2024 © MC

Une composition de Christian Fromentin, Rose des vents, conjugue sa poésie avec celle de l’Astrakan café d’Amouar Brahem (Tunisie) après un détour par l’Égypte où se chantent les amours, Katwat habibi (Abdel Wahab). Le trio sonne alors comme un orchestre, puis se livre à une démonstration du mode « rast » le plus utilisé en musique orientale dans Samai Rast de Djamel Abid ou le traditionnel Takhmila Rast. Une pensée rapellera la richesse culturelle du Liban avec Samai Bayati de Marcel Khalife. Les chants traditionnels d’Arménie, de la tradition séfarade de Smyrne, jouxtent un air turc. En musique les peuples s’entendent et les mélodies voyagent comme ce Parfum de gitane d’Anouar Brahem. Douceurs et envols…

Concert donné le 15 novembre au Château des Remparts de Trets