C’est acté, décidément, le Blues Roots Festival de Meyreuil, en signant sa cinquième édition, inscrit les paysages de la Sainte-Victoire au cœur du monde foisonnant du blues, avec des programmations d’une tenue internationale 
Les trois soirées du festival s’articulaient chacune en deux temps, un artiste jeune déjà solidement confirmé puis une légende. 

Hymne à la liberté

Le guitariste allemand surdoué Henrik Freischalader (toujours coiffé de sa casquette Peaky Blinders) ouvrait le bal avec ses complices Moritz Fuhrhop (orgue Hammond), Armin Alic (basse), Hardy Fischötter (batterie).

« Le blues est pour lui plus que de la musique, c’est sa vie », souriait le directeur artistique André Carboulet,… « Dans mon nom, il y a « liberté », soulignait le musicien, « frei ». « How much money do you need to feel alive / How much money can you spend to help someone », interroge sa chanson The Question, extraite de son dernier disque, une ballade puissante aux accents groove de guitare heavy bluesy vibrants. La technique somptueuse du musicien se joue des sonorités rétro-70, se mariant avec une voix émouvante pour un blues intemporel qui ne néglige pas la joie de la danse même lorsqu’elle dit « my baby don’t love me no more ». Le blues magnifié par les duos époustouflants entre les instrumentistes, les solos emportés, préfigurent la légende en devenir !

Henrik Freischlader au Blues Roots Festival © François Colin

Henrik Freischlader © François Colin

Nikki et Jules, traduisez Nicolle Rochelle (chant, danse, « la » Joséphine Baker » de Jérôme Savary) et Julien Brunetaud (pianiste génial), apportaient leur verve et leur humour accompagnés de Sam Favreau (contrebasse), Cédrick Bec (batterie) et Jean-Baptiste Gaudray (guitare) le soir suivant. Leur propos abordait le « deuxième versant de la grande vague du blues : boogie-woogie, rhythm and blues… ».

On glisse vers la New Orleans, on tangue dans un « slow blues », on s’égare dans le funky de Mountain blues (composition de Nikki & Jules) avant le final qui propose Let’s make a better world (Earl King). La vivacité des utopies berce ces musiques généreuses.

Le lapstick de Laura Cox permettait un hommage à la musique country qui l’a nourrie avant de décliner un rock addictif qui flirte parfois avec les inflexions du groupe Popol Vuh (qui a tant composé pour le réalisateur Werner Herzog). Toute fine sur scène, la jeune guitariste, chanteuse et compositrice, impose une présence forte qui dynamise ses musiciens, Antonin Guérin (batterie), Adrien Kah (basse et chœur), Florian Robin (claviers). Se riant des diktats que l’apparence génère, avec ses airs d’enfant sage, elle décide de sa musique, le rock, utilisant souvent la technique du « chiken picking » de la country, pour un concert de haute volée.

 

 

Le temps des légendes

Nikki & Jules au Blues Roots Festival © François Colin

Nikki & Jules  © François Colin

Laura Cox au Blues Roots Festival © François Colin

Laura Cox  © François Colin

Le pionnier de l’harmonica en France, Jean-Jacques Milteau  (JJ !) s’amuse aux traversées transatlantiques des musiques, vous donne rendez-vous à Memphis, allume la radio sur Elvis Presley boulevard, emprunte la route 61, direction le Mississipi…

Et comme « l’ensemble est supérieur aux parties », il réunit autour de lui, outre ses instrumentistes, Jérémy Tepper (guitare), Gilles Michel (basse), Eric Lafont’ (batterie), deux chanteurs aux voix opposées, l’un ancré dans la terre et les rocailles, l’autre tutoyant les nuages, Michael Robinson et Ron Smyth qui offrirent des duos sublimes où chaque timbre enrichissait l’autre.

Le blues retrouve ses racines gospel, arpente les titres des albums. Will you come with me? « Oui ! » entend-on crier dans l’assistance.

A bluesman came to town, le guitariste et chanteur Tommy Castro annonçait :“It’s party time tonight” et enchaînait ses tubes, The pink lady, That girl, Blues prisoner, avec un sens très théâtral en une plongée vertigineuse dans le grand bleu du blues.

JJ Milteau Sextet au Blues Roots Festival © François Colin

JJ Milteau Sextet  © François Colin

Tommy Castro au Blues Roots Festival © François Colin

Tommy Castro  © François Colin

Le festival se refermait en pyrotechnie avec Sugaray Rayford, géant de la scène, endroit où il se sent chez lui, présent dès le changement de plateau, blaguant avec les techniciens et ses musiciens, s’adressant au public comme à des amis, « les gouvernements sont fous, tous, mais les peuples sont beaux, et ce sont eux que j’aime ».

La chaleur humaine est aussi une histoire de blues avec un orchestre éblouissant, (« ils peuvent jouer n’importe quoi » affirme Sugaray, exemples à l’appui), guitare stratosphérique de Daniel Avila, trompette (Julian Davis), sax (Derrick Martin), batterie (Ramon Michel), basse (Allen Markel) imperturbables malgré les frasques espiègles de Sugaray dont le chant conte, s’indigne, prend des allures de prédication des églises américaines, confie.

On n’oubliera pas de sitôt la reprise par Robert Drake Shining aux claviers et au chant du célébrissime Comfortably Numb (The Wall, Pink Floyd), ni de l’intervention impromptue en « guest star » de l’épouse du bassiste, feu follet à la voix bigrement groovy, ni le dernier chant, a cappella, de Sugaray, assis sur une caisse, face au public, un What a wonderful world (Louis Armstrong) qui nous rappelle combien l’art est capable de rapprocher les mondes et de lutter pour la paix.

Blues Roots Festival du 7 au 9 septembre, domaine de Valbrillant, Meyreuil

Pour expliciter le titre: Le terme blues vient de l’abréviation de « Blue devil », expression anglaise pour « idées noires »

Sugaray Rayford au Blues Roots Festival © François Colin

Sugaray Rayford  © François Colin