Le Festival d’Aix ouvre de larges pages au jazz et aux jeunes interprètes dont l’originalité, la passion, l’intelligence musicale dessinent des concerts d’anthologie dans la cour si sage de l’Hôtel Maynier d’Oppède.
Le jazz, un art engagé
Femme instrumentiste, dans le domaine du jazz, ce n’est pas encore totalement une évidence, et saxophoniste encore moins, si ce n’est dans les dernières années où enfin, elles s’imposent dans ce monde assez fermé malgré ses aspirations de liberté musicale. Lakecia Benjamin, lauréate du Deutscher Jazzpreis Award du meilleur instrument à vent international, arrivait en star sur la scène aixoise, vêtue d’or et d’argent, soulignant avec humour son statut. « We celebrate life tonight ! » s’exclame-t-elle, c’est comme pour un «amazing grace ».
La géniale saxophoniste, entourée d’Ivan Taylor, contrebasse, Zaccai Curtis, piano et E.J. Strickland, batterie, dévoile les morceaux de son tout nouveau CD, Phoenix, qui célèbre la vie autant parce que tout s’est arrêté durant la pandémie qu’elle est une miraculée d’un accident de la route. Les grands thèmes des musiques de John Coltrane et surtout d’Alice Coltrane deviennent l’étoffe de compositions veloutées sur lesquelles un piano limpide vient rêver, souligné par la contrebasse et les inventions percussives de la batterie. Les pièces se nourrissent aussi des univers plus contemporains, passant de leur ancrage dans le blues à des envolées de free jazz, flirtent avec le slam, revisitent la ballade, font un clin d’œil à l’œuvre de Basquiat, replongent dans la profondeur du gospel, lient intensément création et discours engagé pour la défense de la paix, des droits humains, parodient au passage certains rythmes de marche militaire ou reprennent le poème de la poétesse et militante féminise Sonia Sanchez, Peace is a Haiku Song qui voit les mains de toutes les couleurs battre des ailes comme des papillons. Le jeu précis et inspiré de la saxophoniste semble s’abstraire des limites physiques. La main gauche virevolte sur les clapets puis s’en détache à la fin des motifs comme pour laisser les sons s’envoler, libres dans la vibration de leurs harmoniques.
Lakecia Benjamin, Festival d’Aix © Vincent Beaume
Un trio à cinq voix
Le Trio Noé Clerc, Noé Clerc, accordéon, Clément Daltosso, contrebasse, Elie Martin-Charrière, batterie, se présentait en quintet sous les grands platanes de Maynier d’Oppède avec deux nouveaux complices, Robinson Khoury, trombone et Minino Garay, percussions.
Créatifs et espiègles, les musiciens dessinent leur Secret Place (leur dernier album), avec une palette qui puise dans de multiples univers, blues, jazz, musiques contemporaines et traditionnelles, le tout avec une finesse d’orchestration rare. Les Premières pluies, « de la goutte d’eau à l’averse puis à la tempête », sourit Noé Clerc, précèdent le tableau coloré et impressionniste de Blue mountain, dont les couleurs varient tout au long de la journée, s’inspirant au passage du blues, d’une note jazzée et de lointains airs balkaniques. Se greffent des passages dus aux autres musiciens : un mélange époustouflant de jazz, tango, et poèmes déclamés en castillan par Minino Garay (extraits de son dernier album, Speaking Tango), éblouissant Distancing from reality de R. Khoury. On découvre l’accordina dans la chanson en occitan Canson, on valse-musette avec La Mystérieuse (Jo Privat), on part en Arménie grâce à Arapkir bar… Voyages oniriques comme seule la musique sait les créer.
Noé Clerc Trio, Festival d’Aix © Vincent Beaume
Noé Clerc Trio Festival d’Aix © Vincent Beaume
Concerts donnés les 11 et 15 juillet à l’Hôtel Maynier d’Oppède dans le cadre du Festival international d’Art lyrique d’Aix-en-Provence