À l’heure de Diane
La Madrugada, cette heure crépusculaire où le jour hésite, donne son nom au spectacle délicatement tissé de poésie et de musiques de Mandy Lerouge. Quittant l’urbanité du tango, l’artiste nous convie à un parcours dans les campagnes du nord de l’Argentine, au cœur des provinces de Misiones et de Santiago del Estero. Là, guarani et quetchua rencontrent l’espagnol. Les mélodies se fondent à la variété des paysages, et la voix de l’interprète se glisse avec bonheur dans ce répertoire qui joue avec la lumière. En cadeau, aux prémices du concert, devant une salle comble, les voix naïves des enfants de l’école primaire voisine entonnent le refrain de la berceuse d’Atahualpa Yupanqui, Duerme Negrito. Le petit dormeur sera protégé du « diable blanc » et du puma tandis que sa maman travaille, endeuillée, pour lui rapporter « beaucoup de choses »… sans doute les petits élèves se laissent aller à la magie du chant sans connaître la portée des paroles, ni l’implication du compositeur né à Tucuman contre les injustices. Les diverses pièces de Yupanqui, Ariel Ramirez, Ramόn Ayala, Linares Cardoso, Virgilio Carmona, Danel Toro (…), évoquent la condition humaine, depuis ses petits drames individuels, à la solitude tragique de l’homme que la luna tucumana accompagne dans son voyage solitaire… Les mots de l’artiste sur scène croisent ceux des compositeurs. Les souvenirs résistent «au poignard de l’hiver ». Milonga, chamané, zamba, chacarera soulignent de leurs rythmes la profondeur des évocations, vastes paysages qui se resserrent sur une couleur, une impression… fugacité du temps saisie dans les rets des mélodies, alors que « la musique pense dans les mains » des musiciens, Javier Estrella aux percussions, Felipe Nicholls à la contrebasse, Lalo Zanelli, enfin, dont les compositions irriguent le spectacle de leur lumineuse évidence. La jeune artiste, soutenue par la Cité de la Musique de Marseille et le Pôle des musiques du monde de l’Espace Culturel de Chaillol pour cette création, sait lui insuffler fraîcheur, grâce, humour. Le public savoure chaque instant avec délectation, comme les empanadas, ces succulentes spécialités de Tucuman!
Vu le 18 janvier, salle du Fayore, Saint-Michel de Chaillol (article paru sur le site de Zibeline)
Musique du crépuscule
Le CD de Mandy Lerouge, La Madrugada sort enfin ! Un voyage s’offre dans l’Argentine nordique où la chanteuse a suivi Gauchos et musiques traditionnelles choisissant les meilleurs guides, Atahualpa Yupanqui et surtout Mercédes Sosa. La vie rurale nourrit ce répertoire, on croise le cueilleur de coton, El Cosechero de Mercédes Sosa, qui, venu de la région de Corrientes, « chante ses espoirs » alors que « gémit un lent chamamé », qui accompagne le Peoncito de Estancia… L’initiation se conquiert par la marche, arpente à longues foulées les terres où naissent les chants, le « marcheur » d’Atahualpa Yupanqui, « largue ses couplets au vent » dans la Chacarera de las piedras, tandis que luit la Romance de la luna Tucuma et que les terres sablonneuses offrent leurs reliefs incertains avec La Arenosa. On se hâte dans la province de Buenos Aires pour la danse hors du temps de la Zamba para no morir, extase immobile, avant de se rendre à Tilcara, village de la province de Jujuy, pour une évocation instrumentale de l’Altiplano. La profondeur de La Noche (où la voix de Melingo répond puis se mêle aux couplets de Mandy en un chant intime) précède Un escandalo cualquiera qui s’ouvre en un subtil tango avec la contrebasse de Felipe Nicholls que reprennent les percussions de Javier Estrella et le piano jazzy de Lalo Zanelli (aussi aux voix additionnelles et aux arrangements), déployant de larges et oniriques espaces que le violoncelle de Vincent Segal ourle de ses notes fluides. La voix de la chanteuse sait se glisser dans tous les tempi avec une délicate élégance, se pose, étirée en arc-en-ciel, sur la Zamba de Lozano qu’amorce un superbe prélude au piano, apporte les orbes d’une mélodie sur les percussions initiales de Entre a mi pago sin golpear. Un parfum d’innocence première enveloppe le dernier passage, El Boyero (le bouvier), grâce à un chant d’oiseau, pureté des débuts d’un monde. Une ode à la simplicité. Un petit bijou.
La Madrugada, Mandy Lerouge, production Le Fil Rouge, Label Management WTPL / Art Trouble, réalisé par Vincent Segal, distribution Pias / Believe, 15€
Sortie nationale le 27 novembre 2020