Quelle manière délicate de refermer un festival d’un mois qui a arpenté les multiples variations du piano et des cordes au fil des siècles que de proposer un concert d’Adam Laloum ! 
Sans aucun doute, l’art subtil de ce pianiste est capable de résumer en une soirée l’esprit de l’ensemble de cette fantastique fête musicale. 

Une musique en miroir

Le programme jouait sur la mise en miroir de Schubert et de Schuman. Les premières et deuxièmes parties du concert présentaient une sonate de Schubert puis une œuvre de Schumann, laissant entendre ici et là les échos de sensibilités exacerbées qui se rejoignent par le biais de la musique.

La Sonate pour piano en la bémol majeur D.557 de Franz Schubert ouvrait la soirée par sa simple gaité, flirtant quelque peu avec un esprit baroque ou mozartien, toute d’élégance et de  distanciation. Lui succédaient les Kreisleriana opus 16 de Schumann.  « Encore ! » maugréait le spectateur qui en avait déjà écouté quelques versions lors du festival. Bien vite cependant l’agacement de la réitération s’effaçait devant l’interprétation du pianiste qui, même s’il avoue une éternelle insatisfaction après les concerts tant il est exigeant avec lui-même, en offrait une lecture rendant compte de son caractère halluciné : le thème fantastique de l’ouvrage d’E.T.A. Hoffmann fait apparaître un vieux et inquiétant kapellmeister, Kreisler, dont le génie n’a d’égal que la folie. Ses deux penchants représentés pour Schumann par Eusebius et Florestan incarnent exaltation et dépression dont les alternances évoquent l’amour ressenti par le compositeur pour Clara qui deviendra sa femme. Le caractère fantasque de la partition avec ses orages et ses accalmies est rendu avec subtilité par Adam Laloum : on rêve, on s’emporte, on se plonge dans l’opalescence des harmonies ou le tourbillon des triolets. Schumann affirma toute sa vie que son « œuvre préférée ce sont les Kreisleriana ».

Adam Laloum à La Roque d'Anthéron 2024

Adam Laloum © Valentine Chauvin 2024

Une seconde partie enivrante

La Sonate n° 7 en mineur D.566 de Schubert déclina sa singulière beauté entre expression du bonheur et appréhension du désespoir, conjuguées en une écriture infiniment poétique dont la fragilité chante jusqu’aux frontières de la brisure et s’achève par un sourire.

Le cycle de huit pièces pour piano, les Novellettes, de Schumann est très rarement donné en intégralité. Le plus souvent les artistes en réservent un fragment pour les bis, sans doute en raison de la virtuosité et de la difficulté de l’ensemble. Si le compositeur confiait qu’il s’agit « de longues histoires excentriques, mais d’un seul tenant, (…) des badinages, des histoires d’Egmont, des scènes de famille, un mariage, bref rien que les choses les plus chères et les plus aimables », l’organisation des saynètes de ce cycle ne sont présentées sur la feuille de salle que par les intentions des registres à mettre en valeur : « marqué et vigoureux », « extrêmement vite et avec bravoure », « léger et très vif », « bruyant et solennel »… L’abstraction naît ici, le sens se déploie à travers la cohérence interne du cycle qui dessine ses propres reflets, joue avec les œuvres antérieures du musicien, donne à entendre des passages des Kreisleriana, se grise d’effets de lumières en d’énigmatiques réverbérations.

Adam Laloum à La Roque d'Anthéron 2024

Adam Laloum © Valentine Chauvin 2024

Pyrotechnie vibrante où le pianiste ne cherche pas à briller mais accorde aux pages qu’il interprète leur pulsation interne et leur sens… Délicat prolongement de la magie, le Moment musical n° 6 en la bémol majeur de Schubert venait clore de sa bulle poétique un festival d’enchantements qui, malgré les manifestations mondiales organisées sur le territoire a su maintenir une qualité sans concessions, une variété programmatique époustouflante portée par les plus grands interprètes de la planète.

Concert donné le 20 août 2024 au parc de Florans, La Roque d’Anthéron

Adam Laloum à La Roque d'Anthéron 2024

Adam Laloum  © Valentine Chauvin 2024