La quarante-neuvième édition du Festival de Quatuors du Luberon était placée sous le double signe de Clara Schumann et Joseph Joachim. La sublime pianiste et compositrice et le génial violoniste et compositeur se connaissaient et s’appréciaient. « Que vous soyez une femme me semble n’avoir rien à faire là-dedans (…). De toute façon en ce qui concerne l’art vous êtes suffisamment homme » déclarait ce dernier à Clara Schumann afin de lui montrer son admiration musicale, souligne avec humour dans son éditorial, la présidente de l’association des Amis de la Musique du Luberon et du Pays d’Aix qui organise le festival, Hélène Caron Salmona. C’est sous le signe de ces deux immenses musiciens que se plaçait l’édition 2024 du festival : « lorsqu’on écoute une œuvre de la musique de chambre romantique allemande, on peut être sûr que Clara et Joseph l’ont entendue, interprétée, commentée et ont probablement pesé sur sa composition. » (Ibidem). 

Une force qui va !

Le concert de clôture était assuré pour la deuxième fois consécutive par le Quatuor Hernani dont le nom est un double hommage à Victor Hugo et Verdi. Louise Salmona, Lise Martel (violons), Marion Duchesne (alto) et Tatjana Uhde (violoncelle), toutes quatre solistes à l’Opéra de Paris, offraient un programme puissamment romantique, débutant par le Quatuor opus 41 n° 3 que Robert Schumann dédia à Mendelssohn.

Une infinie douceur teintée de gravité se mêle aux souffles du soir. Les élans lyriques alternent avec l’ombre de pensées tristes, échos des sentiments du compositeur qui fit entendre les trois quatuors -Schumann, très inspiré alors, avait achevé en cinq semaines les trois quatuors à cordes de l’opus 41- à Clara, son épouse, le soir de son anniversaire le 13 septembre 1842. L’originalité du style schumanien ajoute à l’hommage à l’écrasant héritage beethovénien de délicates digressions en forme de variations, s’emballe en une danse éperdue, tournoiements colorés peuplés de fulgurances…

Quatuor Hernani au Festival des Quatuors de Luberon

Quatuor Hernani, Silvacane © XDR

Suivait l’expressivité de Langsamer Satz d’Anton Webern, au romantisme post-brahmsien. L’excellent programme, qui joue aussi le rôle de feuille de salle, fouille les origines de la partition de ce Mouvement lent composé en 1905, et rappelle qu’elle fut égarée et retrouvée seulement « en 1960 dans le village de Pertoldsdorf, au sud-ouest de Vienne (…) et en sera créé qu’en 1962 » !  En effet, exigeant au plus haut point, Anton Webern qui aurait été inspiré par une randonnée printanière avec celle qui deviendra sa femme, rejeta ensuite son œuvre. Sans doute, la subjectivité de cette pièce ne correspondait pas au langage musical forgé par le compositeur qui chercha à la gommer dans son utilisation des douze sons chromatiques. Ici, c’est sa passion, les élans de son amour naissant qui transparaissent grâce à la finesse du jeu des interprètes : mélodies scandées par des pizzicati avant de se fondre dans la vaste respiration des quatre instruments. Cette musique d’effusions tendres répond aux propos que Webern écrivit lors de ce voyage : « marcher pour toujours parmi les fleurs, avec ma bien-aimée auprès de moi. Se sentir si puissamment ne faire qu’un avec l’Univers, sans inquiétude aucune, – oh, quelle splendeur… lorsque la nuit tomba, le ciel versa des larmes amères, mais avec elle je marchais le long du chemin. Un manteau nous abritait. Notre amour s’éleva et emplit tout l’Univers ». Bien loin de Schoenberg qui influença tant Webern !!!

Un orchestre à cinq !

Le pianiste Guillaume Sigier venait rejoindre le quatuor pour le Quintette avec piano opus 34 en fa mineur. 

L’histoire de cette œuvre est assez rocambolesque : au départ, Brahms avait écrit pour quintette à cordes avec deux violons, un alto et deux violoncelles, mais le merveilleux pianiste qu’il était n’était pas satisfait du rendu de l’œuvre, et transforma d’abord sa partition pour être jouée par deux pianos, mais il n’en fut pas content, et Clara Schumann lui suggèra : « l’œuvre est splendide mais elle ne peut pas être dite une sonate. C’est une œuvre si pleine d’idées qu’elle requiert un orchestre entier » (in la feuille de salle). Il revoit sa copie, y ajoute couleurs, matière, profondeur, et transforme la partition en un quintette pour piano, deux violons, un alto et un violoncelle.

Quatuor Hernani au Festival des Quatuors de Luberon

Quatuor Hernani, Silvacane © XDR

Les cinq interprètes s’unissaient à la manière d’un orchestre aux pupitres fortement caractérisés et accordaient par leur virtuosité une intensité et une élégance rare à ce chef d’œuvre absolu. Houle vivante aux clairs-obscurs veloutés, cette pièce en quatre mouvements semble croiser tous les registres en une richesse de thèmes et de structures qui lui donne les vertus d’un immense poème aux irisations mélancoliques d’une sublime évidence magnifiée par l’acoustique de l’abbaye de Silvacane.

Concert donné à l’Abbaye de Silvacane le 1er septembre 2024 dans le cadre du Festival Les Quatuors du Luberon

Quatuor Hernani au Festival des Quatuors du Luberon

Quatuor Hernani Abbaye de Silvacane  © XDR