Jouer collectif!

Jouer collectif!

La nouvelle création de Raoul Lay dans le cadre du projet Transmission #8 du Conservatoire TPM, Le tournoi des sixtes, réconcilie les disciplines du spectacle vivant
Le chapiteau Circoscène de La Seyne-sur-Mer affiche complet pour Le tournoi des Sixtes, un projet qui tient de la gageure : mettre en scène un spectacle qui réunit théâtre, danse, musique, chant, vidéo, le tout relié par un personnage qui tient du Prologue antique et du monsieur Loyal de cirque, éblouissante Agnès Audiffren qui porte sans ciller accumulations désopilantes et verbe flirtant entre les genres, théâtre, art du bateleur, performance, variant intonations, registres, hauteurs d’une voix qui plonge magnifiquement dans les graves.

Le fil du récit peu à peu se dévoile, sur fond de vie de lycée, de bal de promo, de match de foot, d’amours adolescentes contrariées, de racisme. On oscille entre Roméo et Juliette et West Side Story. Le Ballet Junior du conservatoire TPM apporte sa vivacité aux chorégraphies d’Héla Fattouni et Eric Lamoureux (CCN de Belfort), tandis que les élèves de théâtre du conservatoire TPM s’emparent de leurs personnages en les mettant en doute avec humour, établissant un jeu entre la fiction et le réel que soulignent les vidéo de Thomas Fourneau (extraits de matchs, dont le célèbre duel Saint-Etienne / Bayern de Munich à Glasgow en 1976, d’émissions comme Apostrophe, ou encore de l’île aux enfants avec Casimir…).

Le Tournoi des Sixtes © ensemble Télémaque

Le Tournoi des Sixtes © ensemble Télémaque

Il y a un regard un peu nostalgique, des rires, une musique déclinée avec le talent de l’ensemble Télémaque, et des élèves du conservatoire. Les notes descendantes de l’introduction donnent la clé du dénouement avant de se glisser dans des univers plus allègres, accompagnent le bal, sous tendent les tergiversations des personnages, déployant leur richesse équilibrée et foisonnante, naviguent entre les époques, rappellent des accents des airs pop de l’année 1976, s’ancrent dans notre présent. Ébouriffante jonglerie qui s’achève par l’onirisme des voix fraîches des enfants de la maîtrise du conservatoire et de l’opéra TPM sous la houlette de Christophe Bernollin.

Le Tournoi des Sixtes a été donné les 23 et 24 mars au Chapiteau Circoscène de La Seyne-sur-Mer

Une légende au Charlie Jazz Festival

Une légende au Charlie Jazz Festival

Le festival de jazz vitrollais a débuté dans un climat hanté par les menaces électorales et a fait la démonstration éblouissante de ce qu’est le vrai partage

Vendredi 5 juillet, à la veille du week-end d’un second tour annoncé sans suspense par les médias qui envisageaient de bien sombres nuages, s’ouvrait la 26e édition du Charlie Jazz Festival, concoctée avec minutie par son directeur, Aurélien Pitavy. « Le jazz est un symbole de résistance aux préjugés, aux sectarismes, aux exclusions et le festival Charlie Jazz est un festival à taille humaine qui défend ces valeurs », affirmait avec force le président de Charlie Free, Franck Tanifeani.

Le bonheur d’être

 Après la fraîcheur vivifiante d’Accoules Sax, « La » fanfare de jazz-funk marseillaise, la petite scène des Moulins invitait Méandres, groupe soutenu par Charlie Jazz Festival qui lui a commandé cette saison une nouvelle création. Les trois complices Emmanuel Cremer (violoncelle), Fabien Genais (voix, saxophone alto), Uli Wolters (vibraphone, flûte) avaient pour l’occasion convié Émilie Lesbros (voix) et Mike Ladd (spoken word). Le groupe se livre à des expérimentations de rythmes, de dissonances, d’échos, soutient une parole engagée qui ironise que les « gens bien devant leur télévision » ou « les marionnettistes qui nous tirent par leurs files et nous rendent claustrophobes de notre propre existence ».

Marcus Miller sur la scène des Platanes du Charlie Jazz Festival © Gérard Tissier

Marcus Miller sur la scène des Platanes du Charlie Jazz Festival © Gérard Tissier

Au temps des légendes

Attendu par un public très nombreux, l’immense bassiste Marcus Miller, dont il est inutile de reprendre le CV tant il est impressionnant, venait sur la scène des Platanes, entouré des remarquables Xavier Gordon (claviers), Russel Gunn JR. (trompette), Donald Hayes (saxophone) et Anwar Marshall (batterie).
Dédicaces à des monstres du jazz, évocation de Gorée, l’île des esclaves du Sénégal, évocation de compagnonnages, celui avec Miles Davis bien sûr, avec Tutu, mais aussi hommage à Jaco Pastorius le génial bassiste de jazz et jazz fusion américain… Les solos de saxophone brillaient par leur élégante fluidité.
Chacun avait sa place dans le concert. Il est indéniable que le slap ébouriffant de Marcus Miller (jeu avec le pouce), ses slides acrobatiques, la puissance et la virtuosité de son approche, la variété des techniques, des registres, des univers, subjuguent. On sourit aux citations, un parfum de Bob Marley, un écho de David Sandbron… Magie éblouissante sous les platanes.

Concert donné le 5 juillet au Domaine de Fontblanche, Vitrolles.

De la salle Gaveau aux contreforts de la Sainte-Victoire

De la salle Gaveau aux contreforts de la Sainte-Victoire

Triptyque de luxe proposé par Bilala Alnemr, fondateur du Festival de musique de Vauvenargues aux côtés du pianiste Jorge Gonzalez Buajasan !
Point commun entre les trois œuvres au programme, elles ont été créées à Paris, dans la mythique salle Gaveau. En ouverture, histoire de « se chauffer les doigts », la Sonate en sol mineur L.140 de Claude Debussy déclinait la mosaïque de ses thèmes. Le compositeur, alors très malade, écrivant pendant la guerre, voulait obtenir un « joyeux tumulte », parcouru de frémissements douloureux, « comme si on écoutait une âme quittant son corps en agonie », commente Bilal Alnemr.

Autre drame en trois actes, la Sonate FP 119 de Francis Poulenc éblouissait par sa précision d’orfèvre. Créée en juin 1943, malgré sa détestation pour cette forme dont il disait « le violon prima donna sur piano arpège me fait vomir », Poulenc la composa à la demande insistante de la  violoniste Ginette Neveu. Hommage à Lorca, la partition très contrastée avec des passages rythmiques violents et des mélodies proches de la chanson donne à voir une Espagne fantasmée nimbée d’une poésie onirique. Les sanglots du violon sont aussi ceux de Poulenc qui écrivit en exergue du deuxième mouvement le vers du poète assassiné « la guitare fait pleurer les songes ».

Duo Bilal Alnemr Jorge Gonzalez Buajasan © Festival Vauvenargues

Duo Bilal Alnemr Jorge Gonzalez Buajasan © Festival Vauvenargues

Le « presto tragico » semble être une véritable course à l’abîme en une technique de collages où l’on retrouve des emprunts à Rachmaninov, Tchaïkovski et un délicieux pied de nez à « tea for two » avant le couperet final, terrible, où les derniers pizzicati du violon scellent la sentence de mort du poète et résonnent dans le dernier accord du piano comme un coup de feu.
Enfin, symbole d’une passion fatale d’après Tolstoï, était jouée la pièce maîtresse par sa taille, la célèbre Sonate n° 9 en la majeur de Beethoven, dite Sonate à Kreutzer . Le ton fougueux, parfois déclamatoire, la force dramatique de l’ensemble, sa capacité à peindre les mouvements d’une âme, la multiplicité des registres, trouvaient dans l’interprétation très juste et fine des deux musiciens un écrin particulièrement sensible. 

Le 21 juin 2024 sur parvis de la mairie de Vauvenargues

Chantons sous la pluie ou presque

Chantons sous la pluie ou presque

Programmé dans la cour de l’Hôtel Maynier d’Oppède, le concert de Jawa Manla s’est déplacé dans l’amphithéâtre de ce haut lieu aixois

Petite pluie sur Aix, mais hors de question d’annuler le concert de la chanteuse et joueuse de oud, Jawa Manla. La jeune artiste, qui fut aussi présente lors de la soirée des 40 ans de l’OJM le 12 juillet 2024, réunissait autour d’elle ses complices, pour la plupart issus de l’Orchestre des Jeunes de la Méditerranée, sur ses compositions : Elif Canfezâ au kemenche (nommé parfois lyre de la Mer Noire à trois cordes frottées par un archet), Adèle Viret au violoncelle que l’on a déjà entendue au festival l’an dernier avec le groupe qu’elle a fondé, Mosaïc, Pierre Hurty à la batterie, Sinan Arat à la flûte et au ney, enfin Munzer Al Kaddour, récitant. Le programme de la soirée reprenait les morceaux de l’album Distant Roots, malheureusement pas disponible physiquement, mais accessible sur diverses plateformes du net.

Le fil des textes se fonde sur deux grands thèmes : l’amour de la musique, la joie viscérale qu’elle apporte et l’exil doublé de l’impossibilité du retour vers la terre natale, la Syrie. La jeune artiste évoque dans Layla l’enthousiasme éprouvé lorsqu’elle était enfant au moment d’aller suivre sa leçon de oud à l’école de musique, dansante et jubilatoire énergie. Une chanson traditionnelle syrienne vient s’insérer dans ce parcours, Bali Ma’ak, un air qui a accompagné l’adolescence de la musicienne et qui raconte la perte de l’être aimé, blessure sans espoir, où l’écho de la voix disparue semble se confondre avec les contrepoints du violoncelle. La voix de Jawa Manla, subtilement modulée, profonde et expressive, sait épouser l’intériorité des poèmes avec une sobre élégance. On ressent dans Dafa (qui signifie chaleur et convivialité en arabe) la distance si courte, une journée de voiture, entre Marseille et la Syrie et pourtant infranchissable.

Jawa Manla au Festival d'Aix

À la nostalgie liée au déracinement se lie la récitation du poème de Nizar Kabbani avec ses odeurs de café, de jasmin et de cardamone. Les lettres des amours interdites du poète Ibn Zeydoun (1003-1071) et de sa compagne poétesse, Wallada bint al-Mustakfi, la Sappho arabe (994-1091) viennent raconter les similitudes entre la mosquée-cathédrale de Cordoue et la mosquée de Damas et les inatteignables partages… La virtuosité de l’oudiste se joue des rythmes, mêlant ceux des musiques arabes aux balkaniques à sept temps ou aux quatre temps de la musique classique européenne. La fusion entre les sonorités d’instruments d’origines différentes, la variété des styles, la profondeur du propos, la justesse de l’abord d’une musique à la fois savante et populaire séduisent, lumineuses et sensibles.

Le 22 juin, Hôtel Maynier d’Oppède, Aix-en-Provence, dans le cadre d’Aix en juin

Dimanche 30 juin 2024

Dimanche 30 juin 2024

Le dimanche 30 juin est mémorable à plus d’un titre. Le concert des 20 ans d’Opéra au Village réconciliait avec l’esprit de courage et d’inventivité qui s’est tant embrumé ce soir-là

« 20 ans, souriait Suzy Charrue Delenne, fondatrice du festival Opéra au Village, cela veut dire que nous les avons vécus, pour une fois, une égalité pour tous, grâce aux bénévoles, à Jean de Gaspary, propriétaire du Couvent des Minimes » … les noms défilent, photographes, metteurs en scène, directeurs artistiques, financeurs. La tradition, qui sera respectée, du contact avec les artistes à la fin du spectacle autour de produits locaux, fait partie du caractère chaleureux de cette manifestation atypique qui a su, avant que la mode n’en soit lancée, mettre en avant les compositrices oubliées, en mettant en scène des œuvres de Pauline Viardot par exemple.

De une à huit mains

Le spectacle était conçu de façon très originale par les complices de plus de trente ans que sont les fantastiques pianistes François-René Duchâble, Clara Kastler, Hubert Woringer et Isabelle Terjan. « Il s’agit d’établir une progression en commençant par des pièces à une, puis deux, puis, trois, quatre, six et huit mains sur un deux et trois claviers », expliquait F-R. Duchâble qui, l’avant-veille, initiait les enfants de l’école primaire de Pourrières aux délices du piano classique avec un clavier électronique monté sur un vélo. Provocateur et pince sans rire, le virtuose reprenait sa présentation du « programme pour le moins original » en citant Desproges mais aussi Liszt, « la musique est un rêve qui se réalise », comme jouer à l’ombre du grand marronnier dont les frondaisons recouvrent désormais toute la cour du couvent… (les premières années du festival, les spectateurs se pressaient au plus près de l’arbre pour grapiller quelques brins d’ombre !).

Clara Kastler, Hubert Woringer, François Duchâble, Isabelle Terjan au Couvent des Minimes de Pourrières

Clara Kastler, Hubert Woringer, François Duchâble, Isabelle Terjan au Couvent des Minimes de Pourrières © Bernard Grimonet

C’est en présence du compositeur, Tristan-Patrice Challulau, né à Aix-en-Provence et premier prix de composition au Concours musical international Reine Élisabeth de Belgique, que François-René Duchâble ouvrait les festivités en interprétant son Grillos allegrios pour main droite. « Saviez-vous qu’il y a 5000 espèces de grillons que la longueur d’onde de leur chant rend difficile leur localisation pour nos oreilles et que le grillon est droitier pour striduler ? » sourit le pianiste avant de dessiner avec fluidité les paysages nocturnes où résonnent les accords ostinato des insectes nimbés des vibrations d’une note grave qui s’éternise. Le compositeur remercia son interprète : « j’ai enfin entendu le souffle de la poésie de mon œuvre contrairement à ce qui se passe lorsqu’elle est jouée par un artiste spécialisé uniquement dans le contemporain ». Les enchantements se poursuivirent, émaillés des commentaires du pianiste qui passa à la main gauche avec le Prélude pour la main gauche de Scriabine, magie sensible qui se prolongea avec Docteur Gradus ad Parnassum,extrait de Children’s Corner de Debussy par Clara Kastler, sublime de virtuosité et de sensibilité. Cette immense artiste s’écroulait sur scène, jouant jusqu’au bout, en duo avec François-René Duchâble, un arrangement pour trois mains de la Petite musique de nuit de Mozart. D’un courage et d’une abnégation au-delà de toute mesure, son époux, Hubert Woringer prenait la suite pour que le morceau soit achevé. 

D’un courage au-delà de toute mesure, son époux, Hubert Woringer prenait la suite pour que le morceau soit achevé.
Le programme était remonté, réorchestré, remodelé au fur et à mesure, brillant, bouleversant, émaillé d’anecdotes par l’intarissable F-R. Duchâble. C’est la transcription pour deux pianos par Dutilleux du Clair de lune de Debussy qui accompagna la pianiste alors que les pompiers l’emportaient vers l’hôpital d’Aix. On joua sur les « partitions de Clara » qui avait tout réglé. On laissa Bach, ce n’était plus possible, on reprit Sirènes de Debussy, sans les sirènes (un petit piano aux effets électroniques, joué par Clara, devait accompagner de ses sons la mélodie centrale), la Romance du Concerto n° 2 de Rachmaninov… Isabelle Terjan déchiffra avec brio, les interprètes se surpassèrent, offrant la quintessence de leur art.

François Duchâble, Isabelle Terjan et Hubert Woringer © Bernard Grimonet

François Duchâble, Isabelle Terjan et Hubert Woringer © Bernard Grimonet

Le 8 mains final sera un six mains : l’inénarrable et jubilatoire Galop de Lavignac qui sera redonné en bis. L’art reste l’ultime réponse ?

Concert donné le 30 juin au Couvent des Minimes de Pourrières, dans le cadre de l’Opéra au Village.