Dans le cadre de la BIAC le théâtre du Bois de l’Aune recevait le Gandini Juggling fondé en 1992 par les jongleurs Sean Gandini et Kati Ylä-Hokkala et leur dernier spectacle, Heka, tout n’est qu’un faux-semblant, du nom de la divinité égyptienne personnifiant la puissance magique.
En exergue de leur travail, les deux complices citent le maître que fut Jean-Eugène Robert-Houdin et son livre, Les secrets de la prestidigitation et de la magie : comment on devient sorcier (paru en 1868) : « L’art de la prestidigitation tire ses artifices de l’adresse des mains, des subtilités de l’esprit, de tous les faits merveilleux que produisent les sciences exactes ».

On assiste à une représentation qui réinvente les codes de la prestidigitation en un jonglage au sens propre du terme. L’illusion naît de la réalité, créant la surprise et introduisant une féérie fantasmagorique dans les gestes les plus simples. Étrange jonction entre l’impossible et le réel : les mains se multiplient, les balles lévitent, apparaissent et disparaissent inexplicablement dans les mains des jongleurs, changent de couleur, s’évaporent…
Tout n’est qu’imposture, escamotage, passe-passe dont on croit deviner les tours avant de s’apercevoir de notre erreur. Qui est qui dans cette fête de dupes ?

Heka Cavaillon © Kalle Nio

Heka Cavaillon © Kalle Nio

Chaque protagoniste viendra se présenter comme « Gandini », en une pirouette malicieuse, même si, vêtu d’un costume rouge, Sean Gandini présentera chaque interprète, soulignant le caractère cosmopolite de la troupe, Kate Boschetti, Tedros Girmaye, Kim Huynh, Sakari Männisto, Yu-Hsien Wu, Kati Ylä-Hokkala. 

Chacun traduira dans sa langue certains propos du meneur de jeu.

« La magie doit être spectaculaire. La magie doit être efficace » !

Les objets sont manipulés comme les spectateurs dans des chorégraphies réglées au cordeau, des effets de groupe d’une virevoltante beauté, des soli époustouflants d’inventivité.
Dès le début du spectacle, on est séduit par l’humour et la finesse du jeu de Kim Huynh qui s’avance seule sur scène, s’installe derrière une longue table blanche.
D’abord debout, elle semble contrariée par ses manches qui se relèvent toutes seules ou le nœud de ses cheveux qui se noue et se dénoue comme par magie.

Heka Cavaillon © Kalle Nio

Heka Cavaillon © Kalle Nio

Assise, elle s’appuie rêveuse sur ses coudes et ses bras se démultiplient à l’envie tandis que ses mains s’entrelacent à d’autres puis se résorbent à une paire unique avec une étonnante fluidité. Le spectateur se laisse berner avec délices alors que le reste de la troupe vêtue selon les mêmes codes, jupe, chemise, veste de costume, chaussettes et surtout porte-chaussettes. Sean Gandini s’en amusera à la fin, décrétant que l’ambition du spectacle est de remettre à la mode cet attirail tombé en désuétude.

Entre les numéros, il viendra glisser quelques réflexions avec son savoureux accent anglais, manipulant par les mots les esprits déjà grugés par les tours et détours qu’empruntent les circassiens, jongleries spectaculaires, escamotages de détails, création d’êtres hybrides unissant des duos par un même collant rayé, d’où des débordements cocasses, danses, mimes, jeux de pantins, ruptures de rythmes, accélérations, répétitions, pauses minuscules.
Certains passages semblent dévoiler leurs dessous laissant le public amusé de ses confusions, puis désarçonné par les impossibilités de ce qu’il avait cru comprendre.

Heka Cavaillon © Kalle Nio

Heka Cavaillon © Kalle Nio

L’illusion se déplace, les propos de Sean Gandini l’invitent à l’échelle du monde, rien ne lui échappe, et ce qui nous entoure devient objet soudain de doute, mais il n’est pas question de s’appesantir dans une morosité de circonstance. Si les certitudes tombent ce n’est que pour rendre ce qui nous entoure plus magique et profond. C’est intelligent, drôle, poétique, un petit bijou !

Heka, tout n’est qu’un faux semblant a été joué au théâtre du Bois de l’Aune les 20 & 21 janvier 2025 dans le cadre de la BIAC (Biennale internationale des Arts du Cirque)