Du réalisme magique au théâtre

Du réalisme magique au théâtre

La metteuse en scène Nanouk Broche s’inspire de deux nouvelles tirées de Onze rêves de suie de Manuela Draeger, d’un extrait de Germinal de Zola et d’un travail d’improvisation au plateau mené avec talent par les deux comédiennes de sa compagnie Ma voisine s’appelle Cassandre, Lea Jean-Theodore et Sofy Jordan.
Le titre, « Et l’éléphante », est développé par un ajout aussi contradictoire que cocasse : « …ou Le bonheur universel dans un contexte mondial défavorable ».  
Au début de la pièce, debout derrière un pupitre, une comédienne fixe le public, souriante, dans ce premier lien qui nourrira la relation entre les spectateurs et ce qui se passera sur le plateau. Et le récit commence…  

Elle marche sans fin parcourant existences et reliefs tandis que le monde est quasiment dépeuplé d’animaux, êtres humains compris. On ignore par quelle catastrophe naturelle ou née des mains des hommes la terre s’est ainsi désertifiée. Quoi qu’il en soit, Marta Ashkarot, l’éléphante, marche et nous parle, décrivant ce qui l’entoure, les arbres, les accidents de terrain, les routes inégales, elle parle d’elle aussi, d’un univers perdu. Mais est-il à regretter ce monde totalitaire de réunions, de jugements, de guerres, d’affiliations plus ou moins contraintes au « parti » ? Cette éléphante évolue dans une fiction « post soviétique » et reste d’un optimisme et d’une empathie magnifiques.

Et l'éléphante:Cie Ma voisine s'appelle Cassandre / L'Ouvre-Boîte © M.C.

Et l’éléphante:Cie Ma voisine s’appelle Cassandre / L’Ouvre-Boîte © M.C.

Au fil de ses pérégrinations, elle va croiser des survivants, un couple militant épuisé, une soldate révolutionnaire qui rêve de reconstruire le monde et de le « réindustrialiser » en une frénésie qui laisse deviner de quelle manière le monde s’est éteint, même si elle est portée par l’utopie d’un « monde sans classes », un paléontologue, un symbole du capitalisme, Henri Ford… (entre la « confection manuelle » des objets et celle à échelle industrielle, le fossé est tel que la rencontre en est tordante!)

On découvre les hominidés dans leurs premières œuvres, séquences hilarantes où Sofy Jordan, vêtue de « peaux de bête », se met à taper sur des cailloux. Les mots dérivent, des passerelles entre les époques se façonnent, cultivant les échos et les analogies.
Dans les lumières de Thibault Gambari, les deux actrices passent d’un personnage à l’autre, humain ou animal, avec la même aisance, se prennent au jeu en un plaisir communicatif.
Pas de dialectique ici, juste le bonheur de jouer, de taquiner l’actualité, de pointer les dysfonctionnements des raisonnements des absolutismes.  Une infinie légèreté se glisse dans cette pièce dominée par la fantaisie, l’irrationnel et des voltes comiques dignes d’un Cinémastock de Gotlib et Alexis.
On y rejoint le caractère inclassable des écrits d’Antoine Volodine, autre alias de Manuela Draeger, qui se réclame du « post-exotisme » en donnant à lire « une littérature étrangère écrite en français (…), une littérature de l’ailleurs qui va vers l’ailleurs ».

Et l'éléphante:Cie Ma voisine s'appelle Cassandre / L'Ouvre-Boîte © M.C.

Et l’éléphante:Cie Ma voisine s’appelle Cassandre / L’Ouvre-Boîte © M.C.

Le livre lui-même est construit sur le modèle de L’Heptaméron de Marguerite de Navarre : des personnages réunis en un lieu à part à cause d’une catastrophe quelconque se racontent des histoires pour occuper le temps. Dans le recueil de Manuela Draeger, un groupe de jeunes gens se retrouvent piégés dans un bâtiment en flammes à la suite de l’opération qu’ils ont tentée de mener à l’occasion d’une manifestation interdite, la « bolcho pride ». Ils invoquent la figure de Mémé Holgolde, immortelle et qui les a formés à la révolution mondiale et au merveilleux. Leurs souvenirs se mêlent à des contes, comme celui de l’éléphante Marta Ashkarot. Ils deviennent à leur tour des créatures féériques, des sortes de cormorans qui maîtrisent l’écoulement du temps et vivent dans le feu. C’est à cette fin que la pièce fait allusion, emplissant ses personnages d’un indicible bonheur alors que le monde se consume. Le rêve s’érige alors comme seul remède à la folie du monde… Une étrange joie sourd de cette fin tragique qui aurait peut-être gagné à être plus orchestrée dans la trame même de la pièce. Ce qui n’enlève rien à ses indéniables qualités de jeu, de fantaisie, d’inventivité, de passion.

La pièce Et l’éléphante a été jouée au théâtre de L’Ouvre-Boîte le 16 mai 2025

Et l'éléphante:Cie Ma voisine s'appelle Cassandre / L'Ouvre-Boîte © M.C.

Et l’éléphante:Cie Ma voisine s’appelle Cassandre / L’Ouvre-Boîte © M.C.

« Le plus beau prénom du monde »

« Le plus beau prénom du monde »

Oui, il a « le plus beau prénom du monde », c’est ce qu’il affirme avec humour, le petit Émile… et son arrivée sur les planches apporte un volet supplémentaire aux raisons de l’engouement qu’il ne cesse de susciter.
 Pour les adeptes de la littérature jeunesse, la série « Émile » écrite par Vincent Cuvellier et illustrée par Ronan Badel chez Gallimard Jeunesse, fait partie des constellations incontournables. Il est vrai que le petit garçon, Émile, héros de ces courtes histoires est attachant par son caractère capricieux, entêté, drôle, adorable, mélange d’égoïsme insupportable et d’une délicate générosité. Il aime être à contre-courant, décide d’être de droite car il a remarqué qu’à la télé les gens de droite sont mieux habillés : « pour la politique, on met une cravate et on fait des choses » explique l’enfant. Il n’aime pas trop jouer avec les enfants au parc, mais trouve une mamie tricoteuse qu’il invitera même à la maison…Il affirme péremptoire que « c’est bien d’être atrabilaire » Depuis le premier album, Émile est invisible, le petit personnage s’est retrouvé dans une foule de situations que décrivent les trente-deux volumes suivants.

Nathalie Sandoz met en scène ce personnage universel de l’enfance avec la Compagnie De Facto. Un choix, difficile parfois, a dû s’effectuer entre toutes les tentations d’histoires afin de resserrer le récit en scène et lui donner une tension dramatique. Le résultat : une bulle de fraîcheur, de tendresse et d’humour !
Pour la première en France, au théâtre du Jeu de Paume, la pièce s’enrichissait de la langue des signes grâce à Vincent Bexiga, chargé de l’adaptation en LSF (Langue des signes française). Il devient le double, l’ami imaginaire vu du seul Émile, interprété avec brio par Guillaume Marquet, en une chorégraphie finement réglée qui épouse à la fois la vivacité du petit garçon et les « arrêts sur image » des albums.

Émile fait de la musique © Belleville/ Christophe Urbain

Émile fait de la musique © Belleville/ Christophe Urbain

Un saut, une jambe qui reste en suspens, un sourire qui soudain se fige, et la jonction entre les livres et la scène s’effectue nous donnant à voir les personnages sortant de leur support de papier ou y revenant, en un double mouvement qui souligne la porosité des genres.
La maman d’Émile jouée par Lucie Zelger est inénarrable de légèreté et de sérieux. Elle élève seule son fils et s’affole pour lui dont elle ne comprend pas les rêveries. Elle ira jusqu’à consulter un pédopsychiatre qui en arrivera à la conclusion que l’enfant est juste normal. C’est un enfant avec toute sa fantaisie et tant pis si elle ne se conforme pas aux schémas attendus ou plutôt, tant mieux ! Matthias Babey, le régisseur, sera tour à tout plombier, le monsieur de son immeuble, l’éducateur sportif…

La petite troupe incarne le foisonnement de la vie. Le décor minimaliste se déplace et se transforme selon les nécessités des saynètes, tout à tour chambre d’enfant, parc, salle à manger où se déroule l’anniversaire. Les lumières de Pascal Di Mito, la vidéo de Will Ouy-Lim DO, l’univers sonore de Félix Bergeron, tissent dans la scénographie de Nicole Grédy un écrin propice à l’éclosion de l’imaginaire. Dès son entrée en scène, Émile déclare fêter son anniversaire même si ce n’est pas le bon jour. C’est lui qui décide !

Émile fait le spectacle/ Jeu de Paume © D.R. Ronan Badel

Émile fait le spectacle/ Jeu de Paume © D.R. Ronan Badel

Si la réalité des choses se heurte au réel, la puissance de l’illusion enfantine dépasse cette opposition, rend naturels les animaux qui viennent lui rendre visite la nuit et son récit perturbé par le bruit familier de l’aspirateur sait reprendre son fil plus tard.
Son anniversaire, le « vrai » clora la pièce. Entre temps on l’aura suivi dans son repli sur soi, ses rêves, ses « amoureuses » dont « Julie », ses compagnonnages avec les amis imaginaires qui sortent du mur de sa chambre lorsqu’il fait nuit, une biche, un koala qu’il n’aime guère, une chauve-souris, un poulpe enfin, le préféré. Peu importe que qui se passe, de toute façon, « Émile a toujours raison » ! Il grandit au fil de la pièce en passant sous une toise imaginaire dont il esquisse les marques. Émile est libre, la scène est à lui. Il y invite des enfants de la salle, pour différents épisodes, les fait marcher au pas, courir, sauter. Rien n’échappe à son imagination fantasque. Son double en langue des signes ajoute à ce dépassement du réel par la fiction et enrichit ce ballet dans lequel petits et grands se laissent embarquer avec délectation.

Émile fait le spectacle en LSF a été joué au Jeu de Paume le 14 mai 2025

Le Verbe ce n’est pas qu’au début !

Le Verbe ce n’est pas qu’au début !

Quelle étrange gageure que de vouloir porter à la scène le roman fleuve de Cervantès ! L’entreprise en est démesurée, comme le héros éponyme du texte espagnol, L’ingénieux Don Quichotte de la Manche (El ingenioso hidalgo don Quijote de la Mancha). Le pari est relevé avec panache par Gwenaël Morin qui met en scène et scénographie le tout, faisant confiance à la capacité d’entrer dans la fiction des spectateurs. Rarement une salle a été aussi divisée : des gens partent au milieu de la pièce, d’autres s’agitent car trop loin des travées salvatrices, d’autres encore restent happés par la magie théâtrale et l’incroyable performance qui se déroule devant eux.

Pour résumer, le personnage principal, épris de ses lectures, va confondre fiction et réalité au point de se prendre pour un chevalier errant, prêt à pourfendre les oppresseurs et se mettre au service de la veuve et de l’orphelin et surtout d’une belle aimée. Ce sera Dulcinée du Toboso, sans aucun doute réduite par un enchantement au statut de servante. Peu à peu la réalité se transforme, trouvant sa seule justification et sa seule existence dans la littérature : la fiction prouve le réel. Ainsi, à l’hypothèse d’une situation ou d’un enchaînement de faits, Don Quichotte opposera sa culture livresque : si les livres ne corroborent pas l’énoncé du réel, ce dernier sera réduit à néant, oblitéré par sa confrontation aux textes.

Quichotte/ Bois de l'Aune © M.C.

Quichotte/ Bois de l’Aune © M.C.

D’ailleurs tout commence par le papier. Marie-Noëlle, face au public, débute la lecture, non pas du roman, mais d’une forme de prologue (pas celui de Cervantès non plus) qui évoque le protagoniste : « Notre hidalgo approchait de la cinquantaine. Il était de constitution robuste, sec de corps, maigre de visage, très lève-tôt et il aimait la chasse. (…) » Au cours de cette présentation du propos, Jeanne Balibar en robe d’été et tongs entre en furie munie d’un marteau sur scène afin de s’acharner sur une planche de bois. Le bruit fait d’abord monter la voix de Marie-Noëlle, puis absorbe toute l’attention, comme si, devenue le «chevalier à la triste figure », elle était décidée à modeler le récit à sa fantaisie et le faire échapper à sa gangue de papier.

On retrouve au fil des pérégrinations des acteurs sur scène, Jeanne Balibar, Thierry Dupont interprète de la Compagnie de l’Oiseau-Mouche, Marie-Noëlle et Léo Martin, les épisodes familiers de l’histoire, les moulins-à-vent, pris pour des géants, les confusions du personnage, le sauvetage raté d’un jeune serviteur battu par son maître, Sancho Panza et sa mule, Rossinante, monture fatiguée du chevalier (une simple table, tandis qu’un morceau de bois sera une lance de tournoi !), l’aubergiste peu scrupuleux, les nobles et le curé qui se jouent de Don Quichotte, allant jusqu’à modifier son environnement pour le perdre davantage.

Quichotte/ Bois de l'Aune © Lise Agopian

Quichotte/ Bois de l’Aune © Lise Agopian

Dans une vertigineuse mise en abîme, la deuxième partie du roman fait se rencontrer le malheureux chevalier avec lui-même devenu l’objet d’un livre. De quoi s’égarer totalement !

La voix de Jeanne Balibar rend compte par son placement des passages entre fiction et illusion du réel, servant avec talent la folie de son personnage.
« Je sais qui je suis, et je sais que je puis être, non seulement ceux que j’ai dit, mais encore les douze pairs de France, et les neuf chevaliers de la Renommée, puisque les exploits qu’ils ont faits, tous ensemble et chacun en particulier, n’approcheront jamais les miens. »

Quichotte/ Bois de l'Aune © M.C.

Quichotte/ Bois de l’Aune © M.C.

Lors de la destruction de la bibliothèque fabuleuse du chevalier, on verra Marie-Noëlle énumérer les titres les assortissant d’un avis, d’un résumé, décidant de conserver ou d’abandonner tel ou tel ouvrage. Ce catalogue touffu a des airs incantatoires, semblant appeler à la rescousse les écrits pour faire face au réel, l’apprivoiser, le rendre viable. 
Lorsque notre anti-héros de cette épopée inversée revient à la conscience, il meurt…
Entre-temps on aura été fasciné par la verve des acteurs qui avec rien nous donnent tout, suscitent des châteaux, des forteresses, des routes tortueuses, des agapes, des luttes, des rêves, des silences, des désillusions, des espoirs, et surtout une foi chevillée à l’âme en la littérature et au pouvoir du théâtre.

Spectacle Quichotte vu le 30 avril 2025 au Théâtre du Bois de l’Aune

Quichotte / Bois de l'Aune © Lise Agopian

Quichotte / Bois de l’Aune © Lise Agopian

Neuf pour façonner les étoiles !

Neuf pour façonner les étoiles !

Les contes résolvent la plupart des questions importantes, c’est bien connu. Le conte des étoiles donné en Lecture Plus par les neuf élèves comédiens de « La compagnie d’entraînement » du théâtre des Ateliers, promotion 2024-2025, apporte une réponse au mystère de l’apparition des étoiles, car il fut un temps où elles n’existaient pas, c’est du moins le postulat du conte touareg mis en scène ce jour-là. 

Cette première création par les comédiens apprentis de la troupe est une fabuleuse réussite sous la houlette bienveillante d’Alain Simon, directeur des lieux et maître d’œuvre de la Compagnie d’entraînement ! C’est une tradition, le dernier opus de Lecture Plus de l’année est confié à la compagnie. La gageure est d’importance : travailler pour un public adulte, soit, mais pour un public enfantin (à partir de cinq ans) est d’une exigence tout aussi haute et ne souffre aucune faille… un temps de recul, un minuscule flottement, un faux pas, un mot qui ne s’est pas posé sur la trame précise et fantasque de la narration et l’auditoire est perdu !

Théâtre des Ateliers/ Compagnie d'entraînement/ Lecture Plus/ Conte des étoiles © M.C.

Théâtre des Ateliers/ Compagnie d’entraînement/ Lecture Plus/ Conte des étoiles © M.C.

Ici, les jeunes artistes jouent tout, depuis le récit lui-même aux motivations de leur mise en scène, à l’accompagnement de la guitare posé avec délicatesse sur les mots, à la distribution des rôles (tout le monde souhaite jouer le personnage principal ou passer au pupitre de lecture !), au relais des costumes dont la simplicité est d’une éloquente efficacité : une écharpe enroulée autour de la tête qui passe de l’un à l’autre suffit à identifier tel ou tel personnage, un vieux drap bleu noué autour du cou se transforme en cape mue par le vent d’une course folle, un autre drap, blanc celui-là, tendu sur deux bouts de bois, sera après avoir été une tente plantée dans le désert, l’écran d’un jeu d’ombres qui suivra les personnages dans leur ascension d’une haute montagne et leur chute dans un ravin profond (pas mortelle, rassurez-vous, nous sommes dans un conte tout tendre !). Ça bouge, ça vit, avec une drôlerie délicieuse. Les voix se plient aux exigences des rôles, pointues pour les petits animaux, espièglement grave et brutale lorsqu’il s’agira de donner corps à un scorpion !

Quelle est l’histoire enfin ? Alors que la nuit sans étoiles (ah ! le costume de la nuit ! une merveille !) envahit le désert, la petite bergère Kahina de la tribu Kel Tamachek part malgré l’interdiction de ses frères à la recherche de son amie, la chevrette Itran qui n’est pas rentrée. Il faut dire que les frères de Kahina lui interdisent aussi de s’occuper du troupeau alors qu’elle adore le faire sous prétexte qu’elle est une fille et que les filles ne peuvent se livrer à une telle activité. Bien sûr, tout finira bien, la chevrette sera retrouvée, et la petite Kahina se verra confier le troupeau, elle est la seule à avoir su et pu le rassembler !

Théâtre des Ateliers/ Compagnie d'entraînement/ Lecture Plus/ Conte des étoiles © M.C.

Théâtre des Ateliers/ Compagnie d’entraînement/ Lecture Plus/ Conte des étoiles © M.C.

Ce côté « féministe » ne fait pas partie du conte original, qui parle d’un jeune berger et non d’une petite fille. Les comédiens ont adapté et enrichi l’histoire avec intelligence, lui accordant une dimension qui correspond aux thèmes d’aujourd’hui, remplissant pleinement par là leur rôle de passeurs et de lecteurs du monde.

Et les étoiles ?  Elles sont nées pour accompagner la bergère éperdue dans l’obscurité de la nuit et ont semé un chemin de lumière pour qu’elle retrouve sa chevrette puis son campement.
Il est dit que naquit aussi au lendemain de cette nuit le premier poème monté aux lèvres de la petite fille comme une célébration de la vie et du courage face aux inquiétudes qui s’étaient emparées de tous.
On ne peut résister au plaisir de nommer tous les artistes, Paul Alaux, Matthias Borgeaud,, Loup Cousteil-Prouvèze, Cléo Carèje, Noé Das Neves, Alice, Nédélec, Mathilde Stassard, Sann Vargoz et Katja Zlatevska. On les verra sans nul doute à l’affiche très bientôt !

Théâtre des Ateliers/ Compagnie d'entraînement/ Lecture Plus/ Conte des étoiles © M.C.

Théâtre des Ateliers/ Compagnie d’entraînement/ Lecture Plus/ Conte des étoiles © M.C.

Comme toute Lecture Plus qui se respecte, la fin débouche sur une conversation avec les enfants de l’assistance, le dévoilement de la fabrication des éléments du décor, du théâtre d’ombres, et sur un goûter attendu par tous. Une madeleine à savourer le jour-même pour s’en souvenir bien plus tard…

La dernière représentation du Conte des étoiles a eu lieu le 30 avril 2025 au Théâtre des Ateliers.

Suivre la courbe des mots

Suivre la courbe des mots

Alain Simon, directeur du théâtre des Ateliers, poursuit ses investigations autour de l’art théâtral et de ses relations avec d’autres formes artistiques qui se suffisent, elles aussi, à elles-mêmes. On a ainsi suivi ses explorations entre texte et danse que ce soit avec le danseur Leonardo Centi dans Un homme qui dort de Pérec (ici) ou avec Emmanuelle et Marie Simon et leur travail chorégraphique conçu « dans la perspective d’une création dans un théâtre avec un metteur en scène de théâtre », Comment se retourner ? (ici).

Par le biais de ce qu’Alain Simon a baptisé « lecture augmentée », c’est au tour de larges extraits du volume La vie est courbe de Jacques Rebotier de passer à la moulinette du troisième volet de Fêtons la littérature, manifestation initiée par Mon Montaigne et la chaîne de lecteurs autour de Bambi une vie dans la forêt de Felix Salten. « Il s’agissait de renouer avec les lectures coutumières de la Fête du livre aixoise, les Écritures croisées fondées par Annie Terrier. Ces moments nous manquent cruellement, et c’était un moyen de leur rendre hommage par des marathons ou semi-marathons de lecture », sourit Alain Simon.
Avec son complice, le musicien, vibraphoniste, compositeur et improvisateur, Alex Grillo qui intervient depuis trois ans dans la formation de la Compagnie d’Entraînement sur le thème de la poésie sonore et le son des mots, le comédien et metteur en scène s’attache ici à un phénomène de la littérature. Jacques Rebotier se présente lui-même sur son site « Rebotier.net », comme appartenant « à la folle famille de dislocateurs de mots, de sons et de cerveaux ».

Alain Simon et Alex Grillo/ Le dos de la langue (Poésie courbe)/ Théâtre des Ateliers © M.C.

Alain Simon et Alex Grillo/ Le dos de la langue (Poésie courbe)/ Théâtre des Ateliers © M.C.

En amont, Alex Grillo et Alain Simon ont partagé leurs réflexions en mails croisés (technique déjà brillamment utilisée dans Conversations à Bilbao, de Jean-Marie Broucaret et Alain Simon) dans l’amorce d’un peut-être futur ouvrage, Les SenSon(s), composés entre le 27 septembre et le 5 octobre 2023. Le sujet en est la relation à la diction, aux sons signifiants par leur agencement en mots ou simplement par leurs intonations, leur mise en espace par les corps.
Alex Grillo se plaît à disséquer les sons émis, leurs émissions, palatales, dentales, labiales, dont la matière première est vite occultée au profit de leur signification : « ils finissent par glisser du son au sens et se faire oublier en tant qu’entités ».
Alain Simon replace les éléments de l’élocution dans une perspective historique, évoque les enregistrements de Sarah Bernard dont les intonations ne sont plus de mise aujourd’hui, mais insiste aussi sur tout ce qui accompagne la parole : « c’est vrai que dans la parole, le sens est apparemment l’enjeu ! Pourtant tout compte, le grain de la voix, la diction, les signes du fonctionnement de l’instrument, le corps ! (…) Grotowski dans son livre Vers un théâtre pauvre, écrit : « l’orateur parle, il parle, il parle, il tousse, ouf ! il vit ! » Les sémiologues dans le travail vocal d’un comédien distinguent le locutoire et le perlocutoire. Si l’auditeur n’a pas conscience de cette dimension qui semble autonome du sens ; c’est qu’elle influence à son insu la perception. »
Pour Alex Grillo, « si nous utilisons les mots comme un matériau sonore, il faudra essayer, bien que je sache que c’est une quasi-mission impossible, de leur retirer tout le locutoire pour ne garder que le chant des phonèmes ». Alain Simon souligne alors le paradoxe du résultat inversé pour l’auditeur lorsque le comédien met « trop » le ton : « si l’acteur (..) mâche le travail du spectateur, il l’empêche de construire un sens plus personnel, il rend passif ».

Ceci étant posé, les deux complices offrent une lecture à deux voix de ce qu’ils nomment « Le dos de la langue (Poésie courbe) de Jacques Rebotier ». La lecture tient alors de la performance poétique. Les voix des deux comédiens trouvent un unisson, esquissent d’infimes décalages, se font écho, dessinent une forme de chanson « en canon ». Les espaces créés ainsi entre les sons identiques semblent matérialiser l’espace qui sépare les deux lecteurs debout, face à leur pupitre. Combien de temps un mot met pour atteindre l’autre ? Cette distance se fait linguistique, l’un énonçant en français, l’autre en italien en un effet stéréophonique qui joue sur la musicalité des deux langues. Le sens du texte s’en trouve multiplié, les sonorités apportant leur propre puissance d’émotion et de signification.

Alain Simon et Alex Grillo/ Le dos de la langue (Poésie courbe)/ Théâtre des Ateliers © M.C.

Alain Simon et Alex Grillo/ Le dos de la langue (Poésie courbe)/ Théâtre des Ateliers © M.C.

Les mots se posent sur une véritable partition qui se plaît à les réduire parfois en simples fragments dont l’agencement ne prend sens que par les intonations et les modulations de ceux qui les profèrent. La langue s’éloigne alors de toute construction, s’efface derrière les syllabes désorganisées, et pourtant orchestre un tissage qui nous parle, nous fait sourire, nous embarque dans sa musicalité. Les sons articulés deviennent notes sur une portée et prennent une fonction mélodique, bousculée, discordante, harmonieuse, se pliant aux intentions des « comédiens-musiciens ».
Les mots de Jacques Rebotier ne sont pas « hors-sol » mais s’ancrent puissamment dans le réel, que ce soit dans leur fantaisie érotique, leur diatribe politique, dans leur « écriture carrée » qui sait si bien jouer avec les strates de sens d’un vocabulaire polysémique. « La musique adoucit les sens/ La musique marchande le sable » tandis que « l’écrivain, bête à plume » dialogue avec le « peintre, bête à poils ». Pour un poète et musicien qui « très tôt (a manifesté une) aptitude à l’inexistence » adepte de la « néganthropie » et qui « vise l’anti-moi », quelle personnalité !
Le spectacle concocté par Alain Simon et Alex Grillo est une petite merveille, inclassable, amoureuse des mots, des sons, des rythmes, des fantastiques métamorphoses des textes et de leurs infinies capacités musicales.

Spectacle vu au Théâtre des Ateliers le 25 avril 2025

Alex Grillo/ Le dos de la langue (Poésie courbe)/ Théâtre des Ateliers © M.C.

Alex Grillo/ Le dos de la langue (Poésie courbe)/ Théâtre des Ateliers © M.C.

Un festival dans les étoiles

Un festival dans les étoiles

Dans ses derniers éclats, le Festival de Pâques 2025 proposait un concert exceptionnel qui suivait une architecture d’une cohérence et d’une justesse rare. Au programme, le magnifique pianiste Lucas Debargue rencontrait l’Orquestra Simfònica de Barcelona sous la houlette de son chef Ludovic Morlot. Si l’on excepte le Concerto pour piano et orchestre en fa majeur de Gershwin, les autres œuvres avaient en point commun d’être des transcriptions pour orchestre, que ce soit Alborada del gracioso (Aubade du Bouffon), la quatrième pièce des Miroirs pour piano de Maurice Ravel (1905) dont le compositeur fit l’orchestration en 1919, la création du compositeur Hèctor Parra à la demande de l’OBC dans la lignée de son ensemble Constellations de Miró, ou Tableaux d’une exposition de Modeste Moussorgski orchestré par Ravel. Était ainsi rendu hommage au compositeur né au Pays basque, à Ciboure, il y a cent-cinquante ans.

En ouverture, l’Orquestra Simfònica de Barcelona abordait son Alborada del gracioso qui correspond à un chant espagnol du matin (l’aubade était destinée à être chantée sous les fenêtres de quelqu’un, vous imaginez qui vous voulez, mais en général une personne qui vous est très chère). Son caractère amoureux convoquerait les Pierrots et les Colombines, cependant « del gracioso » n’est pas malgré les apparences un être « gracieux », mais un homme d’âge mûr peu aimable cherchant, en vain, à conquérir le cœur d’une jeune femme. La guitare, reine de ce type d’exercice, est évoquée par l’introduction staccato de la pièce. En sept minutes l’orchestre dont toutes les ressources sont exploitées dans la transcription ravélienne, fait la démonstration de sa virtuosité, équilibre des pupitres, clarté des thèmes, époustouflants solistes…

Orquestra Simfònica de Barcelona. Ludovic Morlot, direction. Lucas Debargue, piano. Grand Théâtre de Provence. 26/04/2025. Aix-en-Provence. © Caroline Doutre / Festival de Pâques

Orquestra Simfònica de Barcelona. Ludovic Morlot, direction. Lucas Debargue, piano. Grand Théâtre de Provence. 26/04/2025. Aix-en-Provence. © Caroline Doutre / Festival de Pâques

Après la danse effrénée qui suit le motif initial porté par le hautbois puis le cor anglais et la clarinette, le basson esquisse une « tendre plainte » censée représenter le bouffon en butte aux moqueries de son aimée envers sa grotesque sérénade. Le tout se conclut en une agitation joyeuse au son des castagnettes et du xylophone qui colorent la pièce de fragrances d’Espagne.  

Cent deux touches pour rêver !


C’est sur son piano, désormais fétiche, l’Opus 102, déjà surnommé la « Bugatti Royale » des pianos, de Paulello que Lucas Debargue interprétait le Concerto pour piano et orchestre en fa majeur de George Gershwin. Le pianiste présentait l’instrument avant son bis, l’une de ses improvisations lumineuses autour de Summertime (extrait de Porgy and Bess de Gershwin) : exemplaire unique à ce jour du célèbre facteur de piano français qui cherche toujours à améliorer, peaufiner, retravailler sur les mécaniques et la structure du piano, fabriquant ses propres cordes, ne les croisant plus comme c’est d’usage dans les Steinway par exemple, et offrant avec son Opus 102 de trois mètres de long (cent-deux touches au lieu des quatre-vingt-huit traditionnelles, neuf touches supplémentaires pour les basses et cinq pour les aigus) la capacité de sonorités d’une pureté absolue quelle que soit leur provenance, dans le bas medium, les basses, les aigus.

La clarté est parfaite et laisse percevoir aux auditeurs toutes les articulations du discours, leur accordant un bel effet de perspective et de profondeur. Lucas Debargue en est un ambassadeur convaincu et a enregistré sous le label Sony Classical un CD consacré à l’intégrale des pièces pour piano seul de Fauré (sorti le 22 mars 2024).
 Quoi qu’il en soit, son interprétation vive de l’œuvre de Gershwin séduit son auditoire. Chose curieuse, ce concerto, à l’instar de l’instrument qui le servait ce jour-là, fait partie d’un ensemble «expérimental » qui ouvrait à son compositeur un cheminement vers la musique « sérieuse ». Gershwin disait à propos de son Concerto en fa ainsi que de sa Rhapsody in blue et son Blue Monday Opera qu’il s’agissait « d’expériences, de travaux de laboratoire en matière de musique américaine ».

Orquestra Simfònica de Barcelona. Ludovic Morlot, direction. Lucas Debargue, piano. Grand Théâtre de Provence. 26/04/2025. Aix-en-Provence. © Caroline Doutre / Festival de Pâques

Orquestra Simfònica de Barcelona. Ludovic Morlot, direction. Lucas Debargue, piano. Grand Théâtre de Provence. 26/04/2025. Aix-en-Provence. © Caroline Doutre / Festival de Pâques

Le Concerto en fa, lui, fut commandé par le chef d’orchestre et compositeur Walter Damrosch qui venait d’assister à la création de Rhapsody in blue sous la direction de Paul Whiteman. Il créa l’œuvre avec le New York Symphony Orchestra qu’il dirigeait (il fera de même pour An American in Paris). 
La complicité entre Ludovic Morlot et son orchestre, la finesse de Lucas Debargue se conjuguent alors pour une lecture nuancée, colorée, dont le classicisme flirte avec le jazz. La dynamique instaurée d’emblée par l’orchestre catalan rend l’exécution de l’œuvre naturelle et élégante.

Lorsque la peinture et la musique se rencontrent


La deuxième partie de la soirée trouvait une unité dans la facture des pièces jouées : toutes deux sont inspirées de tableaux. 
Venait en premier lieu présenter son œuvre, commande de l’OBC, Deux constellations pour orchestre d’après Joan Miró, Hèctor Parra (né en 1976) pour sa création française.

D’abord écrites pour piano et un récitant, elles trouvent une nouvelle ampleur dans leur version orchestrale.
L’artiste rappelle combien le cheminement artistique de Joan Miró est inspirant. Ses 23 constellations peintes entre janvier 1940 et septembre 1941 sont un « modèle de ténacité» : l’agencement des formes et des couleurs qui se retrouvent dans les courtes compositions (environ trois et quatre minutes) résonnent comme un manifeste. Les couleurs subsistent malgré la barbarie et la vainquent. On est convié à un voyage intérieur qui jongle entre les sonorités de l’orchestre, use des percussions avec une subtile intelligence.

Orquestra Simfònica de Barcelona. Ludovic Morlot, direction. Lucas Debargue, piano. Grand Théâtre de Provence. 26/04/2025. Aix-en-Provence. © Caroline Doutre / Festival de Pâques

Orquestra Simfònica de Barcelona. Ludovic Morlot, direction. Lucas Debargue, piano. Grand Théâtre de Provence. 26/04/2025. Aix-en-Provence. © Caroline Doutre / Festival de Pâques

Le désordre initial se fond dans les vibrations de la flûte (exceptionnelle Mireia Farré) et la chaleur des violons qui semblent sceller une réconciliation du monde dans le premier chapitre, « Femmes au bord du lac à la surface irisée par le passage d’un cygne (constellation XVIII) », puis les percussions, marimbas en tête semblent constituer la colonne vertébrale du second passage, « L’oiseau migrateur (constellation XIX) », frémissantes, pailletées, soulignées par le trait sombre du tuba : deux tableautins ciselés et délicatement équilibrés. 
Enfin, on revenait à la fantastique orchestration de Ravel (l’une des rares à savoir faire oublier le piano originel) des Tableaux d’une exposition de Modeste Moussorgski. Et l’on se laisse emporter avec délices dans le parcours du musicien et ses « Promenades » où l’on croise des lieux sublimes, ou pétillants de vie, comme le marché de Limoges, (tant pis pour les Catacombes romaines !), les contes de Baba Yaga et sa cabane sur des pattes de poule, tandis que des poussins dansent dans leurs coques et que la Grande porte de Kiev s’ouvre en majesté, beauté à laquelle on aimerait qu’elle soit toujours attachée aujourd’hui. Les musiques n’ont pas besoin de forcer le trait pour être signifiantes.
En bis, le concert revient à Gershwin avec un extrait de Shall we dance, Promenade Walking the dog. (Promenade en référence à Moussorgski ?). La séquence évoque la promenade des chiens sur le pont d’un paquebot de luxe, façon de faire se rencontrer le fabuleux couple Fred Astaire/ Ginger Rogers.

Concert donné le 20 avril 2025 au Grand Théâtre de Provence dans le cadre du Festival de Pâques qui a compté encore davantage de spectateurs cette édition avec plus de 30 000 personnes que les années précédentes.