Ce qui est invisible pour les yeux…

Ce qui est invisible pour les yeux…

Avec « La Vie invisible » Lorraine de Sagazan nous convie à suivre un personnage réel, Thierry Sabatier, abordant le théâtre par un prisme inattendu

S’il est un lieu où la vue semble primordiale, c’est bien le théâtre. Son étymologie même renvoie au domaine de la vue, le terme grec θέατρον (théâtre, lieu où l’on regarde, vient du verbe θεάομαι, regarder).Mettre en scène et lui demander de partager sa perception avec le public relève du paradoxe, de prime abord avant d’ouvrir des champs démultipliés à notre entendement. La metteuse en scène Lorraine de Sagazan et l’auteur Guillaume Poix ont collecté de nombreux témoignages de personnes déficientes visuelles et c’est à partir de celui de Thierry Sabatier qu’ils ont construit leur spectacle.

Seul, Thierry Sabatier s’avance devant la scène, explique sa cécité, l’accident, alors qu’il n’avait que seize ans, qui a scellé l’évolution d’une maladie que personne n’avait détectée et qui peu à peu rongeait son champ de vision. Il évoque sa vie d’enfant, la dernière pièce qu’il a « vue » avec sa mère peu avant la mort de celle-ci. Elle lui chuchotait alors ce qui se déroulait sur scène afin qu’il profite de la représentation comme tous les autres spectateurs. Cette pièce se trouve au centre du propos.

Un réel « augmenté »

La vie invisible © Christophe Raynaud de Lage

La vie invisible © Christophe Raynaud de Lage

Le réel et la fiction théâtrale se conjuguent ici étroitement. La mémoire de celui qui cherche à se souvenir de son visage et ne « voit » les autres qu’en les touchant, tente de reconstituer ce moment du passé lié au basculement de son existence. Une même scène reprise plusieurs fois, et chaque fois un peu plus étoffée, dessine des échos entre les souvenirs de la pièce, ceux du vécu et la confusion qui s’est établie entre le réel et la construction littéraire. Notre perception des œuvres est interrogée par ce biais : notre réception d’une production artistique est nourrie de ce que nous sommes et la mémoire que nous en avons est tributaire de ce que nous sommes. Notre réalité est augmentée par les références de ce que nous avons vu, lu, écouté…

Une autre appréhension des sens

Le début de l’évocation de la pièce dont le nom a été oublié, (l’enjeu du récit ne réside pas là), est effectué dans l’ombre où se dessinent deux silhouettes immobiles qui se contentent de dire leur texte, reproduisant ce que l’on pourrait supposer de la perception d’une personne aveugle, seules les voix compteraient… Faux ! s’insurge alors Thierry Sabatier, les gestes, les mouvements, les attitudes, tout est sensible et perçu, même pour un non-voyant. Les deux acteurs essaient alors de reconstituer le ton, les intentions de la pièce, les mots deviennent subalternes, l’important est de mettre en scène un couple qui se déchire, à l’instar du couple des parents de Thierry Sabatier.

La vie invisible

La vie invisible  © DR

La vue est mise en défaut : « et vous, est-ce que vous vous fiez à ce que vous voyez ? » interroge malicieusement Thierry en s’adressant au public. Les deux comédiens professionnels, Chloé Olivères et Romain Cottard, l’aident à retrouver les personnages de la pièce inconnue.

Lui, dans son propre rôle, canne blanche à la main, sourit vers l’assistance, nous interpelle sur notre perception du réel, la met en cause. L’approche des méandres de la mémoire, de la complexité des sentiments, des ambiguïtés humaines, des brumes de la création, est d’une finesse et d’une profondeur délicate. Il n’y a pas de larmoiements ou de « bons sentiments » vains, mais une émotion et un humour qui rendent à la vie sa richesse et son humanité. Notre incapacité commune, quels que soient les sens dont nous disposons, à saisir le réel dans son objective présence, nous renvoie à notre condition d’êtres en proie aux variations des émotions, créateurs inconscients d’affabulations, construisant nos propres autofictions au cœur d’un monde que nous nous approprions par la grâce des fictions.

Le 21 novembre, théâtre du Bois de l’Aune, Aix-en-Provence

GTP romantique

GTP romantique

Un programme romantique à souhait au Grand Théâtre de Provence grâce au Cercle de l’Harmonie sous la houlette de Jérémie Rhorer été des solistes Marc et Emmanuel Coppey

En résidence cette saison au Grand Théâtre de Provence, le Cercle de l’Harmonie et son chef, Jérémie Rhorer proposaient ce soir-là une délicieuse promenade auprès de Mendelssohn, Brahms, et Beethoven. Pour l’occasion étaient invités Marc et Emmanuel Coopey, père et fils, violoncelliste et violoniste. Les premiers pas de la soirée s’esquissaient auprès de Felix Mendelssohn et son ouverture, La Belle Mélusine (Das Märchen von der schönen Melusine, Le conte de fées de la belle Mélusine), inspirée au compositeur par la représentation de l’opéra Melusina de Conradin Kreutzer à Berlin.

Le mythe de cette fée de l’eau a connu moult versions dont celle qui la rend à l’origine de la lignée des Lusignan.

Ici, ce serait la punition d’un père qui imposerait à la jeune fée de passer un jour par semaine sous la forme d’une sirène (le samedi d’après quasiment toutes les moutures du conte).

Si elle est vue elle sera condamnée à rester sous cette apparence.

La fluidité de la composition orchestrée par un déluge de croches au début de la partition transcrit l’image aquatique du personnage, puis les frémissements agités des cordes évoquent les sentiments de celui qui découvre la déité auprès d’une fontaine où les deux motifs qui constituent ce diptyque titré à l’origine La sirène et le chevalier.

Entre père et fils

En prolégomène au concert, une « avant-scène » était proposée au public dans le hall du GTP.

Marc Coppey © Caroline Doutre

Marc Coppey © Caroline Doutre

Emmanuel Coppey © Caroline Doutre

Emmanuel Coppey © Caroline Doutre

Des indications éclairantes à propos des œuvres étaient alors données ainsi qu’un court entretien avec Marc Coppey qui vint parler du Double concerto pour violon et violoncelle de Brahms, œuvre de réconciliation de Brahms avec son ami le violoniste hongrois Joseph Joachim, qu’il allait interpréter dans la foulée aux côtés de son fils, Emmanuel Coppey.

Il expliqua combien Brahms était encore proche de nous dans le temps : « j’ai connu des musiciens qui l’ont côtoyé, ont travaillé avec lui ». Insistant sur le caractère double de l’œuvre qui, par sa composition, tient tout autant de la musique de chambre que de la musique orchestrale, « l’un des paradoxes de Brahms », il regrettait aussi qu’aucun concerto du compositeur n’ait été créé spécifiquement pour le violoncelle malgré l’amour qu’il manifestait pour l’instrument. La partition jouée quelques instants plus tard offre des pages sublimes au violoncelle.

La profondeur de jeu des deux instrumentistes servait ensuite avec une verve rare les duos et soli, répondant à l’orchestre, se passionnant en conversations vives, s’épanchant en volutes lyriques, s’opposant parfois malicieusement avant de trouver une harmonie commune. En bis, les deux complices offraient la sublime Passacaille de Haendel puis la délicate Berceuse de Ibert.

Beethoven symphonie pastorale © Caroline Doutre

De la nuance avant toute chose

Après l’entracte, l’orchestre revenait pour le monument qu’est la Symphonie n° 6 de Beethoven, la célébrissime Pastorale. La direction ciselée de Jérémie Rhorer sculpte les pupitres, tous sur instruments d’époque (ou copies d’époque). Si les instruments à vent semblent parfois connaître de petits décalages de hauteur liés à leur facture, ils s’emparaient avec passion des tableaux brossés par cette symphonie, écho du chant d’un pâtre au revers d’une montagne, fête paysanne riante… Sans doute le second mouvement traîne un peu, se complaît dans de molles et harmonieuses douceurs, mais les élans de l’orage soutenus par les timbales sonnent avec une puissance rare et surprenante (les instruments anciens sont réputés pour moins « sonner » que les modernes). C’est cet orage d’ailleurs qui sera repris en bis pour un public enthousiaste. Du sublime tout simplement !

18 novembre, Grand Théâtre de Provence, Aix-en-Provence

Entre l’ancien et le nouveau

Entre l’ancien et le nouveau

Les Nouveaux Horizons rêvés par le violoniste Renaud Capuçon et l’altiste Gérard Caussé ont poursuivi lors de leur quatrième édition le tissage entre pièces du répertoire et créations 

Les morceaux travaillés lors d’une semaine de résidence par leurs dix interprètes, huit jeunes musiciens réunis autour des deux fondateurs de l’évènement, ont été joués lors de trois représentations qui entrelaçaient « classique » et création allant du duo au septuor pour un panorama musical éclairant de la musique chambriste. 

Extrêmes

Les deux représentations du vendredi et du dimanche séduisaient ainsi par leur variété, le talent très investi des artistes qui apportaient leur fougue et leur finesse aux partitions parfois diamétralement opposées qui leur étaient proposées. Passer du Trio pour piano, violon et violoncelle en ré mineur opus 120 de Gabriel Fauré, subtilement servi par le piano souverain de Guillaume Bellom et le dialogue des cordes, Irène Duval (violon) et Maxime Quennesson (violoncelle) à la création de Sasha J. Blondeau, Muter pour deux violoncelles (Maxime Quennesson et Ivan Karizna) relevait de la prouesse. Cette pièce puissante use de toutes les capacités sonores de l’instrument, cordes pincées, frottées, frappées, « oiselées », sons menés de leur plénitude expressive à la saturation, pour une performance qui dessine des paysages urbains puis les quitte, habitant l’âme de résonances nouvelles, une réelle performance ! Le Quintette avec piano (1919) du trop peu connu Frank Martin, pièce que l’on pourrait qualifier de néo-baroque faisant dialoguer les instruments (violons de Renaud Capuçon et Irène Duval, alto de Sara Ferràndez, violoncelle d’Ivan Karizna, piano de Guillaume Bellom) jongle avec souplesse entre les atmosphères, passe de la jubilation à l’infinie tristesse puis aux accents de danses d’Europe de l’Est.

Nouveaux Horizons, GTP, Concert du 10 novembre © Caroline Doutre

Nouveaux Horizons, GTP, Concert du 10 novembre © Caroline Doutre

Nouveaux Horizons, GTP, Concert du 10 novembre © Caroline Doutre

Nouveaux Horizons, GTP, Concert du 10 novembre © Caroline Doutre

Le septuor de Sofia Avramidou What can that be my apple tree?, inspiré du conte La jeune fille sans mains des frères Grimm, invitait aux côtés des musiciens précédents le violon d’Anna Göckel, l’alto de Gérard Caussé et le violoncelle de Maxime Quennesson. L’œuvre suit une dramaturgie précise, transmute en sons une idée poétique du propos, métamorphose les timbres, joue des contrastes, palpitations du silence, traits exacerbés, horlogerie minutieuse qui fait se balancer les instrumentistes, incorporant physiquement les mesures avant l’éclosion d’une mélodie profonde et salvatrice.

Traditions

Le premier jour, la fine pianiste Julia Hamos s’attachait au Trio avec clarinette (éblouissant Joë Christophe) de Beethoven puis au très beau Quatuor pour piano et cordes en si mineur de Guillaume Lekeu (la composition fut interrompue par la mort du musicien et le deuxième mouvement fut achevé par Vincent d’Indy). Si la création très millimétrée de Christopher Trapani, Slow smoke, donnait une partition particulièrement chargée et délicate à la clarinette, l’accompagnement des deux violons, alto et violoncelle, elle était fortement datée des débuts des travaux de l’IRCAM.

Nouveaux Horizons, GTP, Concert du 10 novembre, Camille Pépin © Caroline Doutre

Nouveaux Horizons, GTP, Concert du 10 novembre, Camille Pépin © Caroline Doutre

En revanche, la pièce nouvelle de Camille Pépin, Si je te quitte, nous nous souviendrons, subtil duo entre le violon de Renaud Capuçon et le piano de Guillaume Bellom, taillée sur mesure pour ces deux brillants interprètes, mélange les couleurs, joue des contrastes, lyrique et fluide, un petit bijou!

Nouveaux Horizons du 10 au 12 novembre, conservatoire Darius Milhaud, Aix-en-Provence

Grand orchestre et piano

Grand orchestre et piano

Régulièrement invité au Grand Théâtre de Provence, l’Orchestre national Avignon-Provence mené par Deborah Waldman se glissait dans des œuvres de Mozart et de Tchaïkovski

Le Concerto pour piano n° 24 en ut mineur K.491 de Mozart (un des rares concertos du compositeur à être en tonalité mineure) offrait un équilibre soyeux au cantabile de David Kadouch. Le pianiste, vêtu de sa vareuse noire, choisissait une interprétation d’enfant sage.

L’intime trouvait ici une expression douce loin de la surprenante « énergie sauvage et désespérée » dont parlait Olivier Messiaen à propos du premier mouvement cette œuvre dont l’écriture n’est pas sans préfigurer le Beethoven des dernières années. La sérénité du piano, son raffinement, son élégance expressive, dialoguent dans le Larghetto avec l’allégresse des bois puis l’instrument moire ses effets dans l’Allegretto finement espiègle. Le tragique, le sentiment de douleur souvent attribués à cette œuvre sont éludés dans cette interprétation raffinée aux allures de confidence.

David KadouchPhoto: Marco Borggreve

David Kadouch © Marco Borggreve

En bis, le subtil musicien, défenseur des musiques « oubliées » interprétait la Mélodie opus 4 n° 2 de Fanny Hensel Mendelssohn, lumineuse de simplicité.

Après l’entracte, les rangs de l’orchestre s’étoffaient pour une approche d’anthologie de la Symphonie n° 6 opus 74 de Tchaïkovski. Ce dernier avait donné le titre de Symphonie passionnée à ce qui sera traduit par Pathétique en français pour évoquer ce testament du compositeur russe. Le lyrisme poignant de l’œuvre, sa puissance, ses élans, ses scansions tumultueuses, étaient rendus avec un talent de coloriste hors pair. La cheffe ne cherche pas à imposer une vision, mais suit les intentions du compositeur, entre dans sa dramaturgie, en épouse les respirations, les contrastes, les exaltations, sans jamais tomber dans le mièvre.

Debora Waldman par  Lyohdo Kaneko

Debora Waldman © Lyohdo Kaneko

Les cuivres resplendissent, la texture des cordes étoffe les richesses harmoniques, sous une baguette aussi fluide qu’inspirée et incisive.

Spectacle donné au Grand Théâtre de Provence le 9 novembre

Lorsque les animaux s’invitent à l’orchestre

Lorsque les animaux s’invitent à l’orchestre

L’orchestre national de Lyon habille ses instruments des couleurs carnavalesques de l’œuvre de Saint-Saëns dans le cadre de Mômaix au GTP

Dirigé depuis son violon par Jennifer Gilbert, l’Orchestre national de Lyon en formation réduite s’en donnait à cœur joie devant la salle comble du Grand Théâtre de Provence, adaptant son instrumentarium aux fantaisies des partitions.

Jouets en goguette

La paternité de la Symphonie des jouets est controversée. Qui de Léopold Mozart, le père d’Amadeus, ou du « Père Edmund Angerer » a commis cette pièce ? Les érudits alimentent la controverse entre partitions originales et copies postérieures ou antérieures, sans compter la première attribution à Haydn, on ne prête qu’aux riches, qui aurait, après l’achat de jouets, joué cette œuvre pour des enfants lors d’une soirée de Noël. Tracas dont personne se souciait lors de son interprétation en ouverture du concert donné cette matinée-là, où renonçant à la sieste, les enfants « sages » et leurs enthousiasmes affluaient dans la grande salle du GTP ! Venaient malicieusement s’ajouter aux instruments traditionnels de l’orchestre, violons, violoncelles et contrebasses des accessoires cocasses inattendus, un appeau-coucou, un appeau-caille, un sifflet à eau-rossignol, une trompette-jouet à une note, une crécelle-hochet, un tambour d’enfant.

Le « joueur de coucou » se dressait parfois, tel un personnage d’horloge animée, le gazouillis des oiseaux transformait l’ensemble en véritable volière tandis que le triangle scintillait de toutes ses paillettes. Les facéties de cette introduction préparaient avec malice le carnaval à venir.

Bestiaire musical

Si la partition originale de Saint-Saëns était écrite pour un orchestre et sans textes, Shin-Young Lee a l’a transcrite dans le livre-CD dans lequel cette version a été enregistrée pour un ensemble réduit mais nous donne l’illusion d’une formation au grand complet. Les poèmes d’Élodie Fondacci viennent remplacer les textes de Francis Blanche, en en conservant l’humour, la distanciation, les allusions accessibles aux adultes, mais en une écriture poétique et espiègle capable de séduire les enfants. Ce qui fut le cas ! Endossant le rôle du récitant, Élodie Fondacci interprète le bestiaire du Carnaval des animaux avec une verve savoureuse, transforme sa voix pour chaque personnage.

Album musical Le carnaval des animaux

Un détail, une intonation, une attitude en épure suffisent pour donner vie à l’éléphant, au cygne, aux poules, aux kangourous, au lion, aux fossiles (couple désopilant de tyrex) … La vivacité de la dérision est prolongée par la pochade musicale du compositeur qui refusa la publication de l’œuvre durant sa vie, à l’exception du Cygne. Sans doute il ne souhaitait pas, lui, virtuose du piano et organiste, voir son nom attaché à un registre humoristique et léger. Pourtant ne se moque-t-il pas aussi de lui-même lorsque les pianistes eux-mêmes sont classés parmi les animaux et triment sur leurs gammes (géniaux Pierre Thibout et Pierre-Yves Hodique). La direction de Jennifer Gilbert sait mettre en évidence les pastiches, souligne les traits désopilants de la partition, fait naître des silhouettes expressives, noue saynètes et tableautins en ciselant finement les phrasés. Quelle fête !

Le carnaval des animaux par l’Orchestre national de Lyon a été donné le 28 octobre à 15 heures au Grand Théâtre de Provence, Aix-en-Provence, dans le cadre de Mômaix

Danse de la cruauté

Danse de la cruauté

« We’re back ! » lance l’amphitryon de Clowns « hip hip hip hooray! ». La grande scène du GTP exulte, le génial chorégraphe Hofesh Shechter est de retour !

Double Murder réunit en une même soirée Clowns, créé en 2016 pour le Nederlands Dans Theater et The Fix, nouvel opus du chorégraphe, sorte de réponse à la première pièce. Les dix danseurs incarnent avec humour et une gestuelle très fluide (qui n’est pas sans faire penser à la danse gaga de l’homologue israélien d’Hofesh Shechter, Ohad Naharin) le questionnement incisif de notre quotidien et de notre rapport à la banalisation des faits maintes fois réitérés sur nos écrans et les journaux.

La violence, lorsqu’elle devient objet de répétition quasi mécanique, perd sa force d’effroi et de sidération. La puissance cathartique de sa représentation est alors annihilée, on assiste à la fin de l’essence de la tragédie par son inlassable réédition. Subsiste alors la gestuelle qui devient vocabulaire de danse au même titre que les pas collationnés dans un parcours qui nous fait faire le tour du monde, depuis le folklore sautillant des Balkans aux danses africaines tribales, les élans contemporains, les réminiscences du classique… l’espace prend un relief nouveau, sculpté par les danseurs qui cisèlent les détails. Le loufoque, le rire, la légèreté, dominent cependant malgré l’accumulation pléthorique des assassinats dans une scénographie esthétisée à renfort de fumées, d’ombres, d’effets de lumières qui laissent les corps dansants en silhouettes, les font émerger de l’ombre, d’abord sur le surprenant Can Can d’Offenbach puis sur la musique martelée et dynamique de Shin Joong Hyun, The Sun, qui complètent la création musicale d’Hofesh Shechter, dont le caractère envoûtant vient trancher avec le cauchemar du propos.

Double murder, The Fix, de Hofesh Shechter au GTP, Aix-en-Provence© Todd Mac Donald

Double murder, Clowns, de Hofesh Shechter © Todd Mac Donald

The Fix « répare » tout cela par sa simplicité, son évidence, sa volonté de créer du lien ; les artistes iront même dans la salle à la rencontre des spectateurs, les salueront avec chaleur. La fougue de la première partie n’est pas éteinte, mais cherche ici l’autre, l’harmonie, la douceur, redessine une humanité qui retrouve un équilibre et une empathie heureuse. Vibrations positives dont les peuples manquent cruellement aujourd’hui…

Spectacle donné les 6 & 7 octobre au Grand théâtre de Provence, Aix-en-Provence