GTP romantique

GTP romantique

Un programme romantique à souhait au Grand Théâtre de Provence grâce au Cercle de l’Harmonie sous la houlette de Jérémie Rhorer été des solistes Marc et Emmanuel Coppey

En résidence cette saison au Grand Théâtre de Provence, le Cercle de l’Harmonie et son chef, Jérémie Rhorer proposaient ce soir-là une délicieuse promenade auprès de Mendelssohn, Brahms, et Beethoven. Pour l’occasion étaient invités Marc et Emmanuel Coopey, père et fils, violoncelliste et violoniste. Les premiers pas de la soirée s’esquissaient auprès de Felix Mendelssohn et son ouverture, La Belle Mélusine (Das Märchen von der schönen Melusine, Le conte de fées de la belle Mélusine), inspirée au compositeur par la représentation de l’opéra Melusina de Conradin Kreutzer à Berlin.

Le mythe de cette fée de l’eau a connu moult versions dont celle qui la rend à l’origine de la lignée des Lusignan.

Ici, ce serait la punition d’un père qui imposerait à la jeune fée de passer un jour par semaine sous la forme d’une sirène (le samedi d’après quasiment toutes les moutures du conte).

Si elle est vue elle sera condamnée à rester sous cette apparence.

La fluidité de la composition orchestrée par un déluge de croches au début de la partition transcrit l’image aquatique du personnage, puis les frémissements agités des cordes évoquent les sentiments de celui qui découvre la déité auprès d’une fontaine où les deux motifs qui constituent ce diptyque titré à l’origine La sirène et le chevalier.

Entre père et fils

En prolégomène au concert, une « avant-scène » était proposée au public dans le hall du GTP.

Marc Coppey © Caroline Doutre

Marc Coppey © Caroline Doutre

Emmanuel Coppey © Caroline Doutre

Emmanuel Coppey © Caroline Doutre

Des indications éclairantes à propos des œuvres étaient alors données ainsi qu’un court entretien avec Marc Coppey qui vint parler du Double concerto pour violon et violoncelle de Brahms, œuvre de réconciliation de Brahms avec son ami le violoniste hongrois Joseph Joachim, qu’il allait interpréter dans la foulée aux côtés de son fils, Emmanuel Coppey.

Il expliqua combien Brahms était encore proche de nous dans le temps : « j’ai connu des musiciens qui l’ont côtoyé, ont travaillé avec lui ». Insistant sur le caractère double de l’œuvre qui, par sa composition, tient tout autant de la musique de chambre que de la musique orchestrale, « l’un des paradoxes de Brahms », il regrettait aussi qu’aucun concerto du compositeur n’ait été créé spécifiquement pour le violoncelle malgré l’amour qu’il manifestait pour l’instrument. La partition jouée quelques instants plus tard offre des pages sublimes au violoncelle.

La profondeur de jeu des deux instrumentistes servait ensuite avec une verve rare les duos et soli, répondant à l’orchestre, se passionnant en conversations vives, s’épanchant en volutes lyriques, s’opposant parfois malicieusement avant de trouver une harmonie commune. En bis, les deux complices offraient la sublime Passacaille de Haendel puis la délicate Berceuse de Ibert.

Beethoven symphonie pastorale © Caroline Doutre

De la nuance avant toute chose

Après l’entracte, l’orchestre revenait pour le monument qu’est la Symphonie n° 6 de Beethoven, la célébrissime Pastorale. La direction ciselée de Jérémie Rhorer sculpte les pupitres, tous sur instruments d’époque (ou copies d’époque). Si les instruments à vent semblent parfois connaître de petits décalages de hauteur liés à leur facture, ils s’emparaient avec passion des tableaux brossés par cette symphonie, écho du chant d’un pâtre au revers d’une montagne, fête paysanne riante… Sans doute le second mouvement traîne un peu, se complaît dans de molles et harmonieuses douceurs, mais les élans de l’orage soutenus par les timbales sonnent avec une puissance rare et surprenante (les instruments anciens sont réputés pour moins « sonner » que les modernes). C’est cet orage d’ailleurs qui sera repris en bis pour un public enthousiaste. Du sublime tout simplement !

18 novembre, Grand Théâtre de Provence, Aix-en-Provence

Lorsque les poètes rencontrent les compositeurs

Lorsque les poètes rencontrent les compositeurs

Le grand schumanien Éric Le Sage et la soprano habituée aux répertoires baroques, Sandrine Piau se retrouvaient (ils ont déjà enregistré ensemble en 2018) sur un programme de lieder de Clara puis, Robert Schumann et de poèmes de Verlaine mis en musique par Gabriel Fauré.

La soirée, construite comme un voyage au sein des affres amoureuses, s’attachait aux « sombres rêveries » (Ich stand in dunkel Traümen) que Clara Schumann empruntait à Heinrich Heine avant de suivre le poète sur les délices des amours partagées, Ils s’aimaient tous les deux (Sie Lieben sich beide) et la Magie de l’amour (Liebeszauber).

La fluidité du jeu du pianiste offrait un écrin élégant à la voix de la chanteuse. La diction, superbement articulée et claire, servait avec finesse les textes poétiques, faisant chanter les rossignols et scintiller le soleil, passionné bien évidemment, tandis que le cycle consacré à Mignon, cette émouvante figure du roman de Goethe, Les années d’apprentissage de Wilhem Meister, suivait les remuements du cœur de ce personnage aux marges de la mort.

C’est alors que naît le célèbre Kennst du das Land wo die Citronen Blühn ? (Connais-tu le pays où les citroniers fleurissent ?) avant que le désespoir de la perspective d’une fin proche soit évoqué avec une courageuse pudeur.

Thème et variations opus 73 de Gabriel Fauré, écho à l’amour que le compositeur portait aux Études symphoniques de Schumann (dixit la feuille de salle, toujours éclairante et passionnante, l’une des marques de fabrique du festival de Salon), permettait au pianiste de proposer une lecture claire et intelligente d’une sérénité qui réconciliait avec le monde.

Enfin, La Bonne Chanson puisée dans le cycle verlainien nous plongeait dans la délicatesse de textes qui dessinent les âmes comme des jardins, associent la lumière et les émotions, esquissent l’infini au revers de la simplicité des mots.

Eric Le Sage et Sandrine Piau Salon Théâtre Armand

Eric Le Sage et Sandrine Piau Salon © E.M. 

Eric Le Sage et Sandrine Piau Salon Théâtre Armand

Eric Le Sage et Sandrine Piau Salon © E.M. 

Deux bis, présentés avec finesse par Sandrine Piau venaient conclure le spectacle : Fauré, funambule inspiré accordant un équilibre bouleversant entre les vers et les mélodies où dansent indéfiniment masques et bergamasques…

Le 7 novembre, théâtre Armand, Salon de Provence, dans le cadre des Scènes intérieures de Salon de Provence (Festival international de musique de chambre de Provence)

Ce que laissent les étoiles

Ce que laissent les étoiles

Le nouveau spectacle de la Compagnie Après La Pluie, …Trace…, repose sur des textes composés par des enfants hospitalisés au service d’hémato-oncologie de la Timone à Marseille

Recueillir des paroles d’enfants

Le titre s’inscrit d’emblée dans une parenthèse : les points de suspension qui encadrent le terme « trace » semblent vouloir extraire du fil du temps le témoignage de ce qui n’en a été qu’une manifestation éphémère. Le travail du metteur en scène Olivier Pauls consiste ici à mettre en lumière le travail fantastique effectué par les comédiennes de la Compagnie Après la pluie dans les hôpitaux auprès des enfants malades. Peu importe la difficulté à établir le contact, le contexte hospitalier contraignant, les évolutions souvent trop tragiquement prévisibles des pathologies, les artistes sont avec les enfants qui posent des mots sur eux, leurs proches, leurs espoirs, leurs joies, leurs énervements, leurs désespoirs parfois, leur envie d’une vie normale où les devoirs scolaires et les chamailleries avec des enfants de leur âge seraient des instants de bonheur.

Cela fait dix ans que les ateliers d’écriture ont été mis en place avec les enfants. Ces derniers sont évoqués avec tendresse, émotion, douceur, tristesse, amusement. Les textes mis en musique par Stéphane Cochini et accompagnés les musiciens Frédéric Albertini (basse, guitare, cajon) et Cyril Peron-Delghan (guitare et percussions) sont interprétés par trois comédiennes de la troupe, en alternance.

Une comédie musicale en équilibre sur le fil de la vie

Cet après-midi-là, à l’Idééthèque des Pennes-Mirabeau, Agnès Audiffren et sa belle voix grave, Cathy Darietto et Céline Giusiano apportaient leur verve et leur sensibilité à l’interprétation joyeuse et expressive des chants, des histoires, mêlant aux vies bouleversées des enfants leurs réflexions, leurs trajets personnels, leur appréhension de la mort, de la vie, de ce qui reste de nous. Le désir de croire à quelque chose, même si la raison le réfute, accorde à la pérennité des mots le pouvoir de vaincre l’absence définitive au monde.

...Trace... avec Agnès Audiffren dans une mise en scène d'Olivier Pauls © DR

…Trace…  © DR

Dire les textes de ceux qui ne sont plus est une manière de les faire perdurer, de donner un sens à ce qui n’en a pas, de dessiner de l’humanité face à la cruauté du temps qui arrache trop tôt les êtres à ce monde.

Les trois comédiennes qui endosseront les rôles des trois émotions-clé du spectacle, Colère, Tristesse et Amour, entrent en scène affublées des vêtements de protection des personnels soignants, miment conversations, maladresses, disputes, puis, abandonnant le factice redeviennent elles-mêmes, expliquent leur travail, leurs rencontres, tissent entre les passages chantés dont les textes sont dus aux enfants malades un récit vrai au cours duquel les vies des artistes croisent celles des petits hospitalisés. Il n’est plus question de se projeter vers un avenir incertain et trop souvent bref, mais de vivre l’instant présent. Se développe alors une autre manière d’envisager l’existence, proche de celle qu’évoquait André Gide dans les Nourritures terrestres, s’adressant à Nathanaël : « saisis de chaque instant la nouveauté irremplaçable et ne prépare pas tes joies, ou sache qu’en son lieu préparé te surprendra une joie autre », prolongement du célébrissime carpe diem d’Horace, « cueille le jour » …

...Trace... avec Agnès Audiffren dans une mise en scène d'Olivier Pauls © DR

…Trace…  © DR

Chaque instant tend ainsi vers la perfection : les chorégraphies impeccables, les gestes, les intonations, justes, habités d’âme, offrent au propos un écrin enjoué, subtil, drôle et poignant. Les expressions mobiles des visages et des corps passent par toutes les nuances des émotions, rendent compte de l’indicible, de même que les musiques, et permettent aux enfants de continuer à vivre à travers leurs paroles.

Souvent les jeunes auteurs affirment leur volonté de transmettre, de laisser une trace. Voici Irma qui du haut de ses trois ans « fait des trucs-trucs rigolos », la « tchatcheuse » Kayna, huit ans, qui s’évade par les histoires, Orion qui, à huit ans, porte un regard d’une acuité époustouflante sur ce qui l’entoure et ce qui « l’énerve » (l’un des instrumentistes évoque sa rencontre avec lui et ses paroles qui l’ont impressionné : « les docteurs m’auscultent comme un bout de viande et ça m’énerve ! »). Les portraits défilent, attachants, saisis dans leur fragilité, leur courage. Face à l’éphémère, tout devient important, et s’impose alors la nécessité « de faire ce qui peut être fait » …

...Trace... avec Agnès Audiffren dans une mise en scène d'Olivier Pauls © DR

…Trace…  © DR

Parfois la rémission, la guérison arrivent, « on gagne » contre la maladie et de toute façon, on gagne avec le sourire d’Héloïse qui explique que « même si on est dans les étoiles, on garde la vue sur les gens qu’on aime ». On rit à l’histoire de Princesse Tristesse, inénarrable de force comique, de la petite Victoria (quatre ans), on écoute la chanson de Zineb (six ans) sur la joie… Et si l’amour c’est la clé, il faut cultiver le beau : « l’important c’est de célébrer la vie jusqu’au bout ». « On respire ensemble, sourient les comédiennes, les chants sont une respiration que l’on partage avec les enfants ».

Tour de force que ce spectacle qui nous fait rire, nous émeut, conduit à réfléchir et ce, sans jamais tomber dans la mièvrerie ni l’apitoiement délétère. Magnifique et bouleversant !

…Trace… a été joué le 18 novembre à l’Idééthèque des Pennes-Mirabeau

Inlassablement faire la lumière

Inlassablement faire la lumière

Au Camp des Milles,  a été jouée par la  compagnie des Beaux Parleurs « À rendre à Monsieur Morgenstern en cas de demande », inspirée d’une histoire vraie

Au départ, il y a une boîte noire en carton bouilli retrouvée dans un grenier, un dossier gris assorti d’une note écrite au crayon à papier « Documents de M. Morgenstern confiés à Lyon en 1941 ou 1942. À rendre à M. Morgenstern en cas de demande ». L’écriture est celle du grand-père de Frédéric Moulin. Nous sommes en 2018 au mois de janvier, l’acteur se plonge dans la centaine de documents contenus dans le dossier, lettres, notes, courriers privés et administratifs, assignations à résidence, passeports, photos, permis de séjour, certificats médicaux, lettres préfectorales, demandes de renouvellements de visas provisoires…). Naît une véritable enquête au cours de laquelle le comédien ira consulter les recueils du CHRD au mémorial de la Shoah, s’entoure d’historiens (principalement issus du réseau Mémorha).

Plus de quatre-cents documents seront ainsi regroupés dans le but de découvrir ce qui est vraiment arrivé à la famille juive venue d’Autriche et passée par Lyon durant la Seconde Guerre mondiale et liée mystérieusement au grand-père, imprimeur de son métier, de Frédéric Moulin. L’histoire « trop romanesque, trop parfaite pour sembler vraie » explique l’acteur devenu ici dramaturge devra être mise à distance dans la pièce qui prend son nom de l’intitulé du dossier. Aussi, c’est Sabine Moindrot qui endosse le rôle de découvreuse. Telle Alice au Pays des Merveilles, « tombée dans un terrier, (elle) dans une boîte », elle se lance dans cette histoire qui lui permet aussi de rechercher dans les non-dits de sa propre famille, abordant le mutisme de ceux qui ont vécu les guerres. Méthodique, elle entre dans cet univers avec une sensibilité et une justesse de jeu rares au cœur d’une mise en scène en épure qui se nourrit des ombres et des lumières, des paroles prononcées derrière un long rideau qui permet aussi la projection de photographies et de documents. La famille de Leopold Morgenstern-Singer devient familière, le soulagement lorsqu’elle apprend leur fuite rocambolesque en Suisse ou la naissance de leur deuxième enfant en 1945, est tangible.

Camp des Milles, "À rendre à Monsieur Morgenstern en cas de demande" par la CIE des Beaux Parleurs

Quelles relations se sont établies entre l’imprimeur lyonnais et Leopold Morgenstern ? Aucun document n’en parle, les hypothèses fusent : il n’y a pas de hasard si les documents ont été confiés au grand-père ; souvent les imprimeurs faisaient de faux-papiers… Jouée au Camp des Milles, le lendemain du 12 novembre, la pièce a des résonnances particulières. Il n’est pas question de « devoir de mémoire mais de travail de mémoire » précise Frédéric Moulin alors que, convié sur le plateau avec le père de l’acteur, Robert Singer, (l’enfant né en Suisse en 1945), lit un texte dans lequel il remercie ceux qui ont contribué à sauver sa famille et rappelle combien l’humanité a besoin de la solidarité des êtres et de leur attention pour ne pas plonger dans la barbarie. Le mouvement dialectique entre histoire et mémoire tient ici de l’intime et renvoie chacun à sa responsabilité individuelle. Les idées ne sont pas simplement des mots, mais s’incarnent…

Lundi 13 novembre Camp des Milles

Un auteur peut en cacher beaucoup d’autres!

Un auteur peut en cacher beaucoup d’autres!

Invité en résidence par Les Nouvelles Hybrides, l’écrivain Marcus Malte évoque quelques pans de sa bibliothèque idéale

Il peut être considéré comme un défi que de choisir quatre auteurs dans une bibliothèque qui nous serait idéale. C’est ce que, malicieusement, l’association Nouvelles Hybrides demande aux auteurs qu’elle invite en résidence. Exercice de style auquel Marcus Malte s’est prêté, choisissant des œuvres « au sommet de la littérature », dues à Cormac MacCarthy, Vladimir Nabokov, Jean Giono et Albert Cohen. L’entretien mené avec la complicité du journaliste Michel Gairaud permettait d’aborder ces monuments en cherchant à déceler leur influence sur l’écriture et les univers de Marcus Malte.

Le cicerone rappelait en préambule la manière de travailler ses textes de l’auteur, « comme une mélodie, sans doute parce qu’il a été pianiste de jazz » avant la lecture introductive d’un premier extrait du premier écrivain de la « bibliothèque idéale », Méridien de sang de Cormac McCarthy, anti-western, roman noir somptueux situé dans les années 1850 au Texas.

Du côté de chez McCarthy

Seul écrivain du florilège à être traduit, il est aussi le plus jeune de tous, Nabokov et Giono sont nés la même année, et Albert Cohen juste avant eux. Évoquant Cormac McCarthy, Marcus Malte s’exclame « avec ce genre de mec, ça va du très bon au génial » ! Certes, l’auteur américain n’a pas écrit plus d’une bonne dizaine de romans en cinquante ans. « Il prend son temps », sourit l’auteur né à la Seyne-sur-Mer qui ajoute « j’ai énormément de mal à dire pourquoi j’aime un livre, mais son roman La Route (The road, sorti en 2006), j’ai l’impression qu’il ne l’a écrit que pour moi et que c’est ce que j’aurais voulu écrire ». Les rencontres avec les auteurs sont souvent liées au hasard, mais Marcus Malte avoue une intuition particulière pour ces rencontres littéraires : « j’ai une espèce de flair pour les romans, il est rare que je choisisse quelque chose qui ne me plaise pas ».

Marcus Malte, invité des Nouvelles Hybrides

Michel Gairaud et Marcus Malte © M. C.

Marcus Malte, invité des Nouvelles Hybrides

Michel Gairaud et Marcus Malte © M. C.

En ce qui concerne Cormac McCarthy, l’un de ses livres est déniché dans une librairie toulonnaise, (Charlemagne) puis il restera sur une étagère de l’auteur durant cinq ans. Lecture faite, il conduit à la commande de tous les autres ouvrages ! « Méridien de sang fait partie des livres qui m’ont foudroyé ». Les similitudes entre ce dernier ouvrage et Le garçon (Marcus Malte, éditions Zulma, prix Femina 2016) prennent un tour d’évidence, dans les deux cas, il s’agit d’un jeune garçon en rupture avec son milieu et sa confrontation au monde, pas toujours très douce ! « Le livre de McCarthy est tiré d’une histoire vraie, d’une violence incroyable et d’une immense poésie. La relation entre le noir et la poésie, le côté mystique, voire biblique dans la manière de raconter (l’Amérique est en train de se former et c’est terrible) me séduisent », avoue le lecteur passionné qui ajoute : « d’une manière générale, les quatre auteurs dont nous parlons ce soir ont un style puissant.On peut très bien ne pas rentrer dedans, certains les détestent justement pour ça. En général j’aime les auteurs qui ont un style fort. J’aime ce parti pris, et quand vous aimez, vous êtes littéralement happés. La plus grande partie du plaisir de lecture vient de leur style. Ces auteurs-là travaillent la matière humaine qui n’est pas d’un seul bloc. Dans sa trilogie De si jolis chevaux, sa manière de parler des animaux, de la nature, moi qui ne sors pas de chez moi, j’y suis ! ».

Nabokov le « balèze »

Il n’a en effet rien de commun avec McCarthy, dans Ada (roman choisi pour la soirée par Marcus Malte), il y a plusieurs strates narratives, « c’est balèze », et c’est ce qui rend ce livre le plus difficile à lire des quatre.

« C’est un bouquin avec lequel on n’en finit jamais. Il y a toujours une part de mystère qui reste et ça me plaît : il y a toujours un truc à gratter. C’est un auteur que je n’osais pas lire. Nabokov a écrit en russe, puis en anglais et quelques livres en français. Souvent il joue avec les mots et les traductions des mêmes textes. C’est fin, subtil ironique avec un art de dire les choses sans les dire. J’adore quand les auteurs nous font comprendre les choses sans les formuler. C’est une manière de montrer que tout n’est pas si simple. Ce qui est « hyper fort » c’est aussi de montrer la pureté, la luminosité, la beauté, même dans des scènes qui ne sont pas évidentes, ainsi les scènes érotiques qui sont des incestes entre Ada et son frère ».

Michel Gairaud et Marcus Malte, invité des Nouvelles Hybrides

Michel Gairaud et Marcus Malte © M. C.

Il est des scènes dont l’évocation émeut profondément l’auteur, qui, les larmes aux yeux, poursuit en expliquant combien Nabokov s’amuse avec la structure et les mots : « il fait ce qu’il veut, il se balade, nous balade et c’est beau et c’est bon ».

Jean Giono le « magnifique »

Marcus Malte rit lorsqu’il raconte comment il a fait la connaissance de l’auteur : celle qui allait devenir son épouse suivait alors des études à la faculté de lettres d’Aix-en-Provence.

En lecture imposée, elle avait Que ma joie demeure. « Ne lis pas ça c’est trop chiant ! » lui lança-t-elle. Bien évidemment, c’est ce qui motiva la plongée dans l’œuvre puis dans les autres textes du père des Cahiers du Contadour. « Le hussard sur le toit est un bon exemple de son écriture, car c’est en même temps « grand public » et magnifiquement écrit. Même si Angelo est un héros assez pur, des choses atroces sont écrites. Giono est un type qui est capable de nous emmener où il veut et de nous faire croire tout ce qu’il raconte, même si les faits sont tout autres, mais on est embarqués, mystifiés. Il y a la beauté, la dureté, ce qui est implacable dans la nature de même que chez les hommes. » Lorsque l’adaptation cinématographique est mise sur la sellette, chacun conviendra que la comparaison nuit au film.

Marcus Malte, invité des Nouvelles Hybrides

 Marcus Malte © M. C.

« Il est important que ce soit un bon film, même s’il n’est pas fidèle, il s’agit de deux médiums différents », sourit Marcus Malte.

Albert Cohen, celui qui « n’a peur de rien »

Mangeclous, deuxième roman de la trilogie (puis tétralogie, précédé de Solal, et suivi par Belle du seigneur et enfin Les Valeureux) d’Albert Cohen, est pour Marcus Malte, le livre le plus drôle qu’il ait jamais lu, alliant satire politique, humour, esprit de la farce. « Il n’a peur de rien, Albert Cohen, il n’hésite pas à aller dans la grossièreté du trait. Ce qui est difficile pour lui, c’est de s’arrêter, il avait l’habitude de dicter ses textes et se laissait emporter par le flux des mots. D’habitude, précise Marcus Malte, je n’aime pas trop ça que l’on force l’accent, mais avec lui, ça marche, il n’a pas peur de s’emparer de clichés » … La verve inextinguible du diplomate fait partie des jubilations littéraires de l’invité qui les partage avec gourmandise avec le public de la bibliothèque de La Tour d’Aigues.
Ce qui rend les auteurs fabuleux, c’est la conjonction entre un style et une histoire… la dernière jubilation en date de Marcus Malte, 2666 de l’auteur chilien Roberto Bolaño.

Le 16 novembre, bibliothèque de La Tour d’Aigues