Spectacle de haute voltige en ce début d’année au Grand Théâtre de Provence : créé en 2019 par la Compagnie XY et le chorégraphe et directeur du Théâtre de Chaillot, Rachid Ouramdane, Möbius défie la gravité et célèbre le collectif

Les dix-neuf artistes circassiens entrent un par un sur la scène vide dans le silence, silhouettes diverses vêtues de noir, dressées immobiles face au public. L’ensemble s’anime alors tel un vol d’oiseaux, avec ses regroupements, ses accélérations, ses courses folles, ses géographies. Le sol n’est qu’un appui aux essors, jaillissements soudains de corps qui s’élèvent au-dessus des autres puis rejoignent le plateau avec des trajectoires courbes, vagues infinies qui ressassent les lignes, inventent des ondulations saisies entre les traits horizontaux et verticaux dessinés par les acrobates.

Pas d’agrès dans ce spectacle aux frontières du cirque et de la danse, seuls les corps architecturent l’espace, servent à propulser en improbables banquines, à réceptionner les chutes, à susciter des équilibres vertigineux, parfois quatre personnages montés chacun sur les épaules du précédent constituent des colonnes dont les effondrements calculés épousent des ondulations dont chaque corps n’est qu’un trait. La fluidité est telle que de la position allongée, deux artistes se voient érigés l’un sur les épaules ou la tête de l’autre, matière inerte qui prend vie par la grâce des sculpteurs… La puissance des acrobaties se voit mêlée à la fragilité humaine, dessinant des tableaux vivants d’une géométrie parfaite et émouvante. La chute fait partie intégrante de cette chorégraphie, organisée ou pas, elle entraîne le même effet : l’effondrement voulu ou non de l’un engendre ceux de la totalité du groupe. Il n’est pas d’exploit ou d’échec individuel : tout est lié à l’ensemble.

Mobius  Cie XY ©Melissa Waucquier

Mobius Cie XY ©Melissa Waucquier

La beauté de l’ensemble avec ses lumières crues ou bleutées, ses musiques composées par la Compagnie XY en collaboration avec Jonathan Fitoussi et Clemens Hourrière, dont les battements renvoient au temps humain, ses silences peuplés de réverbérations sonores, tient autant de la poésie foisonnante de ce ballet que de la confiance aveugle déployée par chacun. La foi dans le collectif est ici vivifiante. Le « continuum » de la boucle de Möbius évoqué par le titre du spectacle, matérialisé par la torsion des corps, instaure cette communion humaine, soudant les êtres sans fin.

Möbius a été donné le 6 et le 7 janvier au Grand Théâtre de Provence