Pour la première fois le texte de Jean Cocteau, Le Bel Indifférent, qui a donné lieu à plusieurs adaptations cinématographiques dont celle de Jacques Demy, est mis en musique par le compositeur Jean-Marie Machado et porté à la scène par l’ensemble Virêvolte. Un livre disque illustré en offre le récit
Dix ans après La voix humaine, ce « dialogue à une voix », disait son auteur, Jean Cocteau, était écrit à l’intention d’Edith Piaf Le Bel Indifférent, véritable monologue même si apparaît un second personnage face à la protagoniste, elle aussi, comme dans le texte précédent, femme trompée qui souffre des silences et des mensonges de son amant. La force théâtrale du texte, ses respirations internes n’incitent pas à la construction mélodique pure, aussi, la musique de Machado suit les volutes de la voix parlée.
C’est elle d’ailleurs qui ouvre la pièce, on entend peu à peu derrière les mots les instruments dans le lointain. De retour de son tour de chant dans une chambre d’hôtel, elle appelle un certain Totor qui pourrait savoir à se trouve Émile, « un ange », puis le téléphone sonne, la sœur de l’absent demande où il se trouve, « dans la salle de bain », et il refuse de répondre au téléphone tout nu, « ce ne serait pas convenable » … Le chant s’élève alors, la délaissée évoque les scènes précédentes, les commente… le jazz de la mélodie emprunte alors au registre klezmer pour marquer ses impatiences, ses révoltes, la douleur de son enfermement entre les quatre murs de ses attentes vaines du « magnifique gigolo au bord de ne plus l’être ». Plus lyrique le chant s’emplit de tristesse devant celui qui « se cache derrière son journal ».
La soprano Aurore Bucher (directrice artistique du projet) apporte son talent de comédienne à cette partition dont elle épouse toutes les volutes, bouleversante de vérité dans toutes les expressions des émotions multiples qui la traversent tandis que les aiguilles de la pendule suivent un tempo digne de celui de celui de L’enfant et les sortilèges de Ravel. L’effectif réduit des musiciens souligne ce travail en épure. L’accordéon de Pierre Cussac raconte, les clarinettes de Carjez Gerretsen accompagnent la voix désespérée, le violoncelle d’Anthony Leroy renvoie aux pensées désolées et pourtant lucides du personnage qui se révolte, soutenu par les percussions et le vibraphone de Ludovic Montet. Le livre lui-même se présente en accordéon qui peut se déployer en longue fresque sur laquelle courent les dessins stylisés de Laure Slabiak, véritables photographies de l’âme, imprégnées du monde onirique de Cocteau. Une pépite !
Le Bel Indifférent, ensemble Virêvolte, chez ENPHASES