Le prince et l’alouette

Le prince et l’alouette

Toujours attendu sous la conque du parc de Florans à La Roque d’Anthéron, le pianiste Alexandre Kantorow déplace les foules. Ce mardi 22 juillet, on avait le bonheur de le retrouver avec la violoniste Liya Petrova, l’Orchestre Philharmonique de Marseille sous la direction de Lawrence Foster. Soirée d’exception !

Lumineuse ascension

C’est le violon fluide et élégant de Liya Petrova qui ouvrait le bal avec The Lark Ascending (L’envol de l’alouette) Romance pour violon et orchestre de Ralph Vaughan Williams qui évoque le charme de la campagne anglaise, s’inspirant d’un poème pastoral éponyme que George Meredith écrivit en 1881.

La composition de la partition ne traite pas le poème comme une chanson avec une mélodie suivant le texte, mais se concentre sur l’idée des envols de l’oiseau, de ses tournoiements, de ses chants, dans une esthétique de la spontanéité où le violon de Liya Petrova évolue avec une aisance qui fait oublier les difficultés de la partition, pour ne laisser s’épanouir que la poésie dansante de ce tableau.
Certains traits miment une chanson folklorique (il faut préciser l’intérêt de Vaughan Williams pour l’ethnomusicologie, il avait collecté plus de 800 chants de 1903 à 1914), puis se fondent dans la délicatesse d’une atmosphère rêveuse. L’orchestre offre un écrin harmonieux à la fée qui sait si bien arrêter le temps et emporter l’auditoire avec ses notes suraiguës dont l’étoffe fragile laisse l’oiseau « se perdre dans la lumière ».

A. Kantorow/ L.Petrova/ L. Foster/Orchestre de chambre de Marseille © Pierre Morales-2025.

Aimez-vous Brahms ?

Sans conteste oui ! Surtout lorsqu’il est interprété comme il le fut ce soir-là. Le Concerto pour piano n° 1 en ré mineur opus 15 alterne, avec une sensibilité exempte de toute fadeur, entre mélancolie et passions déchaînées. Et c’est là, dans cet art des contrastes et des nuances, que repose tout l’art d’Alexandre Kantorow dont la technique idéale ne se mire jamais à son propre miroir mais se considère comme un outil au service de l’expression.

L’œuvre débutée en 1854 sera créée en 1859. Née d’un projet de sonate pour deux pianos, repensée en symphonie, elle sera enfin le concerto pour piano que l’on connaît.
Le piano commence longtemps après l’orchestre, comme pour une entrée en scène après une ouverture d’opéra. Fluide, sensible, son jeu précis, ciselé, s’ouvre à l’ampleur d’un chant mélancolique, distille sa grâce en demi-teintes, dialogue finement avec l’orchestre, s’emporte en puissantes octaves, jonglant entre la fougue et une rêverie peuplée d’ombres.

A. Kantorow/ L.Petrova/ L. Foster/Orchestre de chambre de Marseille © Pierre Morales-2025.

Le second mouvement, souvent considéré comme un hommage posthume à Robert Schumann (le 27 février 1854 il se jette dans le Rhin et il mourra le 29 juillet 1856 à l’asile du Dr Richarz à Endenich). « Benedictus qui venit in nomine Domini » est inscrit au début de ce mouvement. (Brahms appelait Schumann « Mein Herr Domine »). Le concerto prend des allures d’un cantique où se dessine une douloureuse méditation interrogative dont la respiration se résout en trilles bouleversants. Le troisième mouvement se plaît à la danse, esquisse une certaine légèreté, décline un art de la joie empreint d’élans vifs, d’attentes, d’incertitudes, où le piano et l’orchestre s’accordent, fusionnels, avant une conclusion brillante où tout s’exacerbe et se résout avec faste.

« Jouer avec Lawrence Foster est un privilège, confiait après le concert Alexandre Kantorow. Pour lui c’est la musique avant tout. Il n’y a pas de digression, mais un discours direct adressé à tous et des solutions techniques pour tous : position de la main sur les cordes, l’archet, placement du souffle… Il est une véritable mémoire de la musique, il rappelle comment un tel ou un tel abordait tel ou tel passage, et nous transmet des notions inestimables. Il est d’autre part attentif à tous. Il est relié à chaque musicien. Il est d’une fabuleuse écoute pour les solistes. C’est un vrai bonheur de travailler avec lui ».

A. Kantorow/ L.Petrova/ L. Foster/Orchestre de chambre de Marseille © Pierre Morales-2025.

En bis, Alexandre Kantorow, se refusant à s’imposer seul, allait chercher Liya Petrova pour la Sonate pour violon et piano en mi bémol majeur opus 18 : II. Improvisation, de Richard Strauss d’une fraîcheur qui se mariait avec la douceur du soir. « J’aime bien ce côté d’improvisation, cette liberté comme ça après des passages très écrits », souriait-il au sortir du concert. Une manière de renouer avec l’essence même de la musique dans la spontanéité de son éclosion et son accord intime avec le monde…  

Un art de la joie

Après l’entracte, Lawrence Foster entraînait l’orchestre dans l’atmosphère lumineuse de la Symphonie n° 8 en sol majeur d’Antonín Dvořák. L’œuvre fut composée dans la campagne de Vysoká, village de la Slovaquie orientale où le compositeur aimait se ressourcer. Il écrivait à son éditeur Simrock : «Vysoká est l’endroit qui m’est le plus cher au monde, je me sens très heureux ici : au milieu d’une forêt superbe, je passe les plus belles journées et je ne cesse d’apprécier le chant des oiseaux ». Le château de Vysoká abrite aujourd’hui un musée consacré à Dvořák.
L’enthousiasme du chef qui connaît si bien l’Orchestre de l’Opéra de Marseille pour l’avoir dirigé douze ans, s’appuie sur une complicité réelle et la Symphonie toute de nuances s’ourle d’optimisme dans sa déclinaison des thèmes traditionnels de la culture populaire tchèque. Les cuivres y sont brillants, les bois engagés, les cordes exaltées. La musique est une immense fête…

Concert donné le 22 juillet 2025 au parc de Florans de La Roque d’Anthéron dans le cadre du Festival international de Piano de La Roque d’Anthéron.  

Crédit pour toutes les photos de l’article: A. Kantorow/ L.Petrova/ L. Foster/Orchestre de chambre de Marseille © Pierre Morales-2025.

A. Kantorow/ L.Petrova/ L. Foster/Orchestre de chambre de Marseille © Pierre Morales-2025.

Si tous les musiciens du monde…

Si tous les musiciens du monde…

L’histoire de l’Orchestre des Jeunes de la Méditerranée remonte à plus de quarante ans (il a été fondé en 1984). Au fil des partenariats il a été rattaché officiellement au Festival d’Aix en 2014 sous l’impulsion du directeur du festival Bernard Foccroule qui chargea Émilie Delorme, alors directrice de l’Académie du Festival d’Aix, de diriger le projet.
 En clôture de la soixante-dix-septième édition du Festival d’Aix le lundi 21 juillet, le Grand Théâtre de Provence, comble, accueillait cette belle formation qui réunit une centaine d’instrumentistes venus des nombreux conservatoires des pourtours de la Méditerranée. Rarement le plateau du GTP reçoit une telle phalange de violons, altos, violoncelles, contrebasses, flûtes, hautbois, clarinettes, bassons, cors, trompettes, trombones, tuba, percussions, harpe, et l’attendu Quintet de compositeurs, compositrices et interprètes.

 On est frappé par l’osmose parfaite entre et à l’intérieur des différents pupitres.
En seulement deux semaines de répétions, l’orchestre trouve sa voix, sa couleur.
« C’est inimaginable, s’exclamait leur chef d’orchestre Evan Rogister qui avait fait le louable effort de s’exprimer en français afin d’être compris de tous, c’est inimaginable que nous assistions tous à cette fabuleuse expérience de rassembler tous ces jeunes de la Méditerranée. Cet orchestre a commencé à jouer pour la première fois il y a deux semaines à Aix ! Et il ne s’attaque pas seulement aux grands compositeurs mais aussi à la musique orale créée avec le Quintet ! »
Ce dernier a travaillé à la composition de la création de cette année lors d’une résidence d’une dizaine de jours à Athènes au printemps 2025 à l’Opéra national de Grèce, sous la direction du trompettiste, compositeur et directeur musical des sessions de composition collective de l’OJM depuis 2015, Fabrizio Cassol

Concert de l’Orchestre des Jeunes de la Méditerranée sous la direction d’Evan Rogister le lundi 21 juillet 2025 au Grand Théâtre de Provence. Soprano : Amina Edris. Festival d’Aix-en-Provence. Photographies de Vincent Beaume.

Ensuite, les musiciens du Quintet transmettent à l’ensemble de l’orchestre leur composition qui est encore retravaillée, orchestrée, affinée… « Cet après-midi encore nous avons effectué des retouches et repensé des accompagnements », sourit Fabrizio Cassol. Evan Rogister rappelait aussi le mentorat attentif prodigué par le London Symphony Orchestra dont certains membres étaient présents dans la salle pour accompagner jusqu’au bout leurs « pupilles ». 

 Dialogue interculturel

La création collective occupait une place centrale au sein du concert, succédant à deux pièces de Wagner et de Gounod et précédant la Symphonie n° 1 de Malher.   
Des textes poétiques dont la traduction n’était pas donnée, « mais, selon les dires du chef d’orchestre, l’intensité d’émotion et le phrasé suffisent à l’évocation ». 

Et quelle évocation ! Le violon de Myrsini Pontikopoulou Venieri (Grèce), celui de Dala El Bied (Maroc) lumineuse aussi dans son chant, la clarinette de Georgios Markopoulos (Grèce), l’accordéon de Charles Kieny (France), la voix de Fahed Ben Abda (Tunisie), rejoints par la soprano égyptienne Amina Edris qui avait interprété auparavant L’air de la Crau de la Mireille de Gounod, offraient une pièce qui subjugua son auditoire. Les gammes orientales, les rythmes « boiteux » trouvèrent une harmonie magique avec les modes « classiques » européens.

Myrsini Pontikopoulou Venieri, celui de Dala El Bied lumineuse aussi dans son chant, la clarinette de Georgios Markopoulos, l’accordéon de Charles Kieny, la voix de Fahed Ben Abda, rejoints par la soprano égyptienne Amina Edris

La jonction entre les mondes s’effectue avec une grâce enthousiaste, les modulations propres aux danses traditionnelles de la Grèce et des Balkans tissent des liens époustouflants avec les amples nappes sonores de l’orchestre, la voix de Fahed ben Abda  se détache sur l’ostinato des cordes tandis que celle de Dala El Bied s’étire en sublimes mélismes et ornementations avant de s’élancer dans un phrasé en épure tout de délicatesse. Les premières notes étaient données par l’accordéon, scellant l’union entre le symbole d’un instrument populaire et d’un ensemble dédié aux musiques dites « savantes ». 

Si avec un certain humour (si l’on regarde les connotations du titre) le concert débutait par l’Ouverture wagnérienne des Maîtres Chanteurs de Nuremberg, donnant la mesure de l’orchestre, puis rendait hommage à la région d’accueil par la musique de Gounod sur un poème de Mistral, sa deuxième partie était littéralement « titanesque » avec la Symphonie n°1 dite « Titan » de Mahler.

Myrsini Pontikopoulou Venieri, celui de Dala El Bied lumineuse aussi dans son chant, la clarinette de Georgios Markopoulos, l’accordéon de Charles Kieny, la voix de Fahed Ben Abda, rejoints par la soprano égyptienne Amina Edris

Cette symphonie eut du mal à s’imposer : personne n’en voulait lorsque Gustav Mahler la propose en 1888, et les critiques ne seront pas tendres, il lui faudra attendre 1898 à Prague pour que son œuvre soit reconnue : chacun des mouvements sera applaudi et à la fin du concert on offrira à Mahler une palme et une couronne de lauriers. Elle aurait pu être donnée à l’OJM tant son approche fut magistrale. Sous la houlette passionnée et claire d’Evan Rogister qui danse littéralement sa direction, redessinant les nuances d’un geste souple de la main, les cordes vibrent d’une palette colorée, les bois ont une sorte d’évidence, les percussions précises et les vents cuivrés ajoutent au chatoiement de l’orchestration où se mélangent tragique et burlesque, sentiment de la nature, écho des musiques klezmer, flamboiements…
Le public est debout en une longue ovation.
Rendez-vous est déjà pris pour 2026 du 2 au 21 juillet !

 Concert de clôture du Festival d’Aix donné le 21 juillet 2025 au GTP

Concert de l’Orchestre des Jeunes de la Méditerranée sous la direction d’Evan Rogister le lundi 21 juillet 2025 au Grand Théâtre de Provence. Soprano : Amina Edris. Festival d’Aix-en-Provence. Photographies de Vincent Beaume.

Myrsini Pontikopoulou Venieri, celui de Dala El Bied lumineuse aussi dans son chant, la clarinette de Georgios Markopoulos, l’accordéon de Charles Kieny, la voix de Fahed Ben Abda, rejoints par la soprano égyptienne Amina Edris

Quelques chiffres à propos de l’édition 2025
64 000 spectateurs

37 000 places vendues

27 000 places consacrées aux évènements gratuits du festival

Taux de remplissage global  92% (pour 90% en 2024)

12 209 places (soit 39%) vendues à moins de 60 euros

2 313 places vendues au tarif jeunes pour les moins de 30 ans (réduction de 70% pour toutes les catégories)

220 journalistes accrédités (135 français et 85 internationaux)

Dédicaces amies

Dédicaces amies

Au revers de la Sainte-Victoire, dans la douceur des premières heures du soir, le Festival de Vauvenargues fondé en 2022 par le violoniste Bilal Alnemr proposait la première soirée de son édition 2025 sur le parvis de la mairie devant une « salle » comble. « Il n’y a plus de chaises ! » sourit le maire de la commune Philippe Charrin, heureux d’œuvrer à la réussite de cette manifestation dont la qualité ne s’est jamais démentie.

Sur scène, le violon de Bilal Alnemr rencontrait avec bonheur le piano de Nadezda Pisareva. L’investissement passionné de l’un faisait écho à la fine et poétique rigueur de l’autre, mélange propice à l’abord des œuvres subtiles du programme. « Toutes sont dédicacées à des êtres aimés » expliquait Bilal Alnemr lors de sa présentation des pièces : la musique se veut ici le vecteur de l’amitié et de la reconnaissance de l’autre, symbole touchant de l’histoire de la naissance du festival.

 Le premier morceau nous invitait dans l’univers de Charlotte Sohy (1887-1955), compositrice « redécouverte » il y a quelques années, par le biais de son Thème varié, opus 15, dédié à Nadia Boulanger avec laquelle elle avait étudié. Composé au lendemain de la Première Guerre mondiale, le Thème varié est un petit bijou d’harmonie. Les premières mesures sont un concentré de douceur pensive et recueillie. La palette se complexifie, expressive, se développe en élans emportés sous-tendus par une tension dramatique dense, les variations du thème ne cessent de se renouveler en une structure d’une redoutable efficacité jusqu’à la reprise finale du thème, disloqué, comme empreint de l’histoire multiple de ses développements. 

Festival de Vauvenargues 2025 © Caroline Doutre

Festival de Vauvenargues 2025 © Caroline Doutre

Pour suivre des pages aussi puissamment habitées, il fallait bien la Sonate pour violon et piano n° 2 en sol majeur que Maurice Ravel dédia à une amie violoniste, Hélène Jourdan-Morhange (en raison de rhumatismes, elle ne put créer l’œuvre qui trouva aux côtés de Maurice Ravel himself au piano, George Enesco qui, outre ses talents de compositeur, était un violoniste virtuose). L’existence de l’œuvre pourrait semble surprenante, Ravel écrivit un jour que le violon lui semblait « essentiellement incompatible » avec le piano !  

Pourtant, les deux instruments s’accordent avec une sobre élégance, rêverie éthérée du premier mouvement, blues du deuxième, son démarrage en pizzicati et sa mélodie qui pourrait convenir à un saxophone, mais à la « sauce Ravel », et le volet final nommé « Perpetuum Mobile » qui justifie déjà, avant le Boléro, le surnom dont Stravinsky avait doté son homologue français, « l’horloger suisse » !  Le critique Roland-Manuel écrivit à son propos dans la Revue Pleyel n° 48 de septembre 1927, « souriant géomètre du mystère, Ravel va doser les impondérables de la substance sonore sur les balances les plus sensibles et les plus justes du monde ». Étourdissant, l’archet du violoniste s’enivre enfin dans des séries de doubles-croches qui dessinent gammes, arpèges, accords brisés, virevolte en d’ahurissantes acrobaties qui sarclent l’espace mélodique, creusant un sillon sans fin peuplé du vertige des réminiscences.

Festival de Vauvenargues 2025 © Caroline Doutre

Festival de Vauvenargues 2025 © Caroline Doutre

Les Trois romances que l’immense pianiste et compositrice Clara Schumann dédia au violoniste Joseph Joachim, distillèrent leur intense lyrisme, offrant au violon et au piano à travers une apparente simplicité l’occasion de mettre en avant une mélancolie subtile, jonglant entre larges empâtements et délicate légèreté.
Ce temps suspendu était prolongé par la Romance pour violon et piano d’Amy Beach, dédiée à sa contemporaine la violoniste virtuose Maud Powell. L’inventivité de cette musique profonde semble prendre sa respiration dans l’étoffe du monde et le public se laisse porter par son magnétisme et le jeu fluide de ses interprètes. Amy Beach aussi souffrit du sexisme de son époque qui refusait de voir une quelconque puissance créatrice chez les femmes, et avouait un jour : « Je n’ai jamais eu vraiment le droit de signer mes compositions à mon nom donc je me devais de les signer au nom de mon mari H.HA.Beach. »

En dernière partie était convoquée la Sonate pour violon et piano en la majeur FWV8 de César Franck. Chef-d’œuvre de la musique de chambre française du XIXème siècle, cette sonate contiendrait la célèbre « petite phrase de Vinteuil » décrite par Marcel Proust dans Du côté de chez Swann : « cette fois, Swann avait distingué nettement une phrase s’élevant pendant quelques instants au-dessus des ondes sonores. Elle lui avait proposé aussitôt des voluptés particulières dont il n’avait jamais eu l’idée avant de l’entendre, dont il sentait que rien d’autre qu’elle ne pourrait les lui faire connaître, et il avait éprouvé pour elle comme un amour inconnu ».

Festival de Vauvenargues 2025 © Caroline Doutre

Festival de Vauvenargues 2025 © Caroline Doutre

Bon, il y a beaucoup de musiques qui prétendent être celle choisie par le romancier dans cette description, certains affirment même que cette « petite phrase » n’appartient à aucune œuvre connue mais est une création purement littéraire. Peu importe, cette Sonate fut dédiée au violoniste Eugène Ysaÿe et fut capitale dans sa façon de traiter un thème cyclique parcourant toute l’œuvre. La souplesse du début s’emballe, se passionne, s’apaise, atteint une sorte de liberté qui dépasse une certaine inquiétude par une coda brillante, résumant en ses quatre mouvements les quatre mouvements de la vie.
Ovationné, le duo revenait pour un premier bis, la Sicilienne de Maria Theresia Paradis (1759-1824), pianiste, chanteuse et compositrice autrichienne, aveugle de naissance pour laquelle Mozart aurait écrit son dix-huitième concerto pour piano. La Sicilienne, d’une évidente simplicité, est la seule de toutes ses œuvres à nous être restée, et à l’écoute, on ne peut que regretter que les autres compositions de cette artiste aient été perdues ! On se quittait sur la virtuosité du final précédemment joué de Ravel. Savoureux délices d’été !

Concert donné le 18 juillet 2025 sur le parvis de la Mairie de Vauvenargues dans le cadre du Festival de Vauvenargues.

Ô Nuit enchanteresse!

Ô Nuit enchanteresse!

Les pêcheurs de perles de Bizet était le dernier opéra du Festival d’Aix 2025, dédié à son directeur, Pierre Audi, mais aussi à la mezzo-soprano Béatrice Uria-Monzon disparue le matin même de l’unique représentation en version concert de ce bijou délicat.
Marc Minkowski, sans doute l’un des rares chefs d’orchestre à entrer en scène avec ses musiciens et à assister à l’accord de l’orchestre, signalant d’un geste sobre que le ton avait été trouvé, prononçait cette dédicace avec retenue avant de se tourner vers les instruments et débuter l’opéra programmé dans le cadre des manifestations célébrant le 150ème anniversaire de la mort du compositeur. Cadre triste, mais interprétation lumineuse qui a suscité les applaudissements du public pour chaque air, et mit debout le Grand Théâtre de Provence en une ovation unanime, chose suffisamment rare pour être notée !

Œuvre de jeunesse, Bizet a tout juste vingt-cinq ans lorsqu’il reçoit cette commande de l’Opéra Comique, elle n’a pas fait l’unanimité des critiques à sa création le 30 septembre 1863.

Hector Berlioz, cependant encouragea le jeune compositeur en écrivant dans le Journal des Débats : « un nombre considérable de beaux morceaux expressifs pleins de feux et d’un riche coloris ». 

Représentation en version concert de l’opéra Les Pêcheurs de Perle de Georges Bizet (1838-1875) le samedi 19 juillet 2025 au Grand Théâtre de Provence. DIRECTION MUSICALE : Marc Minkowski. ORCHESTRE : Les Musiciens du Louvre. LEÏLA : Elsa Benoit. NADIR : Pene Pati. ZURGA : Florian Sempey. NOURABAD : Edwin Crossley-Mercer. CHŒUR : Chœur de l’Opéra Grand Avignon. CHEF DE CHŒUR : Alan Woodbridge. Festival d’Aix-en-Provence. Photographies de Vincent Beaume.

Certes, le livret est ce qu’il est, et le choix économique de la version de concert peut aussi apparaître comme un choix esthétique : il n’est pas besoin aujourd’hui de se plonger dans une imagerie de catalogues de voyagistes pour entrer dans le récit de l’amitié entre les deux pêcheurs de perles, Zurga et Nadir, épris tous deux de la même femme, Leïla, prêtresse de Brahma et vouée à la chasteté. 

Bien sûr l’un d’entre eux rompt son serment et revoit secrètement la jeune fille. Lorsqu’elle arrive sur la plage pour protéger les pêcheurs par son chant, sous la direction du grand prêtre, Nourabad, Nadir reconnaît sa voix. Zurga, devenu chef du village, fou de jalousie condamne les amants à mort, regrettant sa cruauté et découvrant que Leïla l’a sauvé alors qu’elle était une enfant, il met le feu au village afin de créer une diversion et couvrir la fuite de ceux auxquels il a pardonné.  
Les notes du sur-titrage suffisaient amplement à mettre en scène la plage, les ruines d’un temple ou un village de Ceylan ! 

Représentation en version concert de l’opéra Les Pêcheurs de Perle de Georges Bizet (1838-1875) le samedi 19 juillet 2025 au Grand Théâtre de Provence. DIRECTION MUSICALE : Marc Minkowski. ORCHESTRE : Les Musiciens du Louvre. LEÏLA : Elsa Benoit. NADIR : Pene Pati. ZURGA : Florian Sempey. NOURABAD : Edwin Crossley-Mercer. CHŒUR : Chœur de l’Opéra Grand Avignon. CHEF DE CHŒUR : Alan Woodbridge. Festival d’Aix-en-Provence. Photographies de Vincent Beaume.

N’étant pas encombrés par un univers de pacotille, les spectateurs pouvaient se laisser porter par les chants du fantastique quatuor des protagonistes, le Chœur de l’Opéra Grand Avignon (Alan Woodbridge, chef de chœur) et les pulsations de l’Orchestre des Musiciens du Louvre.
La direction de Marc Minkowski atteint ici une pureté rare. Le chef d’orchestre semble être lié en une même respiration à chaque instrument, chaque choriste, chaque soliste. L’œuvre y atteint une puissance, une unité, une poésie d’une rare intensité. Chaque mouvement est ciselé, on perçoit les échos, les refrains, les strates de l’écriture fine et élégante du surdoué musical qu’était Bizet. Il écrit à la même époque que Verdi et pourtant il est déjà du XXème siècle. Immense mélodiste, il a le génie de composer des airs savants qui sont accessibles à tous et que tous peuvent fredonner immédiatement.

Cette grâce d’accéder directement à une esthétique populaire et hautement exigeante rend son œuvre encore plus attachante. Bien sûr, il y a la Romance de Nadir, mais l’air de Zurga, de Leïla, les duos, les interventions du chœur, sont toutes plus belles et intéressantes les unes que les autres. On pourrait bisser l’ensemble de l’opéra sans jamais se lasser !
Il faut dire que les artistes en présence sont d’une redoutable efficacité et d’une diction parfaite : Elsa Benoit endossait le rôle de Leïla pour sa première participation au festival d’Aix, émouvante, avec une voix maîtrisée de bout en bout, pleine jusque dans les aigus. La jeune soprano même devant son pupitre joue, incarne toutes les émotions de son personnage. 

Représentation en version concert de l’opéra Les Pêcheurs de Perle de Georges Bizet (1838-1875) le samedi 19 juillet 2025 au Grand Théâtre de Provence. DIRECTION MUSICALE : Marc Minkowski. ORCHESTRE : Les Musiciens du Louvre. LEÏLA : Elsa Benoit. NADIR : Pene Pati. ZURGA : Florian Sempey. NOURABAD : Edwin Crossley-Mercer. CHŒUR : Chœur de l’Opéra Grand Avignon. CHEF DE CHŒUR : Alan Woodbridge. Festival d’Aix-en-Provence. Photographies de Vincent Beaume.

Le ténor Pene Pati était tout simplement bouleversant dans la romance de Nadir, avec des nuances veloutées laissant percevoir la fragilité du pêcheur déchiré entre sa passion et le sentiment de culpabilité face à son ami, déployant des aigus aériens. Florian Sempey à la voix sculptée, campe Zurga, puissant dans ses colères. La basse Edwin Crossley-Mercer quant à lui est un Nourabad olympien. 
Les répétitions ayant eu lieu au conservatoire Darius Milhaud, le chœur eut un peu de mal à emplir la salle du GTP aux débuts du concert mais prit vite la mesure des lieux et offre un final somptueux à l’acte II. Les vagues sonores se projettent avec les envols de l’orchestre et subjuguent la salle. Perle sublime aux reflets de nacre…

Concert donné le 19 juillet 2025 au Grand Théâtre de Provence dans le cadre du Festival d’Aix 

Représentation en version concert de l’opéra Les Pêcheurs de Perle de Georges Bizet (1838-1875) le samedi 19 juillet 2025 au Grand Théâtre de Provence. DIRECTION MUSICALE : Marc Minkowski. ORCHESTRE : Les Musiciens du Louvre. LEÏLA : Elsa Benoit. NADIR : Pene Pati. ZURGA : Florian Sempey. NOURABAD : Edwin Crossley-Mercer. CHŒUR : Chœur de l’Opéra Grand Avignon. CHEF DE CHŒUR : Alan Woodbridge. Festival d’Aix-en-Provence. Photographies de Vincent Beaume.

Représentation en version concert de l’opéra Les Pêcheurs de Perle de Georges Bizet (1838-1875) le samedi 19 juillet 2025 au Grand Théâtre de Provence. DIRECTION MUSICALE : Marc Minkowski. ORCHESTRE : Les Musiciens du Louvre. LEÏLA : Elsa Benoit. NADIR : Pene Pati. ZURGA : Florian Sempey. NOURABAD : Edwin Crossley-Mercer. CHŒUR : Chœur de l’Opéra Grand Avignon. CHEF DE CHŒUR : Alan Woodbridge. Festival d’Aix-en-Provence. Photographies de Vincent Beaume.
Lorsque Silvacane danse

Lorsque Silvacane danse

Le Festival Soirs d’été à Silvacane fait désormais partie des moments attendus du début de l’été. En trois soirées thématiques, il sait faire rire, rêver, écouter, danser avec une programmation d’une irréprochable qualité, accessible à tous et proposée par des artistes de la Région (trop souvent les programmateurs, soucieux de « faire le plein », misent sur des noms internationaux ou nationaux en oubliant combien foisonnante est la création sur notre territoire !). Rares sont les manifestations aussi résolument intergénérationnelles et d’une telle richesse !

Les première et dernière soirées étaient placées sous le signe de la musique : on pouvait être séduit par les interprétations de Marjorie Orial (chant) et Gabriel Marini (guitare) dans un répertoire folk, rock, ou par l’Ensemble Bande Originale sur des musiques de cinéma que le duo de danseurs Nina Webert et Axel Loubette venait rendre tangibles par leur vision personnelle, lyrique et teintée d’humour, de ces standards. En final, l’inénarrable Cathy Heiting offrait la teneur de son dernier CD, Unconditional, peaufiné avec un talent fou par ses musiciens en Quintet.

Kader Attou/Prélude/ Silvacane © Jean Barrak.

Prélude / Accrorap / Kader Attou © Jean Barrak

La deuxième soirée était entièrement consacrée à la danse par le biais de deux spectacles. On avait plaisir à retrouver l’ancienne « chouchou » de Josette Baïz, Sinath Ouk et sa compagnie Nakou-Sinath Ouk dans une création MixTis (sur une création musicale de Uli Wolters), dans laquelle Nina Webert remplaçait « au pied levé » Laura Cortès initialement prévue (la chorégraphe exprimait la possibilité de créer un nouveau rôle à cette dernière dès son retour afin de garder aussi la lumineuse Nina Webert). L’ultime tableau de la chorégraphie mettait les enfants de l’école de danse de Sinath Ouk sur scène tandis que le public était convié à la danse dans une bonne humeur communicative.

Auparavant, neuf danseurs de la compagnie Accrorap de Kader Attou avait transporté le public par une énergie et une tension rare qui charpentaient le propos de Prélude, l’une des dernières créations du chorégraphe et danseur. La pièce était donnée dans son intégralité au Festival Off d’Avignon et les artistes avaient eu la gentillesse de venir à Silvacane dès leur représentation achevée pour donner la « version courte » de l’œuvre (il y a deux versions : Prélude In, 1h20 et Prélude Out ,35mn) Autobiographique, elle retrace le parcours de Kader Attou, et scelle le passage de la danse de rue et de ses battles à une construction chargée de sens. On assiste à la transmutation d’une forme d’expression populaire au sens noble du terme, à une démarche artistique qui n’oublie pas la rue mais sait se fusionner aux autres influences et s’ouvrir au monde.

Nina Webert © X-D.R.

Nina Webert © X-D.R.

La maîtrise des danseurs (deux femmes et sept hommes) est époustouflante. La performance gymnique propre à la breakdance et la volonté de dire de la danse contemporaine se fondent. Les acrobaties rituelles du hip-hop s’intègrent dans la partition chorégraphique et ne sont plus des fins en soi mais expriment l’exacerbation d’une émotion, d’un récit. La musique de Romain Dubois, taillée sur mesure, ajoute à l’intensité des évolutions des artistes, soulignant le tiraillement entre l’explosion de l’expression personnelle et la puissance d’un groupe uni par un même élan. La danse de rue où triomphe l’individualisme se voit ici partie prenante d’un collectif : l’exploit de l’un devient celui de l’ensemble. L’ode au hip-hop est aussi celle de ces corps vivants emportés par un irrésistible crescendo rythmique qui subjugue le public.

Le Festival Soirs d’été à Silvacane a été donné les 4, 5 et 6 juillet 2025

Mix-Tis / Silvacane © agence Artistik

MixTis/ Sinath Ouk © Agence Artistik