Le trio constitué par le violoniste David Haroutunian, la mezzo-soprano Eva Zaïcik et la pianiste Xenia Maliarevitch a consacré un disque hommage à la musique arménienne, principalement à celle de Komitas (1869-1935), avec des pièces réunies sous le titre Mayrig (maman en arménien). Le concert qui s’en inspire ne reprend pas l’ordre ni le nombre des morceaux du CD, mais apporte grâce à la présence expressive des trois musiciens, une émotion supplémentaire.
L’écrin du Conservatoire Darius Milhaud offrait un cadre chaleureux au génial trio dont chaque membre multiplie récompenses et scènes internationales.
Dédié aux mères arméniennes cet opus s’appuie sur les racines de la musique arménienne que l’ecclésiastique, ethnomusicologue, compositeur, chanteur et pédagogue, Komitas a collectée, analysée. En 1902 il déclarait « j’atteindrai mon objectif principal et ferai ressortir des ruines natales les trésors de notre musique folklorique ». Et le terme de « folklore » est bien utilisé dans son sens de musique du peuple.
David Haroutunian©Victor Toussaint
Il dégagea les caractéristiques de la musique populaire arménienne, notant les intonations, les gestes des chanteurs qu’ils découvrait. Il montra ainsi la structure monothématique complétée par des « variations », l’agencement de la mélodie bien éloigné du système des musiques occidentales aux modes mineur et majeur, mais reposant sur des enchaînements de tétracordes (4 notes conjointes), les points d’appui de la voix différents, les rythmes irréguliers parfois superposés en polyrythmie.
Son travail atteint une telle ampleur qu’après le concert qu’il donna à Paris en 1906 afin d’illustrer sa conférence, Claude Debussy monta sur scène, s’agenouilla devant Komitas, lui embrassa la main droite et s’exclama « Je m’incline devant votre génie, Saint-Père ». Selon le compositeur de Clair de lune, « Komitas (était) une révélation, le phénomène le plus saisissant dans le monde de la musique ».
Xenia Maliarevitch ©Victor Toussaint
La voix souple d’Eva Zaïcik se glisse avec finesse dans ces répertoires. La pureté veloutée de son timbre sait épouser les mouvements des âmes, désespoir du sublime Lamento d’Aprikian, rires d’une fête de mariage où se mêlent les caractères et les accents des divers personnages en une petite saynète vive, douceur d’un aveu amoureux, délicatesse d’une berceuse… D’autres compositeurs sont convoqués, Hakob Aghabab, Aram Khatchatourian, Garbis Aprikian enfin à qui le concert est dédié, -cet immense compositeur et chef d’orchestre, élève de Messiaen et héritier de Komitas, est parti le 15 octobre 2024.
Tout prend un air d’évidence grâce aux interprétations dépouillées qui laissent parler les textes et les mélodies. La virtuosité demandée par les polyrythmies étourdissantes des danses de Khatchatourian est d’un naturel qui donne juste envie de danser, tandis que le jeu du violon, un « Andrea Guarneri », emprunte autant à la technique classique qu’aux formes populaires, intégrant des rugosités inédites, des respirations sur le fil, des aigus invraisemblables.
Eva Zaïcik ©Victor Toussaint
Les continents se rencontrent et s’enrichissent en une musique inventive, touchante et sublime.
Concert joué le 3 décembre au Grand Théâtre de Provence
Lamento
Mère, ma douce mère,
Que doit faire ton enfant?
Mère, ma douce mère,
Me demandes-tu comment je vais ? Mère, ma douce mère,
Que doit faire ton enfant?
Mère, ma douce mère,
Tu es partie et m’as laissée toute seule… Ah, quel malheur! Ah, quelle douleur!
Komitas
Berceuse
Tu es un bel enfant, tu es parfait, Que puis-je t’apporter d’aussi
[ parfait. Oror…
Je vais t’apporter la lune,
Les étoiles lumineuses parfaites. Oror… Tu es un bel enfant, tu es parfait, Chaque partie de ton corps est
[ parfait. Oror…
Tu as une seule imperfection,
Tu n’as pas sommeil, tu restes éveillé. Oror
Tu es comme un platane
Tu es comme un platane, ne te courbe pas, Bien-aimé, bien-aimé,
Ne t’éloigne pas de notre porte, Bien-aimé, bien-aimé.
Bien-aimé, pour l’amour de Dieu, Bien-aimé, bien-aimé,
Tu es loin, ne m’oublie pas, Bien-aimé, bien-aimé.
Ah, ma biche & Je brûle
Ah, ma biche, ma bien-aimée, Mon bouton est resté flétri,
Ah, mon bouquet de milles fleurs, Mon cœur demeure brûlé.
Ah, ma biche, ma bien-aimée, Comment vais-je vivre?
Ah, mon bouquet de milles fleurs, Mes yeux sont restés humides.:
Je brûle, je brûle,
La pierre rouge est usée,
Je brûle, je brûle,
Mon corps lui est semblable, Je brûle, je brûle,
Que puis-je y faire ?
Je brûle, je brûle,
Mon cœur est fondu et usé.