Le bruit des vagues emplit doucement la salle Pezet du Tholonet, « bienvenue à bord ! » … Le groupe mythique Radio Babel Marseille nous embarque sur le bateau de ses mots, de ses rythmes, de ses mélodies, en quête d’azur, de mers lointaines, de voyages impensés, d’êtres qui savent rester debout.
Cinq, comme les doigts de la main, une main qui s’ouvre pour laisser le chant éclore et qui se referme sur sa dernière note, comme pour en saisir l’ultime douceur, les musiciens débutent par une mélodie interprétée à tour de rôle. Chaque voix a sa couleur, sa profondeur, sa tessiture, son histoire, la basse large de Fred Camprasse, celle de Willy Le Corre, plus populaire avec un fond de rocailles, de Nadir Benmansour, aérienne aux délicats mélismes, de Gil Aniorte Paz (aussi à la composition et à la direction artistique), fluide, subtilement teintée de réminiscences d’Amérique latine, tandis que prodigieux à la beatbox, véritable ensemble percussif à lui tout seul, Florent Clergial, alias MicFlow, offre une nappe de pulsations vibrantes aux morceaux du tout nouveau spectacle de l’ensemble, Au-delà des mers.
Leurs pérégrinations les mènent des côtes de Bretagne à celles de la Méditerranée, dans l’esprit baudelairien… « Homme libre, toujours tu chériras la mer !/ La mer est ton miroir ; tu contemples ton âme/ Dans le déroulement infini de sa lame,/ Et ton esprit n’est pas un gouffre moins amer »….
Le voyage nous emporte dans l’azur, fait se rencontrer « notre infini sur le fini des mers ».
Radio Babel Marseille au Tholonet © M.C.
Peu importe que les protagonistes des textes soient des marins au long cours, des pêcheurs de haute mer, des passagers ou ceux qui, restés au port, attendent les retours. Passent les révolutions, celles des œillets du Portugal, des rites initiatiques autour du grand bleu, les engagements à être vrais.
Au cœur de la tempête, on part « Au-delà des mers », pièce éponyme du spectacle, moirée de fins arrangements. Tout devient vérité passé à la moulinette des musiques et prend des allures de mythe.
On chaloupe à la mode de Bretagne, on entame la vira du Portugal aux inlassables trois temps, l’univers s’orientalise au bord de l’écume, le sable des plages danse et la salle entière, debout aussi. Chants traditionnels et poèmes se mêlent au fil du spectacle, oscillant entre monodies posées sur l’écrin des nappes sonores des voix qui scandent leurs rythmes pairs ou impairs, et des polyphonies qui entrelacent leurs trames. La guitare de Gil Aniorte Paz, seul instrument mélodique en scène, redessine des univers nous transportant aux pays des brumes ou dans les lumières vives des terres du Sud.
Radio Babel Marseille au Tholonet © JM Armani
On retiendra entre autres pépites la mise en musique du poème de William Ernest Henley, Invictus, qui inspira Nelson Mandela : « Dans les ténèbres qui m’enserrent, / Noires comme un puits où l’on se noie, / Je rends grâce aux dieux quels qu’ils soient, / Pour mon âme invincible et fière. (…) Je suis le maître de mon destin, / Je suis le capitaine de mon âme. » (“Out of the night that covers me, / Black as the pit from pole to pole, / I thank whatever gods may be / For my unconquerable soul. (…) I am the master of my fate, / I am the captain of my soul âme”.) Les deux derniers vers repris en anglais et en français sont lancés ad libitum avec une verve communicative. Le chant semble capable de déplacer des montagnes, réaffirmant la capacité de l’être humain à décider, à lutter, à aimer, à se tenir droit malgré les houles. Et c’est très beau.
Concert donné le 30 mars 2025 à la salle Pezet du Tholonet dans le cadre du festival Mus’iterranée