En ouverture, le Festival international de piano de la Roque d’Anthéron offrait, sous la conque familière du parc de Florans, un concert qui résumait l’esprit de sa quarante-troisième édition.
La soirée invitait l’Orchestre de chambre de Paris qui, sous la houlette de Lionel Bringuier, affrontait avec bonheur des œuvres destinées à un orchestre symphonique au grand complet, dont l’imposant Concerto pour piano et orchestre n° 5 en mi bémol majeur opus 73, dit L’Empereur.
Cependant avec une courtoisie de gentleman, le programme débutait par l’œuvre d’une compositrice, Emilie Luise Friederika Mayer, artiste allemande du XIXème siècle. Son œuvre abondante, huit symphonies, des ouvertures, des lieder, des sonates pour piano, violon, violoncelle, des quatuors à cordes, n’est pas encore totalement publiée. Le Neue Berliner Musikzeitung écrivait à son propos en 1850 « Emilie Mayer a réalisé et reproduit ce dont sont capables les puissances féminines et de second ordre ». Est-il nécessaire d’épiloguer sur la considération accordée aux femmes à l’époque, interprètes oui, compositrices, non…
Bertrand Chamayou Festival International de piano de la Roque d’Anthéron © Pierre Morales 2023
Quoi qu’il en soit, son Ouverture n° 2 en ré majeur inaugurait par ses premiers accords en tutti d’orchestre les festivités de l’été. Le goût pour les contrastes et les variations se fond en une délicate légèreté, les instruments à vent solistes (exceptionnelle flûte traversière) esquissent les marges d’une certaine insouciance ; un passage d’ensemble évoque un galop de bal ; une intrigue s’ébauche, présageant une opérette à venir, le tout avec une aisance naturelle qui se love dans le bruissement des élytres des cigales.
Cristal nocturne
À la tombée de la nuit éclot le premier temps de la série de concerts consacrés à l’intégralité des concertos de Beethoven. Le pianiste Bertrand Chamayou retrouve pour l’exercice l’orchestre avec lequel il a joué cette même pièce il y a quelques jours au Het Concertbouw Amsterdam. La complicité entre les musiciens est tangible dans la belle version de La Roque d’Anthéron aux gradins archi-combles.
L’œuvre, composée alors que Napoléon bombardait la ville de Vienne en 1809, garde quelque chose de guerrier de l’état d’esprit de Beethoven qui, selon la légende, l’écrivit au fond d’une cave. L’introduction orchestrale sur le mode majeur mime une attitude héroïque tandis que l’entrée du piano, toute d’élégante discrétion, semble un asile de douceur. Bertrand Chamayou accorde à la partition des sons cristallins d’une infinie douceur, dialogue avec subtilité avec les bois, puis s’emporte, harangue l’orchestre, lui tient tête avec puissance, le charme, use de tous les artifices de la persuasion.
Bertrand Chamayou Festival International de piano de la Roque d’Anthéron © Pierre Morales 2023
Les plus calmes et les plus oniriques confinent au sublime. Les redoutables passages de trilles sont exécutés avec une fougue et une précision confondantes. Après de tels élans virtuoses, le pianiste jouera en bis la calme Sonate pour piano en do majeur Hob XVI/50 de Haydn, dont l’apparente simplicité cache une technicité rare. La musique se mue alors en conversation avec l’âme.
Seul, l’orchestre interprétait en seconde partie la Symphonie n° 4 de Beethoven, peuplée de mystères, de joies souveraines, d’émotions lyriques, de liberté, d’humour, de vibrants échos, de calmes éphémères et d’orages encore plus brefs, en un canevas de motifs qui tissent les écheveaux du bonheur. Le Scherzo du Songe d’une nuit d’été (musique de scène opus 61) de Mendelssohn venait bisser la nuit apaisée des grillons. Délices !
Ouverture du Festival international de piano de La Roque d’Anthéron le 20 juillet