Après L’homme semence qu’il attribua d’abord à Violette Ailhaud et L’enfant don, Jean Darot poursuit sa trilogie par La femme île. Montagnes de Provence, des Pyrénées, île enfin, autant de microcosmes où semble se jouer chaque fois la survie d’un peuple et plus largement de l’espèce humaine…
Se désignant dès la préface comme « traducteur de l’oral à l’écrit », Jean Darot met en scène le récit : le petit voilier légué par son grand-père aurait dû l’emmener autour du monde, mais la pandémie le fait accoster sur une île « en Huit ». C’est là qu’il écoute Katell dont il transcrit l’histoire…
Lorsque la mer et la terre se partagent le monde
La mer est ici le domaine des hommes qu’elle « avale ». La terre est du ressort des femmes qui la cultivent, l’habitent, la nourrissent de ce que la mer apporte, algues qui fertilisent les sols, hommes apportés par les eaux, le temps de concevoir des enfants, puis qui repartent.
Au cœur du courant des Pierres Noires, il y a cette île dessinée en forme de huit, peuplée par des femmes qui savent attendre, gardiennes d’une mémoire qui se refonde au rythme des marées, se réinvente, poétique et légendaire.
Le texte de Jean Darot s’empare des mots comme d’une glaise qui se modèle, se plie aux saisons, aux tempêtes, aux désirs des corps en jachère.
Les éléments y sont personnifiés, on y voit des vagues « jalouses ».
Le monde semble encore s’ébaucher en mythologies universelles qui mêlent les êtres humains, la mer, la terre en une même histoire, puissante qui mène à l’acceptation de soi, de l’autre, des revers de fortune.
Il est question du courage de vivre, de prolonger la chaîne des générations, de s’inscrire dans le flux ininterrompu des siècles, de rendre l’humanité aussi éternelle que les éléments qui l’entourent par sa capacité à perdurer.
La « femme île » est un rocher qui ne s’érode pas, tient tête au temps, défie la mort elle-même : « Je n’ai pas peur de toi la mort. Je n’ai pas peur de prononcer ton nom. Tu nous a bien assez pris dans tes bras. Un jour je descendrai te chercher jusqu’au fond de la mer ». Les femmes de l’île sont des fées, tiennent des prêtresses d’Avalon, à l’écart d’un monde dont les soubresauts apportent leurs tributs sur les plages, mais n’atteignent pas l’âme des lieux.
La sensualité du rapport au monde n’est pas sans rappeler certaines pages de Jean Giono. Les éléments sont objets vivants de luttes, de batailles, de communions en une sorte de dialectique de la création avec et malgré…
Une cinquantaine de pages suffisent pour planter cette histoire, profonde et d’un intense lyrisme poétique. Un hymne à la femme, à la résilience, à la vie…
La femme île, Jean Darot, éditions Passiflore