Stephan Pastor adapte en un fantastique seul-en-scène un texte que Copi n’avait pas conçu pour le théâtre, L’Uruguayen, une longue lettre-journal adressée à un certain « maître » ou « connard ». Le comédien se glisse avec intelligence au cœur des articulations du récit, nous entraîne dans sa folie surréaliste (on se croirait parfois plongés dans un poème de Leiris), sa luxuriance de paysages d’atmosphères que nous pouvons interpréter à notre guise : dénonciation politique de la dictature, introspection, autofiction, métaphysique de l’écriture…  

La mise en scène subtilement orchestrée par Christophe Chave qui a travaillé en osmose avec le comédien permet l’éclosion du jeu grâce à son évidente simplicité. D’emblée, la lumière éclaire alternativement les joues, le front du protagoniste, comme pour décrire le passage inéluctable des jours. Le comédien se voit enserré dans un carré esquissé par quatre longs câbles venus des cintres, où se concentrent tous les gestes du quotidien, se laver, s’habiller, manger, dormir, bouger… tandis que quatre chutes de sable créant au sol des cercles parfaits dessinent un espace plus grand (symbolique d’un carré terrien et d’un cercle mystique ?). Ces limites seront franchies, transgression du corps qui s’affranchit des frontières à l’instar des mots qui repoussent leurs propres contours…Tout semble dissimuler un autre sens, les mots sont mis en doute ; le langage crée depuis le néant, lui accorde une existence, mais la capacité à percevoir hors du langage nous est interdite. 

L’URUGUAYEN-EAU-©Denis-Caviglia

La fiction est autant la matérialisation de l’abstraction qu’une réécriture fantasque qui nous ouvre de nouveaux territoires. Les rues changent de place, la mer disparaît, tous les habitants meurent, puis ressuscitent ; le narrateur fait des miracles, et ne parlons pas de ce qui arrive au Président de l’Uruguay ! Les mimiques, les gestes, les déplacements, les grimaces, les syllabes exacerbées (« Ra, ra, ra… Rat ? »), le visage qui se tord, en une respiration qui se cherche, sont menés au cordeau. Le texte, puissamment rythmé, est articulé en des variations qui vont de la poésie à l’humour et l’ironie glaçante. On suit le conteur au fil de son imagination foisonnante. Le théâtre devient mythe au sens premier du terme, fable, récit. Et si les mots nous fuient à l’instar du sable que nous ne pouvons retenir, reste l’art du théâtre qui gagne ici un nouveau fleuron.

Vu le 7 février, Théâtre Vitez, Aix-en-Provence