Le talent des éditions Plaine Page tient assurément à la pertinence de ses choix artistiques (même si, Éric Blanco et Claudie Lenzi, fondateurs de cette maison si fertile, déplorent de ne pouvoir éditer toutes les pépites qu’ils reçoivent). Avec J’elle et noix, ouvrage publié dans la collection Connections, Christine Zhiri signe son premier recueil après quelques incursions dans des revues ( Décharge qui la qualifie de « fougueuse débutante » et L’Intranquille) et un prix décerné au printemps 2018 par Nouvelles voix de la poésie (Maison de la poésie Jean Joubert).
La double construction de l’ouvrage est perceptible dès le titre qui fusionne les deux textes qui se suivent, Tu sais pas et Elle et noix. En fait, le Tu sais pas est un long monologue à la première personne, un « je » qui s’adresse à un tu qui est soit l’autre, soit, le protagoniste (« je est un autre », c’est bien connu !), d’où le J’elle et noix. La seconde partie, formulée sous l’égide de la troisième personne « elle » semble répondre à la première en un écho digne de Lewis Caroll (on se plaît à des comparaisons avec les grands mathématiciens qui sont aussi des poètes, l’auteure est mathématicienne aussi), une Alice de l’autre côté du miroir face à des valeurs inversées : la peur, la défiance à l’encontre du langage qui blesse comme des « épines » dans la bouche ou pèse comme des « cailloux » tassés dans le ventre, les désirs incompris, les élans avortés, deviennent alors joie, libération, envols, appétit… En parallèle à ces textes posés sur la page de droite dans Tu sais pas et courant au haut des pages pour Elle et noix, des récits en italique, courtes strophes en vers continus pour l’un, narration fluide aux résonnances de comptines pour l’autre, apportent une forme de contrechant qui éclaire et ajoute un clin d’œil espiègle ou cruel.
On peut s’amuser à tout lire indépendamment ou à tisser les mots dans leur continuité graphique, le lecteur est libre, comme ces phrases sans ponctuation et qui pourtant dessinent des rythmes puissants : on se surprend à des scansions haletantes, des pauses qui s’articulent d’elles-mêmes dans la masse du discours, des registres qui moirent de leurs couleurs variées les intonations qui se mettent en place presque naturellement. La puissance incantatoire du texte sculpte les marges, oblitérant les lignes géométriques ou les spirales pirandelliennes qui enfermaient l’esprit. C’est alors que l’on a « les yeux grands ouverts sur le ciel en bascule derrière les branches des arbres qui racinent dans les gros nuages blancs » … Le sens de la vie ne se plie pas forcément aux règles cartésiennes et c’est très bien ainsi !
J’elle et noix, Christine Zhiri, éditions Plaine Page, collection Connexions