Les disques naissent au Petit Duc !

Les disques naissent au Petit Duc !

Double sortie de disque au programme ce mercredi au Petit Duc, cette salle si précieuse dans le monde musical grâce à Myriam Daups et Gérard Dahan !
De larges pans de Come Bach de Vincent Beer-Demander et d’Hémisphères de Guillaume Latil et Matheus Donato se succédaient devant une salle enthousiaste et une foule de spectateurs de la chaîne internet du lieu, qui permet aux gens des quatre coins du monde de suivre les concerts en direct. Pas de replay, pas de podcast, juste une immersion dans le temps éphémère du spectacle. La magie a besoin de ses rites… elle était tangible ce soir-là. 

 Mandoline et mandole sur les traces du maître

« Après de multiples vagabondages dans les musiques dites « cross-over », je suis heureux de retrouver Jean-Sébastien Bach, expliquait Vincent Beer Demander. C’est ainsi qu’est né le projet du disque Come Bach. Bach est le père de tous les autres musiciens, un socle, le compositeur des compositeurs. » Faire entendre des œuvres de Bach transposées pour la mandole en regard de celles d’auteurs contemporains créées en miroir avec ces pièces baroques pour la mandoline, met en lumière l’héritage musical du Kantor de Leipzig, et son infinie capacité à nourrir la création quelles que soient les époques.
Le langage contemporain dialogue avec celui du prolifique compositeur. La mandole, (« maintenant que je suis dépassé par mes élèves, sourit le mandoliniste international, je passe à un autre instrument de la même famille, proche du luth et du oud, et polyphonique comme une guitare »), offre avec une délicatesse rare sa tessiture aux partitions écrites pour violon par le maître du contrepoint.

 En réponse à la mandole, la mandoline se plie aux partitions des compositeurs contemporains qui se sont pris au jeu et écrit pour Vincent Beer Demander. À la Fugue en sol mineur BWV 1001 s’adresse le Clin d’œil de Jean-Claude Petit, élégante fantaisie qui développe les accents baroques en une mélodie poétique.
Le compositeur franco-grec Alexandros Markéas s’empare de certaines formules des musiques grecques traditionnelles, les assortit à celles de la Fugue en la mineur, véritable « triomphe de l’esprit sur la matière » (V.Beer Demander) ajoute le slide de la guitare et tire des sonorités inattendues de la mandoline, pour un Bached aux fils espiègles et inspirés.

Come Bach / Vincent Beer Demander

Vincent Beer Demander © X-D.R.

La Ciaconna BWV 1004 est un résumé de l’art de Bach qui évoque ici toute sa vie dans une évocation de sa première femme. « C’était la pièce préférée de mon grand-père, raconte le musicien, et je n’ai jamais pu la lui jouer » …. En épilogue il présentait l’une de ses propres compositions, dédiée à Hamilton de Hollanda, éblouissante de virtuosité avant un autre clin d’œil au célébrissime « Que ma joie demeure ».
(Il faut se procurer Come Bach, pour écouter aussi les pièces de François Rossé, Lionel Ginoux et Pierre-Adrien Charpy, petits bijoux répondant sans pastiche aux fugues et remarquablement présentés dans le livret du CD)

Instruments voyageurs

La seconde partie de la soirée conviait le violoncelle de Guillaume Latil et le cavaquinho à six cordes (une rareté, cet instrument étant doté habituellement de quatre cordes) de Matheus Donato pour présenter leur nouveau CD, Hémisphères.
S’entrelacent les compositions des deux instrumentistes, puisant dans l’histoire de l’un et de l’autre : violoncelle, cet instrument « sérieux » issu de l’orchestre, et son abord classique mais aussi jazz voire teinté de couleurs balkaniques et arméniennes, et cavaquinho porteur des traditions folkloriques et du choro brésilien. Il n’est rien d’impensable en musique !

Les deux instruments s’accordent avec bonheur, mêlent leurs sonorités graves et aigues et leurs timbres particuliers avec une maestria inventive. Aux notes se tissent des histoires, celle de la rencontre entre Guillaume Latil et Matheus Donato, voisin de palier dans leur immeuble parisien, celle des morceaux, inspirés de paysages, Palais Longchamp, Urban Poem, de souvenirs, celui du grand-père italien de la famille Donato, Oriente, d’autres dépourvus de support précis, mais fascinants par leur mélodie, comme Et si…, construit sur quatre harmonies très simples, ou musant sur le continent de l’Amérique du Sud, entre Brésil et Vénézuela, où se croisent mandingue, prière Bambara, choro, merengue…

Hémisphères / Matheus Donato & Guillaume Latil

Hémisphères / Matheus Donato & Guillaume Latil © X-D.R.

Guillaume Latil rappelle l’origine de certains titres : ce qu’il pensait avoir composé sur le modèle d’un choro, ne l’était pas du tout selon Matheus Donato, aussi le morceau intitulé « HoroChoro » (mélange d’influences bulgares et brésiliennes) est devenu « HoroChoroForró » (le Forró étant une musique du Nord-Est du Brésil)!
La musique est une joie qui se partage avec bonheur au Petit Duc !

Concert donné le 15 octobre 2025 au Petit Duc, Aix-en-Provence

Hémisphères, Guillaume Latil, Matheus Donato, Matrisse Production
Come Bach, Vincent Beer Demander, Maison Bleue

De l’amour et pas un téléphone!

De l’amour et pas un téléphone!

Au Petit Duc la « contre-diva du jazz », Cathy Heiting, présentait un nouveau répertoire de créations : Unconditional

EP à la clé, spectateurs en salle et sur écrans (la chaîne du Petit Duc permet une multiplication exponentielle du public), la soirée programmée par l’irrésistible duo Myriam Daups et Gérard Dahan affichait complet. Il est vrai que l’annonce de la venue de Cathy Heiting, une fidèle du lieu, est toujours attendue, tant cette artiste inclassable a su séduire par sa verve et la qualité irréprochable de son travail. Avec sa voix qui arpente sans effort apparent les trois octaves, la chanteuse se meut avec autant d’aisance dans le jazz, le funk, le lyrique (on a toujours un souvenir ému de Bizet était une femme où virtuosité vocale et instrumentale subjuguaient jusqu’aux zygomatiques mis à rude épreuve !), et explore tous les genres, accorde sa lecture de standards de la pop (sa reprise de « 1/2/3drink »  (Chandelier de Sia) a fait date), écrit, crée, sait réunir autour d’elle la fine fleur des musiciens et créer avec et entre eux une complicité sensible. 

Pour l’occasion elle réunit Sylvain Terminiello (double bass), Samuel Bobin (batterie), Renaud Matchoulian (guitare électrique), Ugo Lemarchand (piano et saxophone ténor). Chacun apporte sa contribution aux arrangements, aux compositions rêvées à deux ou trois. L’écoute de l’autre, la liberté laissée à l’improvisation, la sûreté des ensembles qui jouent sur les textures, les harmonies, les contre-chants, les variations, offrent une palette pailletée profondément ancrée dans l’inspiration jazzique. Les solos ne cherchent pas à éblouir par leur virtuosité technique, elle semble si naturelle, mais travaillent les couleurs, abordent l’intime avec une sobre élégance.

Cathy Heiting et Sylvain Terminiello au Petit Duc © Mitch Bis

Cathy Heiting et Sylvain Terminiello au Petit Duc © Mitch Bis

Le thème de la nouvelle création tient de la gageure tant l’époque est troublée : articuler tout un répertoire sur le thème de l’amour peut aussi prendre des allures révolutionnaires alors que le monde se déchire !

Cet amour est inconditionnel, réunit certes les amoureux, mais aussi les familles, les êtres, le monde. « Nous allons évoquer l’amour sous toutes ses formes, explique en introduction l’espiègle musicienne, carré, rond, rectangulaire… ». On commence par des roses, celles qui évoquent les personnes empathiques, The rose, puis on remonte une histoire d’amour depuis sa fin jusqu’à ses débuts en trois chansons, un texte est dédié à France, la sœur disparue l’an dernier de la chanteuse, deux morceaux sont consacrés à ses deux fils, un passage « quizz » reprend My Funny Valentine ce qui donne l’occasion d’un magnifique duo contrebasse, voix…

Cathy Heiting au Petit Duc © Mitch Bis

Cathy Heiting au Petit Duc © Mitch Bis

On passe par tous les registres avec fluidité. On se laisse porter par les mélodies, happer par les rythmes, surprendre par les enchaînements. Le morceau de rappel est le seul en français, sur un poème de Samuel Bobin, sublime…

Cathy Heiting choisit ici un retour à l’épure, à un jazz lumineux qui nous touche. Et c’est très beau.

26 janvier, Petit Duc, Aix-en-Provence

Cathy Heiting Quintet au Petit Duc © Mitch Bis

Cathy Heiting Quintet au Petit Duc © Mitch Bis

Il était une femme!

Il était une femme!

Enquête musicale à l’échelle de la planète sur les traces de Pablo Del Cerro par Mandy Lerouge : il était une femme !

Antoinette Pépin ? Pépin-Fitzpatrick ? Qui est-ce ? La question laisse perplexes les personnes interrogées. Et pourtant, celle que l’on surnommait « Nénette » a laissé nombre de musiques qui nous sont familières ! Une centaine d’œuvres du chanteur et guitariste argentin Atahualpa Yupanqui sont cosignées par elle, en fait par « Pablo Del Cerro », pseudonyme qu’elle utilisa, les temps n’étaient guère féministes. 

Le mystère d’un nom

Intriguée par cette signature de Pablo Del Cerro, attachée à une centaine d’œuvres d’Atahualpa Yupanqui, alors qu’elle faisait des recherches autour de l’œuvre musicale de ce dernier, la chanteuse Mandy Lerouge a mené une véritable enquête durant près de trois ans, a suivi les traces de ce « Pablo » à Paris, Buenos Aires, Cerro Colorado enfin, ce village de la province de Córdoba en Argentine où est située la maison (et désormais le musée) d’Atahualpa Yupanqui, « Agua Escondida » (l’eau cachée). Pablo Del Cerro, alias Antoinette Pépin-Fitzpatrick (1908-1990), née à Saint-Pierre et Miquelon d’un père français d’une mère terre-neuvienne, fut non seulement la muse mais l’épouse d’Atahualpa Yupanqui. Musicienne, pianiste, tombée amoureuse de l’Argentine, elle rencontrera Atahualpa, l’amitié artistique qui unira aussi le couple se transcrira dans les collaborations musicales.

Mandy Lerouge El Cerro© Petit Duc

Mandy Lerouge El Cerro© Petit Duc

Roberto Chavero, fils du chantre argentin, ému de l’intérêt passionné de Mandy Lerouge, lui a transmis une grande boîte fermée que sa mère avait laissée et qu’il n’avait jamais ouverte : « c’est pour vous, c’est votre quête » lui dit-il. Un trésor de partitions d’enregistrements, de lettres de livres, de carnets de compositions et de confidences est ainsi légué à la chanteuse. Elle s’imprègne des ouvrages de la bibliothèque d’Atahualpa, des paysages montagneux qui servent d’écrin au village Cerro Colorado, y trouve des correspondances avec sa vie, au point de commettre le délicieux lapsus de « la Cordillère des Alpes » (Mandy Lerouge est originaire des Hautes-Alpes).

Un spectacle enquête

Le spectacle qui découle de cette recherche et de ces rencontres nous fait plonger à notre tour dans les bonheurs de la quête, part des voix enregistrées de personnes qui ignorent qui est cette fameuse Antoinette Pépin, mais aussi de celle, émouvante, de son fils qui évoque ses parents. Les chants souvent donnés en primeur, directement issus de la fameuse boîte d’Antoinette, sont entremêlés aux bribes du récit, prennent une épaisseur nouvelle, habités d’un parfum de légende. La voix souple de Mandy Lerouge se glisse avec aisance dans les méandres des textes et des mélodies, accompagnée par le violoncelle augmenté d’Olivier Koundouno, la guitare de Diego Trosman, les percussions et la batterie de Javier Estrella. « Il ne s’agit pas de mimer la musique argentine, sourit l’interprète, je ne m’en sens pas la légitimité, et n’en vois pas non plus l’intérêt, les musiciens argentins le font bien mieux que moi, mais plutôt de donner une lecture personnelle, un hommage à une femme dont le nom a été tu comme si souvent et à sa puissance créatrice ». Les musiciens offrent des contre-points subtils aux airs, transcrivent atmosphères, esprit, variant les esthétiques avec intelligence.

Concert El Cerro au Petit Duc

Concert au Petit Duc © Petit Duc

Olivier Koundouno, concert au Petit Duc © Petit Duc

Olivier Koundouno, concert au Petit Duc © Petit Duc

Les musiques populaires, leurs rythmes, la teneur des chants, de l’Argentine sont intiment liés aux reliefs, aux climats, non par une fantaisie folklorique prise dans un sens réducteur, mais en sont l’émanation profonde. Une enquête musicale passionnante au cours de laquelle Mandy Lerouge prend un essor nouveau, habitée, puissante, sensible.

Mandy Lerouge / Del Cerro a été joué le 7 octobre au Petit Duc, Aix-en-Provence

Bientôt un CD et une émission radiophonique en huit épisodes pour suivre au plus près cette enquête musicale !

Chansons monde

Chansons monde

Depuis quelques années, les « alter-égaux » (ce sont leurs propres termes), Myriam Daups et Gérard Dahan se consacrent plus que pleinement aux destinées du Petit Duc, suivent les artistes en résidence, offrent une programmation foisonnante et d’une irréprochable pertinence, ont créé lors des années confinées une chaîne youtubesque qui permet à un public nombreux d’assister en direct (pas de replay ou de podcast, les représentations sont diffusées en simultané, le spectateur chez lui est invité à se placer dans les mêmes conditions que celui qui se trouve dans la salle), promeuvent des actions en direction des publics empêchés, ont instauré des séances musicales éducatives destinées aux enfants autistes qui découvrent par le biais de la musique un langage, et j’oublie sans aucun doute d’autres dimensions tout aussi généreuses et éclairées. Bref, le duo Vis à Vies dont on a tant aimé les premiers opus et les spectacles s’est mis peu à peu en retrait de la scène, pour le bonheur de ceux qu’il accueille, mais frustrant son public des spectacles ciselés auxquels il l’avait accoutumé. Aussi, voir annoncer à la Maison des Arts de Cabriès le renouveau du duo a fait pousser un soupir de soulagement ! La page n’était pas tournée, juste en pause. 

Entre l’ancien et le nouveau

Aux côtés des deux multiinstrumentistes (si l’on veut être bref !) revenait un complice de longue date, le guitariste Stéphane Dahan. Les mots et les compositions de Gérard Dahan tissent leurs orbes, conjugaison subtile entre la voix fraîche et espiègle de Myriam Daups et les instruments, guitares, percussions, violon, flûte, doudouk, sapato (ce tapis de danse inventé par Gérard Dahan spécialement pour Myriam Daups afin que la danseuse de claquettes puisse ajouter de nouveaux univers sonores aux chants : les talons ou les pointes glissent sur les symboles dessinés sur la carpette, et soudain une respiration, un oiseau, un rythme lointain, un effluve des vents du Sud, un miroir aux alouettes peut-être, un frémissement supplémentaire de la planète éclosent). Il s’agit de renouer les fils du monde, ne pas en ignorer les atroces turbulences mais esquisser des raisons de vivre, de relever la tête, d’accomplir son humanité face aux barbaries, et affirmer que l’être humain vaut mieux que cela, sait aussi créer, construire, apprivoiser, décliner les harmonies communes et se lover dans la beauté sans l’abîmer. 

« Nous chantons pour partager une nouvelle vision du monde qu’on peut, peut-être, rêver ensemble : l’autre est une promesse », sourit Myriam Daups lors de sa présentation. « Même pas peur du bonheur ! » et si « le monde est gris / change de lunettes ! ». Ne les croyez pas cependant d’un optimisme béat et aveugle ! Voici l’île de Vanuatu aux « sables dorés » qui s’enfonce dans les eaux du Pacifique alors que la banquise fond inexorablement, ou encore Amagonie (contraction d’Amazone et d’agonie) qui brosse l’amer constat de la perte des forêts…

Stéphane Dahan, Myriam Daups, Gérard Dahan en concert à Cabriès

Montage photographique (Stéphane Dahan, Myriam Daups, Gérard Dahan) © Éric Hadzinikitas   

Les chansons des précédents albums se mêlent aux créations, aux emprunts amicaux, hommages au talent de leurs pairs, que ce soit avec Atome de Cédrik Boule ou un air de Tom Poisson. Des personnages venus des expériences éducatives et musicales naissent, le petit Sami qui se croit obligé de tout nier pour exister et qui peu à peu gagne confiance et sourire, l’enfant autiste et son « tambour dans la tête » … Le duo chante alors pour lui « donner des mots, à elle qui n’en a pas ».Cette capacité d’empathie s’adresse à toutes les manifestations du vivant. Écoute poétique du monde qui se traduit par un voyage musical infini, épousant les variations de rythmes, de mélodies, de tonalités de la Terre. Les frontières s’estompent au cœur des compositions qui savent préserver le sentiment d’émerveillement. « Restons des enfants et partons à la conquête des premières fois » !  Gérard Dahan partage alors une chanson écrite pour son premier petit-fils (l’enfant de Stéphane Dahan), délicieusement touchante et chargée de sens pour ce futur passeur. Douceur…

Concert donné le 13 mai à la Maison des Arts de Cabriès

Excellente nouvelle : une tournée est prévue l’an prochain !

J’avais déjà eu le bonheur de voir cette formation en duo au Petit Duc en 2019. L’article était paru sur le site de Zibeline désormais inaccessible. J’ai retrouvé le texte dans mes archives: Savoir écouter les coquillages… et leur préférer la mer.