Depuis quelques années, les « alter-égaux » (ce sont leurs propres termes), Myriam Daups et Gérard Dahan se consacrent plus que pleinement aux destinées du Petit Duc, suivent les artistes en résidence, offrent une programmation foisonnante et d’une irréprochable pertinence, ont créé lors des années confinées une chaîne youtubesque qui permet à un public nombreux d’assister en direct (pas de replay ou de podcast, les représentations sont diffusées en simultané, le spectateur chez lui est invité à se placer dans les mêmes conditions que celui qui se trouve dans la salle), promeuvent des actions en direction des publics empêchés, ont instauré des séances musicales éducatives destinées aux enfants autistes qui découvrent par le biais de la musique un langage, et j’oublie sans aucun doute d’autres dimensions tout aussi généreuses et éclairées. Bref, le duo Vis à Vies dont on a tant aimé les premiers opus et les spectacles s’est mis peu à peu en retrait de la scène, pour le bonheur de ceux qu’il accueille, mais frustrant son public des spectacles ciselés auxquels il l’avait accoutumé. Aussi, voir annoncer à la Maison des Arts de Cabriès le renouveau du duo a fait pousser un soupir de soulagement ! La page n’était pas tournée, juste en pause.
Entre l’ancien et le nouveau
Aux côtés des deux multiinstrumentistes (si l’on veut être bref !) revenait un complice de longue date, le guitariste Stéphane Dahan. Les mots et les compositions de Gérard Dahan tissent leurs orbes, conjugaison subtile entre la voix fraîche et espiègle de Myriam Daups et les instruments, guitares, percussions, violon, flûte, doudouk, sapato (ce tapis de danse inventé par Gérard Dahan spécialement pour Myriam Daups afin que la danseuse de claquettes puisse ajouter de nouveaux univers sonores aux chants : les talons ou les pointes glissent sur les symboles dessinés sur la carpette, et soudain une respiration, un oiseau, un rythme lointain, un effluve des vents du Sud, un miroir aux alouettes peut-être, un frémissement supplémentaire de la planète éclosent). Il s’agit de renouer les fils du monde, ne pas en ignorer les atroces turbulences mais esquisser des raisons de vivre, de relever la tête, d’accomplir son humanité face aux barbaries, et affirmer que l’être humain vaut mieux que cela, sait aussi créer, construire, apprivoiser, décliner les harmonies communes et se lover dans la beauté sans l’abîmer.
« Nous chantons pour partager une nouvelle vision du monde qu’on peut, peut-être, rêver ensemble : l’autre est une promesse », sourit Myriam Daups lors de sa présentation. « Même pas peur du bonheur ! » et si « le monde est gris / change de lunettes ! ». Ne les croyez pas cependant d’un optimisme béat et aveugle ! Voici l’île de Vanuatu aux « sables dorés » qui s’enfonce dans les eaux du Pacifique alors que la banquise fond inexorablement, ou encore Amagonie (contraction d’Amazone et d’agonie) qui brosse l’amer constat de la perte des forêts…
Montage photographique (Stéphane Dahan, Myriam Daups, Gérard Dahan) © Éric Hadzinikitas
Les chansons des précédents albums se mêlent aux créations, aux emprunts amicaux, hommages au talent de leurs pairs, que ce soit avec Atome de Cédrik Boule ou un air de Tom Poisson. Des personnages venus des expériences éducatives et musicales naissent, le petit Sami qui se croit obligé de tout nier pour exister et qui peu à peu gagne confiance et sourire, l’enfant autiste et son « tambour dans la tête » … Le duo chante alors pour lui « donner des mots, à elle qui n’en a pas ».Cette capacité d’empathie s’adresse à toutes les manifestations du vivant. Écoute poétique du monde qui se traduit par un voyage musical infini, épousant les variations de rythmes, de mélodies, de tonalités de la Terre. Les frontières s’estompent au cœur des compositions qui savent préserver le sentiment d’émerveillement. « Restons des enfants et partons à la conquête des premières fois » ! Gérard Dahan partage alors une chanson écrite pour son premier petit-fils (l’enfant de Stéphane Dahan), délicieusement touchante et chargée de sens pour ce futur passeur. Douceur…
Concert donné le 13 mai à la Maison des Arts de Cabriès
Excellente nouvelle : une tournée est prévue l’an prochain !
J’avais déjà eu le bonheur de voir cette formation en duo au Petit Duc en 2019. L’article était paru sur le site de Zibeline désormais inaccessible. J’ai retrouvé le texte dans mes archives: Savoir écouter les coquillages… et leur préférer la mer.
Savoir écouter les coquillages… et leur préférer la mer
Le concert du duo Vis à Vies comble le Petit Duc
Les deux fins artistes que sont Myriam Daups et Gérard Dahan se retrouvent (enfin) pour un nouvel opus en concert : Quatre saisons ; pas de référence pompeuse à Vivaldi, mais tout simplement l’évocation des quatre années déjà passées, fructueuses, au Petit Duc qu’ils dirigent avec intelligence et tendresse. Ils avaient dû, absorbés par le fonctionnement du lieu et l’aventure prenante de la programmation (entre autres capacités de leur salle atypique qui propose stages, initiations, conférences, résidences…), laisser en sommeil leur duo Vis à Vies. C’est à une joyeuse renaissance que l’on a assisté le 11 mai dernier, dans l’écrin superbement habillé de lumières de la scène du Petit Duc. Myriam Daups, fée mutine, s’agenouille sur un cercle verdoyant, île emplie de magie (un sapato, conçu par Gérard Dahan, « petite planète verte taille 38 » sourit sa comparse) : du bout des doigts, elle fait jaillir le murmure de la mer, le frémissement des arbres, des cris d’oiseaux, la voix du vent… la guitare de Gérard Dahan s’immisce dans ces bruissements de la nature, leur accorde une mélodie, sur laquelle les mots rêveurs tissent leur discrète poésie. « Dans un coquillage/ On entend la mer/ Moi je veux la mer »…
Entre les mots et les choses, le rêve et le « vrai », l’imaginé et le vécu, tout un univers poétique oscille, effleurant avec douceur les troubles des âmes et ceux du monde. Ici, celle qui « fait la manche » ne « voit jamais plus haut/ que le haut d’un mollet »… « J’en vois passer des godasses » ! Pas de jugement, de déclaration indignée, le constat en empathie suffit, suggère plutôt qu’affirme, esquisse sans forcer le trait, s’ourle d’espérance… même lorsque la terre est en proie aux prédateurs humains (si peu !), un appel résonne, venu d’Amagonie (contraction d’Amazone et d’agonie) que «les coups des bulldozers » détruisent, ou de Vanuatu, l’île au « sable doré » que les eaux de la fonte inexorable des glaces submerge…
Duo Vis à Vies, 2019 © Fred Lamèche
L’enfant rétif à l’école, ce cancre à la Prévert qui ne sait que la négation, surpris par l’importance qui lui est accordée, acquiesce, peut-être pour la première fois… On apprend à « marcher contre le vent », contre les déceptions, et l’on aiguise ses propres ailes. Une faim inextinguible du monde, de la beauté des hasards, dessine ses cartes sans frontières où l’humanité prime, dans une appréhension sensible des êtres et des choses. Les notes et les mots s’embrassent passionnément, goulument ; les guitares, la clariflûte, l’appeau, le ukulélé, le violon, le violoncelle, la basse, le cavaquinho, déclinent leurs envolées inspirées, épousent les rythmes les plus variés, s’évadent vers l’Amérique du Sud, font un détour par le Cap Vert (délicieux hommage à Césaria Evora pour laquelle G. Dahan a composé), swinguent, se mélancolisent, rebondissent avec une délicieuse légèreté, jongleurs de sons et de mots aux sens glissants, qui se plaisent à de malicieuses pirouettes.
Les chansons de Vis à Vies se mêlent naturellement à celles de ceux qui ont partagé ou croisé leur chemin : emprunt-hommage à Cédrik Boule, ce « pêcheur d’étoiles au cœur tendre », avec Atome, appel sur le plateau à Yan Cleary pour un partage de son délicat I want to go home que viennent animer les oiseaux potaches du sapato… Plus de six cents artistes se sont succédé sur la scène du Petit Duc ces quatre dernières années, et sont évoqués avec émotion. Leur ombre nourrit les deux artistes unis par une complicité qui semble avoir la capacité de tout rendre simple, évident, intimement métissé au monde. Tout devient musique… On s’amuse du succès de la reprise de Paris mode d’emploi (musique de G. Dahan sur des paroles de Paul Ecole) par Christophe Mahé sous un nouveau titre, La Parisienne à laquelle ont juste été ajoutées des « converses blanches », et la version originale se voit interprétée avec une distanciation amusée. Une berceuse ne suffira pas à achever le concert qui multipliera les bis, permettant une jolie démonstration de claquettes de Myriam Daups (aussi au violon, violoncelle, guitare basse et sequor !). Le couple, délaissant les instruments, accompagnera la sortie par un superbe duo (hérité de l’une de leurs collaborations musicales au Mexique) a capella. Dans la nacre du spectacle s’est lové un air de bonheur que chacun emporte.
Le 11 mai, Petit Duc, Aix-en-Provence