Aux couleurs de la Lituanie
Dans le cadre de la Saison de la Lituanie en France (du 12 septembre au 12 décembre 2024), le Grand Théâtre de Provence ouvrait ses murs au jeune chef et compositeur Gediminas Gelgotas à la tête de l’Orchestre de Chambre de Lituanie (OCL) et de l’ensemble New Ideas Chamber Orchestra (NICO). Ce dernier a été fondé par le compositeur afin de transcrire sa vision artistique. Les musiciens jouent sans partition et usent de techniques instrumentales particulières, n’hésitent pas à se servir de leurs voix ou à danser les thèmes musicaux.
Si l’on pouvait sourire en lisant le programme : encore Les Quatre saisons de Vivaldi ! on était séduit par l’originalité de son approche. En fait, cette œuvre majeure du répertoire classique, sans doute la plus enregistrée, était ici revue par Max Richter. Ce dernier ayant acté le « point de saturation » de l’œuvre jouée en indicatif d’attente téléphonique, en version « ascenseur », ou « téléphone portable », a tenté de donner à entendre autrement cette pièce, travaillant sa matière musicale, supprimant de grands pans de la partition originale (environ 75%) tout en conservant ses « crêtes » caractéristiques.
New Ideas Chamber Orchestra (NICO) dans A. Vivaldi – M. Richter « Summer » (I, II, III Mvt.) des « Quatre Saisons » au St. Petersburg Philharmonic Hall, 2 Février, 2020. (source Youtube)
Deux saisons étaient présentées lors du concert, L’été et L’hiver, chacune dans ses divers mouvements désignés par des chiffres, le compositeur contemporain, sensible aux tableautins expressifs de la création du Prêtre Roux, sa choisi de les extraire de leur sens premier, pour en faire de nouveaux « objets musicaux » auxquels les violons, divisés alors en quatre parties, apportent une texture nouvelle, empreinte d’une volonté esthétique proche du minimalisme, de la musique électronique et du post-rock, installée dans un paysage sonore électroacoustique.
L’écoute en devient contemplative et il est vrai que la densité de l’œuvre s’en voit étonnamment renouvelée en poésie. La direction vive et dansante de Gediminas Gelgotas s’attachait ensuite au deuxième mouvement du Concerto pour violon de Philip Glass, sublime dans ses pulsations internes et ses envoûtants ressassements, puis à des extraits des Suites pour violoncelles de Johann Sebastian Bach, revisitées elles-aussi par Peter Gregson, dans leur nouveau titre, Cello Suites Recomposed.
Orchestre de chambre de Lituanie © Dmitrijus Matvejevas
La contrebasse de Roman Patkoló, « le meilleur contrebassiste classique au monde actuellement », affirmait lors de l’avant-concert le chef d’orchestre, accordait sa puissance et son velouté à la relecture contrapuntique de Peter Gregson, sans doute moins « classique » que celle de Richter pour Vivaldi, mais tout aussi élégante et passionnante.
Les musiciens de NICO, costumés d’ombres, les garçons gantés à la main droite de mitaines aux incrustations brillantes, Augusta Zuoké, Julija Andersson, Dalia Simaška (violonistes), Liudvikas Silichas, Povilas Paukštė, Augustinas Solaski (violoncellistes) apportent leur vivacité et leurs chorégraphies à ces modelages musicaux qui ne remplacent pas les œuvres originelles mais leur rendent hommage en mettant en dialogue les époques.
Gediminas Gelgotas – composer in residence at Verbier Festival 2014. His piece « Never Ignore the Cosmic Ocean » (version for 3 violins, 2 cellos, piano) performed at the festival by the Verbier Orchestra and Verbier Academy musicians, August 2nd, 2014. www.gediminasgelgotas.com
On se laisse porter par ces relectures qui traduisent l’éblouissement du compositeur contemporain pour les pièces abordées, et nous livre le foisonnement des émotions que l’écoute première a suscitées.
Enfin, quelques pièces du jeune chef et compositeur qui n’hésite pas à se mettre au piano, résonnaient comme une révélation. On écoutait tour à tour Never ignore the Cosmis Ocean, Concerto pour violon, Transitory, Sanctifaction, To the skies, palette miroitante d’un peintre de l’âme.
Gediminas Gelgotas joue son oeuvre ‘Sanctifaction’ avec le contrebassiste Roman Patkoló (document Youtube)
Le travail sur la matière des instruments, empâtements larges, épures sur le fil des sons, masses sonores pailletées, retours recueillis, voix qui scandent, élans romantiques, pirouettes facétieuses, respirations, emportements, semble nous donner sa lecture du monde, passionnée, clairvoyante, nuancée, écho aux pulsations premières d’un univers en perpétuel mouvement. C’est très beau !
Concert donné le 2 octobre au Grand Théâtre de Provence