Harmonie du soir

Harmonie du soir

Ils se sont connus au CSNM de Paris et ont fondé en 2016 leur ensemble, le Trio Pantoum en hommage au titre du deuxième mouvement du Trio de Ravel.
Le pantoum, poème à forme fixe originaire de la Malaisie, fascina les poètes français du XIXème siècle, et l’on ne peut que citer celui de Baudelaire (quoique peu conventionnel), Harmonie du soir dont les vers semblent s’accorder avec l’atmosphère du concert donné à Château-Bas de Mimet lors du Festival international de piano de La Roque d’Anthéron. Le cadre moins imposant que celui de la conque du parc de Florans offre cependant une intimité particulière et une chaleur propice à l’univers chambriste. Le jeune trio s’y lova avec bonheur débutant par le Trio avec piano n° 32 en la majeur de Haydn en clin d’œil à l’un des premiers prix qu’il a remportés récemment au Concours de musique de chambre Joseph Haydn.

Ce qui frappe d’emblée dans le jeu des trois interprètes, Hugo Meder (violon), Bo-Geun Park (violoncelle) et Kojiro Okada (piano), outre une évidente complicité, est la jeunesse et la sûreté de l’approche des partitions. Les premières mesures soulignent avec une certaine ironie, en une mise en scène de parade, que la dédicataire est une princesse, Maria Anna Esterhazy. La légèreté du ton s’octroie des pauses mutines, esquisse des pas de danse, semble s’abîmer un temps dans une mélancolie douce, puis s’emballe en rythmes qui évoquent turqueries (en pied de nez aux déferlements de l’Empire Ottoman dont le second siège de Vienne en 1683 fut le point de départ de la guerre austro-turque 1683-1699) et airs hongrois. La vivacité de l’Allegro final s’orne d’éclats de rire et achève en un brillant tournoiement et une écriture très syncopée cette pièce très spirituelle.   

Trio Pantoum © Pierre Morales

Trio Pantoum © Pierre Morales

Avec la nuit, le Notturno pour violon, violoncelle et piano en mi bémol majeur opus 148 de Franz Schubert apporte sa finesse, accords arpégés, cassures rythmiques qui sont autant de fêlures de l’âme, ornementations de triolets et doubles croches… Le compositeur est malade, la mort rôde et il est si jeune. Il y a autant de tristesse que de sursauts de joie dans la conversation entre les trois instruments, d’un éloquent lyrisme… C’est cette verve que le Trio Pantoum saisit avec grâce même s’il sait rendre l’élégance d’une fin qui cisèle l’infime jusqu’au silence.

Redécouvrir ses classiques !

S’attaquer au célébrissime Trio avec piano n° 2 en mi bémol majeur opus 100 de Schubert pourrait sembler d’un intérêt relatif, si ce n’est pour les inconditionnels du Barry Lindon de Stanley Kubrick ! Pourtant le Trio Pantoum réussit la prouesse de nous en livrer une lecture neuve. La fantaisie, la poésie, le lyrisme, la nostalgie, le sentiment de révolte, trouvent dans l’ampleur de l’écriture un écrin particulier. Le tempo choisi par le trio, plus rapide que celui adopté communément confère à l’œuvre un nouveau dynamisme. La gravité se voit ainsi doublée d’espièglerie.

Trio Pantoum © Pierre Morales

Trio Pantoum © Pierre Morales

L’esprit viennois transparaît sous les propos plaintifs, les lignes mélodiques s’irisent de fragilité, le mouvement lent, hypnotique, se teinte d’une subtile distanciation. Le scherzo en canon danse malgré son pessimisme, et si les fragrances de la couleur tragique de l’andante restent sensibles, le finale se mue en fête entraînante et solaire.
En bis le trio proposera bien sûr le Pantoum du trio de Maurice Ravel puis la première Polka de Dvořák : la musique est un art de la joie communicatif grâce à ces trois musiciens qui n’ont pas fini de faire parler d’eux !

Le 6 août Château-Bas, Mimet, Festival international de Piano de La Roque d’Anthéron

Schubertiades olympiques

Schubertiades olympiques

Il y a parfois quelque chose qui tient du miracle dans les représentations données sous la conque du parc de Florans de La Roque d’Anthéron : le temps s’arrête sans que l’on en ait conscience.
C’est ce qui s’est passé lors des deux soirées consacrées au pianiste Alexandre Kantorow. Depuis son premier prix du Concours Tchaïkovski 2019 et du Grand Prix décerné trois fois auparavant dans l’histoire du concours, le jeune musicien cumule les récompenses et arpente le monde pour le plus grand bonheur des différents publics.
Une première soirée « carte blanche » et une seconde avec orchestre permettaient de (re)découvrir la foisonnante palette des talents de ce pianiste hors pair.

Complicités pianistiques

En première partie de la Carte Blanche, deux pianos, tranche contre tranche, scellaient la rencontre entre Alexandre Kantorow et Lucas Debargue. Les deux complices fusionnent les timbres des instruments, brossent les nuances les plus subtiles des trois Nocturnes de Debussy, Nuages, aux couleurs du temps si proche du poème de Verlaine Dans le parc solitaire et glacé (même si les Nocturnes illustrent Poèmes anciens et romanesques d’Henry de Régnier), Fêtes, si solaire avec ses éclats dansants, Sirènes enfin dans le flux ample des eaux, teinté d’une ambiance crépusculaire. Les pièces élégamment ciselées prennent une saveur particulière grâce à la finesse du jeu et à l’entente parfaite des deux interprètes qui jamais ne frappent tout en sachant offrir une puissante intensité et abordent l’indicible.

Alexandre Kantorow Carte Blanche Festival de La Roque d 'Anthéron © Valentine CHAUVIN

Alexandre Kantorow Carte Blanche Festival de La Roque d ‘Anthéron © Valentine CHAUVIN

La poésie reste le fil conducteur de ce mini-récital, avec la Suite pour deux pianos n° 1 opus 5 de Sergueï Rachmaninov, dont chaque « tableau » (la pièce est sous-titrée « Fantaisie-tableaux ») est précédé d’une citation de poète, Mikhaïl Lermontov, Lord Byron, Fiodor Tiouttchev, Alexeï Khomiakov.

Chopin inspire la Barcarolle qui traduit le Chant de la gondole de Lermontov qui « glisse sur les ondes et l’amour fait s’envoler le temps », tandis que La nuit…L’amour rappellent le rossignol de la poésie de Lord Byron, « C’est l’heure où parvient des ramures / La note aiguë du rossignol », et que Larmes traduit les déplorations de Tiouttchev, « Vous coulez comme des torrents de pluie / Dans les ténèbres d’une nuit d’automne » et que lumineux, Pâques de Khomiakov sonne ses cloches à toute volée de ses « accents éclatants, mélodieux et argentins », comme un écho à La grande Porte de Kiev de Modeste Moussorgski.
En bis, les deux pianistes croisaient leurs univers dans une composition de Lucas Debargue, Concours de circonstance : « J’ai superposé, coupé, mêlé, la 1ère Sonate de Brahms pour Alexandre et Gaspard de la nuit de Ravel pour moi, en une petite fantaisie. » Le plaisir de jouer ensemble se double d’une évidente jubilation. Les deux artistes tout au long de leur duo semblent partager non seulement les musiques mais aussi leurs lectures, ajoutant leur humour, leurs rêveries, interprètes géniaux et complices.

Alexandre Kantorow Carte Blanche Festival de La Roque d 'Anthéron © Valentine CHAUVIN

Alexandre Kantorow Carte Blanche Festival de La Roque d ‘Anthéron © Valentine CHAUVIN

Formations chambristes

La finesse d’Alexandre Kantorow ne se manifeste pas seulement dans son jeu, mais aussi dans sa capacité à réunir des interprètes de premier plan dans des répertoires qui leur sied à la perfection. C’est Liya Petrova (violon) et Aurélien Pascal (violoncelle) qui rejoignaient le pianiste dans le Trio concertant n° 1 en fa dièse mineur de César Franck. Le velouté du violoncelle en sublimes unissons avec le violon s’accorde à la profondeur du piano qui marque d’abord un rythme ostinato sur lequel naît la mélodie. Les trois musiciens se connaissent bien, ont l’habitude de jouer ensemble et leur fusion apparaît naturelle, avec une liberté de ton, de jeu, totalement virtuoses. La forme cyclique de l’œuvre permet des clins d’œil des échos soulignés, des sourires en connivence. «Inaugurant les bis intermédiaires », le trio offrira le lyrisme éblouissant de la 1ère variation du thème et variation du Trio que Tchaïkovski dédia à son grand ami Nikolaï Rubinstein.

Après l’entracte, Alexandre Kantorow faisait le pari de réunir sur le Quatuor pour piano et cordes n° 2 en la majeur opus 26 de Brahms des musiciens qui n’avaient jamais joué ensemble, Daniel Lozakovich (violon), Lawrence Power (alto) et Victor Julien-Laferrière (violoncelle). Les colorations dansantes, les éclairages qui hésitent entre le clair-obscur et la luminosité beethovénienne, accordent à l’œuvre une allure plus concertante que chambriste où les voix des instruments dialoguent avec élégance. Les vastes respirations méditatives se fondent aux souffles nocturnes.

Alexandre Kantorow Carte Blanche Festival de La Roque d 'Anthéron © Valentine CHAUVIN

Alexandre Kantorow Carte Blanche Festival de La Roque d ‘Anthéron © Valentine CHAUVIN

La poésie de la soirée trouve son acmé lors de l’ultime rappel : tous les instrumentistes du concert se rassemblent en cercle autour du piano. Alexandre Kantorow joue encore une pièce de son cher Brahms, l’Intermezzo en mi bémol majeur. En préambule Brahms avait glissé deux vers d’une berceuse écossaise : « dors paisible mon enfant, dors paisible et sage, j’ai tant de peines à pouvoir pleurer ». Temps suspendu…

Un piano et un orchestre

Pour la première fois la conque de La Roque accueillait le Verbier Festival Chamber Orchestra et son chef, Gábor Takács-Nagy. Quel orchestre ! On l’entendit en deuxième partie dans la Symphonie n° 1 en ut mineur de Brahms, subtil, éclatant, passant par tous les registres avec la même aisance : les ombres violentes du premier mouvement, la tendresse du deuxième, le « poco allegretto e grazioso » qui passe du la bémol majeur au si majeur du troisième, les citations du quatrième de la Neuvième de Beethoven… Les six violons autour du premier violon sonnent comme ceux d’un orchestre symphonique complet, chaque pupitre brille avec virtuosité en un équilibre qu’instaure le chef qui danse, mime, vit totalement la partition.

Alexandre KANTOROW, le Verbier Festival Chamber Orchestra et son chef, Gábor Takács-Nagy ©Pierre MORALES 2024

Alexandre KANTOROW, le Verbier Festival Chamber Orchestra et son chef, Gábor Takács-Nagy ©Pierre MORALES 2024

Ces élans suivaient le brio d’Alexandre Kantorow en première partie de soirée dans le Concerto pour piano et orchestre n° 5 en fa majeur opus 103 de Camille Saint-Saëns. Le compositeur y narre son voyage en Égypte, pays qu’il connaissait bien. Ce parcours musical passe par des cartes postales d’un exotisme convenu qui sont autant de notes espiègles du compositeur qui harmonise et orchestre avec profondeur un chant nubien, nimbe de nostalgie les paysages qui sont autant des lieux visités que des idées fantasmées des mythologies orientales. Le piano, limpide, converse avec les autres instruments, jongle entre les éléments populaires, une élégante nostalgie et un lyrisme en demi-teinte. Juste sublime !

Concerts donnés le 4 et le 5 août, parc de Florans, Festival international de piano de La Roque d’Anthéron  

Alexandre KANTOROW, le Verbier Festival Chamber Orchestra et son chef, Gábor Takács-Nagy ©Pierre MORALES 2024

Alexandre KANTOROW, le Verbier Festival Chamber Orchestra et son chef, Gábor Takács-Nagy ©Pierre MORALES 2024

Noces musicales

Noces musicales

Une osmose particulière s’est nouée entre l’Orchestre Symphonique de Nice sous la houlette de Lionel Bringuier et le jeune pianiste Alexander Malofeev sous la conque du parc de Florans.

Un orchestre brillant

La première partie était consacrée à l’orchestre seul, contrairement aux organisations traditionnelles qui lui font précéder la partie concertante. Ici, tout était conçu pour établir une gradation de nuances, de couleurs, d’émotions. L’ouverture mozartienne des Noces de Figaro donnait le ton, dans la rapidité de ses crescendos, ses vertiges, ses apothéoses dessinées avec une rare clarté par un orchestre aux pupitres subtilement équilibrés menés par leur chef principal depuis 2023, Lionel Bringuier, qui doit prendre en septembre 2025 la direction musicale de l’Orchestre philharmonique de Liège. Suivait, comme pour rester dans les inspirations du Sud (les Noces de Figaro se passent en Espagne, mais le livret est en italien) la Symphonie n° 4 en la majeur opus 90, ‘Italienne’ de Mendelssohn.

Lionel Bringuier © Pierre Morales

Lionel Bringuier © Pierre Morales

Le compositeur aimait sans aucun doute les « carnets de voyage », et transcrivit musicalement ses impressions « touristiques » (après tout le terme de « touriste » est apparu pour la première fois dans les années 1803 pour désigner les voyageurs anglais !). Il a ainsi dédié l’une de ses symphonies, la n° 3, Écossaise, aux highlands écossais.

Inspiré par les paysages et les ruines de l’Italie durant sa « tournée » à travers le continent européen, le musicien né dans la ville libre et hanséatique de Hambourg livre une pièce dynamique et joyeuse. L’Allegro vivace nous transporte dans les délices de la campagne romaine, soulignés par l’éclat des cordes. Le cahier de notes du voyageur d’étoffe d’échos, ici un chant de pèlerins à Rome (deuxième mouvement), là, un menuet, une chasse, (troisième mouvement), enfin un finale curieusement en mineur alors que la pièce est écrite en mode majeur, d’une fougue impétueuse.

Lionel Bringuier © Pierre Morales

Lionel Bringuier © Pierre Morales

Et la jeunesse virtuose d’un pianiste

On l’avait vu et écouté avec bonheur lors du 35ème festival de La Roque d’Anthéron en 2014. Il avait alors treize ans, venait de remporter le premier prix et la médaille d’or du 8ème Concours international Tchaïkovski pour jeunes musiciens à Moscou, et sa jeunesse doublée d’un brio époustouflant avait séduit définitivement le public. Depuis, chacun de ses retours sous la conque fait évènement. On se souvient entre autres « grands moments », de sa prestation avec l’inénarrable et génial Orchestre du Tatarstan dirigé par le  tout aussi gigantissime Alexander Sladkovsky!

C’est sur le Concerto pour piano et orchestre n° 1 en si bémol mineur opus 23 de Tchaïkovski qu’Alexander Malofeev rejoint l’orchestre après le brillant des premières mesures des cors. La précision et la vivacité du jeune pianiste trouvent ici un terrain de jeu particulièrement propice. La puissance percussive, les nuances qui éclosent peu à peu, l’écoute de l’orchestre avec lequel il équilibre l’intensité de son jeu, servent ce bijou de la littérature musicale avec brio. L’élégance du jeu de ce déjà immense artiste sait se glisser dans un dialogue nuancé avec les différents pupitres de l’orchestre. La passion, le lyrisme, mais aussi une certaine espièglerie, sont rendus sensibles au fil des pages qui narrent aussi bien les remuements d’une âme exigeante que les émotions liées au souvenir d’une danse, d’un air populaire, flirtent avec le ballet classique, se retrouvent sur une place de village…

Alexander Malofeev © Pierre Morales

Alexander Malofeev © Pierre Morales

Le programme fait-il ici un clin d’œil aux JO ? Depuis 2020 ce Concerto n° 1 de Tchaïkovski est utilisé comme hymne pour les remises de médailles aux athlètes russes concourant sous la bannière neutre (ROC) puisque, par décision du Tribunal arbitral du sport la Russie est exclue de toute compétition internationale. L’Ouverture du concerto, considéré comme faisant partie de la culture mondiale, a été choisie pour remplacer l’hymne national de la fédération de Russie.

Alexander Malofeev © Pierre Morales

Alexander Malofeev © Pierre Morales

Généreux, Alexander Malofeev offrait trois rappels, la transcription par Kemff du Menuet en sol mineur de Haendel, le fabuleux Prélude en do dièse mineur de Rachmaninoff et, prouesse sur le gâteau, le Prélude pour la main gauche de Scriabine. Petit récital soliste d’une éblouissante magie !

Le 31 juillet, parc de Florans, Festival international de Piano de La Roque d’Anthéron

Alexander Malofeev © Pierre Morales

Alexander Malofeev © Pierre Morales

Quand la Roque roque

Quand la Roque roque

On a presque envie de filer la métaphore du jeu d’échecs devant la foisonnante diversité des propositions du Festival international de Piano de La Roque d’Anthéron : il est possible dans la même journée d’écouter un clavecin baroque à l’abbaye de Silvacane et un concert où piano acoustique et électronique fusionnent !

Voyage entre Allemagne et Italie

La musique abolit les frontières, c’est bien connu : le luthérien Jean-Sébastien Bach, même s’il n’a presque jamais quitté la Saxe où il est né, ne se fermait pas au monde et portait son attention sur toutes les créations et innovations musicales de son temps. Il ne pouvait manquer découvrir les délices des productions italiennes, partitions d’Antonio Vivaldi, de Benedetto Marcello ou d’Antonio Valente (quant à lui musicien de la Renaissance).

Le jeune claveciniste Justin Taylor s’est intéressé aux influences de ces œuvres sur celle de Bach dans son dernier CD paru en septembre 2023, Bach et l’Italie. C’est cet opus qui a guidé la composition du programme donné à la croisée des allées du déambulatoire du cloître de Silvacane. Le subtil artiste fit s’entrecroiser des pièces de Scarlatti, dont la Sonate en si mineur K 27, Allegro, « qui (lui) évoque un après-midi chaud de l’été, idéal » dans la torpeur de la journée finissante, de Marcello, de Bach. Pour ce dernier, il s’agissait d’œuvres écrites « d’après » des pièces de ces compositeurs vénitiens : le Concerto BWV 947 (d’après le concerto pour hautbois en ré mineur d’Alessandro Marcello), le Concerto en do majeur BWV 594 (d’après Vivaldi, « Grosso Mogul ») et le Concerto italien en fa majeur BWV 971. Chaque moment était présenté avec humour et finesse, dessinant les goûts du musicien, les raisons de son amour pour telle ou telle partition, rendant proches et familières des constructions complexes : le contrepoint du Cantor de Leipzig habité d’éclats transalpins, polyphonies irisées de la fantaisie lumineuse des ciels d’Italie. 

Justin TAYLOR ©ValentineCHAUVIN 2024

Justin TAYLOR ©ValentineCHAUVIN 2024

La virtuosité des transcriptions, le jeu à la fois aérien et précis de l’instrumentiste, ajoutent à la joie des pièces interprétées.

Certes, « rien n’est jamais simple chez Bach » comme le souligne en souriant Justin Taylor, qui nous guide dans les méandres des transcriptions et arrangements des œuvres jusqu’à « l’apothéose du programme, le ‘assez dingue’ Concerto italien en fa majeur BWV 971».

Entre-temps on aura fait un détour par la Renaissance et les danses enlevées d’Antonio Valente qui ne sont pas sans rappeler les « bals trads » d’aujourd’hui !

Un souffle quasi-rock souffle sur les compostions baroques, dans les rythmes très marqués, certaines progressions harmoniques, l’emploi des motifs mélodiques, dans des combinaisons et variations inventives.

Au public enthousiaste seront accordés quelques bis, La Marche des Scythes et Tambourins de Royer et, incontournables, Les Sauvages de Rameau.

Justin TAYLOR ©ValentineCHAUVIN 2024

Justin TAYLOR ©ValentineCHAUVIN 2024

Du baroque à l’électro !

N’hésitant devant aucun pari, si fou soit-il, le festival invitait de nouveau, après leur succès de l’an passé le duo germano-suisse Grandbrothers.

Le pianiste Erol Sarp et l’ingénieur-concepteur de logiciels Lukas Vogel ont fait entrer une manifestation réputée pour être dédiée aux musiques dites « savantes » dans l’univers des musiques actuelles, drainant un autre public, plus jeune, plus festif. Si les afficionados de Rachmaninov ou Mendelssohn étaient moins nombreux ce soir-là, un grand nombre était cependant venu découvrir ou réécouter ce qui les avait, parfois à leur grande surprise, séduit en 2023. Il est vrai que la fumée envahissant la scène, les lumières habitant la conque, la nimbant de bleus, d’ocres, réorganisant sa géométrie par de longs faisceaux balayant l’espace, ne font pas partie de la scénographie habituelle des lieux ! Foin du chant des cigales ! La masse des sons l’occulta aisément.

GRANDBROTHERS ©ValentineCHAUVIN2024

GRANDBROTHERS ©ValentineCHAUVIN2024

Le timbre du groupe résulte de la conjonction entre un piano à queue classique et un appareillage électromagnétique de marteaux, de bobines d’induction qui produisent un champ magnétique qui fait vibrer les cordes.  Tout sort du piano, mais retravaillé, remodelé, passé en boucles. Le son devient indépendant de l’instrument qui le crée, jouant du paradoxe entre l’organique et l’analogique avec une précision d’orfèvre. Parfois les inflexions naturelles du piano viennent se glisser dans les amples vagues électro, reprennent une rythmique, une mélodie. Les influences de Steve Reich ou Alvin Lucier se dessinent, un écho de Philip Glass ici, un élan lyrique de Joe Hisaichi (le compositeur principal des films de Miyazaki), un instant percussif repris par les lasers, des ondes sonores sur lesquelles se posent des loops oniriques…

Les deux complices effectuent un ballet mystérieux entre le clavier du piano et la table de mixage. Le résultat est prenant : Late Reflections, titre du concert, a été enregistré en la cathédrale de Cologne et ses résonances en semblent issues. Danse avec les éléments, les vertiges, les rêves d’infini, la musique, ciselée à l’extrême, foisonne de détails, de fulgurances, qui ne sont pas sans rappeler l’esthétique baroque qui haïssait le vide et s’attachait à remplir le moindre espace de sculptures, d’ornementations, toutes porteuses de sens.

GRANDBROTHERS ©ValentineCHAUVIN 2024

GRANDBROTHERS ©ValentineCHAUVIN2024

Le public se lève, bat des mains, chaloupe entre les sièges… la musique est une fête que prolongent des rappels ovationnés.

Concerts donnés le 30 juillet : Justin Taylor à l’Abbaye de Silvacane et Grandbrothers au Parc de Florans. La Roque d’Anthéron

L’esprit du piano

L’esprit du piano

Cinq heures de train entre deux festivals, épuisant ? Il n’est pas que les athlètes olympiques qui soient faits d’airain ! À la demande de René Martin, directeur artistique du festival de La Roque, Lucas Debargue est venu sous la conque pour pallier l’absence bien involontaire d’Arcadi Volodos que des raisons de santé éloignaient de la scène. 

Et quel programme ! Le pianiste offrait le premier temps des deux parties du concert à Gabriel Fauré auquel il a consacré cette année un coffret de quatre disques pour l’intégrale de son œuvre pour piano seul (chez Sony Classical). Il est à noter que l’originalité de la démarche tient non seulement à nous faire (re)découvrir des pièces peu jouées, tels les Neuf Préludes opus 103 qui ouvriront la soirée de La Roque, mais aussi au choix de l’instrument, le déjà mythique Opus 102 de Stephen Paulello (opus 102 car 102 touches au lieu des 88 conventionnelles), instrument unique à ce jour, transcription dans la matière d’un idéal. Lucas Debargue le présente ainsi : « L’idéal que Stephen a poursuivi en l’inventant est celui d’un créateur, qui s’est montré au moins aussi artiste qu’artisan dans l’élaboration de son œuvre ».

Opus 102 de Paulello © Musik<br />

Opus 102 de Paulello © Musik

C’est sur un très beau Steinway de concert que l’artiste a joué devant l’auditoire du parc de Florans, accordant la virtuosité souple de ses interprétations à des pièces assemblées en parallèle selon le même triptyque, Fauré, Beethoven, Chopin, au cours des deux parties de la représentation. Si on lui demandait la raison de cet alliage à première vue hétéroclite, le musicien répondait : « pour moi, il n’y a pas des musiques, mais La Musique, et elle englobe tout dans son flux, peu importe l’époque, le style, il y a des vibrations souterraines, des ondes qui irriguent, permettent des résonnances, des rapprochements, des regards, des couleurs qui se répondent. Ici, le neuvième Prélude de Fauré est en mi mineur, lui succède, dans la même tonalité, la Sonate n° 27 en mi mineur de Beethoven, puis, avec un glissement, le Scherzo n° 4 en mi majeur de Chopin. Confronter ces trois musiciens est d’une folle richesse. »

Une lecture contemporaine

On était subjugués par la lecture que le pianiste donnait des peu connus Neuf Préludes opus 103 de Fauré. L’émotion n’est pas cherchée pour elle-même. Sont creusés les liens qui structurent les pièces, leurs échos, leurs séquences, leur ossature. On part du dessin intérieur, de la pulsation première pour atteindre la complexité de chaque médaillon. Le jeu, très engagé, donne un tour quasi hypnotique à la Sonate 27 de Beethoven, tandis que le Scherzo n° 4 de Chopin s’irise en une époustouflante pyrotechnie.
Le temps d’un entracte, s’ajoute à la virtuosité du pianiste ce petit quelque chose qui parle au public et lui rend les œuvres plus proches, comme si une véritable communion s’instaurait entre l’artiste et son public.

Lucas Debargue © Festival de La Roque d'Anthéron

Lucas Debargue © Pierre Morales

 

Après l’exubérance passionnée du Scherzo de Chopin, la simplicité des attaques franches de Thèmes et variations opus 73 de Fauré laisse sourdre une poésie dense. Les onze variations qui suivent le thème initial passent par tous les mouvements de l’âme, se plaisent au contrepoint, reviennent à de sobres unissons, s’embrasent, s’assombrissent, dialoguent, se déploient avec délicatesse.

Un zeste du romantisme finissant, une inspiration personnelle qui fait le pont avec le siècle qui s’annonce, Lucas Debargue nous montre à quel point Fauré est un compositeur inépuisable et fascinant. Sa reprise très intériorisée de la célébrissime Sonate 14 en ut dièse mineur, Clair de lune, de Beethoven semble redessiner les paysages de Watteau en leur accordant une nouvelle profondeur. Enfin la Ballade n° 3 en la bémol majeur de Chopin, toute de tension avec ses chromatismes et ses octaves rompus, offre la lecture d’une pensée en proie aux émotions les plus variées. Le songe s’anime, s’emporte, reste en suspens, esquisse quelques pas de danse… On se laisse guider dans cet espace onirique qui s’ouvre à nous.

Lucas Debargue © Festival de La Roque d'Anthéron

Lucas Debargue © Pierre Morales

Comment quitter ce temps suspendu ? Généreusement Lucas Debargue offrira deux bis. Le premier renouant avec Fauré, une transcription du pianiste de Après un rêve, puis une sublime Paraphrase du Cantique de Jean Racine.

Récital donné le 27 juillet au Parc du Château de Florans, La Roque d’Anthéron