La musique, ciment des peuples

La musique, ciment des peuples

Alors que le monde s’affole et que les égos se déchaînent en escalades mortifères, le Grand Théâtre de Provence invite des œuvres de compositeurs dont les pays n’entretiennent pas toujours des relations pacifiques. Et pourtant, de pures merveilles se répondent !
L’Orchestre national Avignon-Provence dirigé par la géniale Débora Waldman abordait en première partie de son concert baptisé Rapprochement des peuples, l’Adagio pour orchestre de Fasil Say et le Concerto pour violoncelle de Khatchatourian.
Comment ne pas être séduit par l’écriture fluide de Fasil Say ! Son Adagio Opus 86 pour orchestre est une commande de la Württembergische Philharmonie Reutlingen pour commémorer le 75ème anniversaire de l’orchestre et la fin de la Seconde Guerre mondiale. Conçue tel un requiem dédié au plus de soixante millions de personnes mortes durant la période de 1939-1945, l’œuvre offre sa puissante orchestration à l’expression de la douleur, de la mélancolie et de l’atterrement face aux destructions.
Écrite en mars 2020, aux débuts de la pandémie, elle transcrit aussi les angoisses contemporaines et se voit plus que jamais d’actualité aujourd’hui. La direction impeccablement précise et intelligente de Débora Waldman savait apporter à cette courte pièce des couleurs sensibles.

 Le compositeur Fasil Say inscrit souvent son travail dans une perspective de liberté des êtres, pour exemple, outre le sublime Adagio Opus 86, il a aussi composé en 2003 Requiem pour Metin Altiok, peintre et poète engagé (ses onze recueils de poésie sont réunis dans Locataire d’une souffrance), mort dans l’incendie d’un hôtel, provoqué par des intégristes islamistes. Trente-six autres personnes furent aussi victimes de cet attentat. Elles étaient venues participer au festival Pir Sultan Abdal (en mémoire du poète turc alévi du XVIème siècle, arrêté et exécuté par les autorités ottomanes de l’époque).  


Debora Waldman  © Edouard Brane

Debora Waldman © Edouard Brane

Une autre face des Balkans était explorée grâce au Concerto pour violoncelle de Khatchatourian, nourri des rythmes des chants et des danses paysannes de son Arménie natale, à l’ombre des reliefs du Caucase. On a du mal à songer que l’œuvre valut tant d’ennui à son compositeur, taxé à son propos par les maîtres à penser du « réalisme soviétique » (en particulier par le terrible Jdanov, collaborateur de Staline) de « formaliste », insulte suprême lorsque l’on considère que cette théorie esthétique pose que la musique ne plaît par rien d’autre que par elle-même, ne se souciant ni du contenu ni des émotions qu’elle pourrait exprimer. En cela, l’art deviendrait incompréhensible au peuple, accessible seulement à une petite élite et par là-même hautement condamnable. Est-ce parce que ce concerto foisonne de prouesses techniques et réclame de ses interprètes une impeccable virtuosité ?

L’Orchestre national Avignon-Provence relevait le défi avec panache sous la direction dansée de Débora Waldman. Dès les premières mesures et le grondement des timbales, le public est saisi. La variété des couleurs, les contrastes puissants, les amples respirations des cordes, les interventions des vents, le violoncelle enfin particulièrement inspiré d’Astrig Siranossian, servaient la partition avec une grâce particulière. La cadence si périlleuse du premier mouvement captiva l’auditoire par son intensité. La pièce est tenue de bout en bout par une tension dramatique qui tient l’auditeur en haleine.

Astrig Siranossian © Les Théâtres

Astrig Siranossian © Les Théâtres

La jeune violoncelliste offrait en rappel un air traditionnel d’Arménie. Pureté du chant, souplesse du jeu, nuancé, subtil, velouté, se conjuguaient dans une évocation poétique des montagnes. Les frontières entre musique savante et populaires s’effacent, il n’est plus question que d’émotion et de partage de la beauté.  
après le dialogue pacifique entre Turquie et Arménie, la seconde partie du concert était consacrée à la première symphonie de Brahms, lui qui se refusait à en écrire une après les géants qui l’avaient précédé dans cette forme musicale ! L’orchestre, renforcé cette soirée, par les jeunes artistes de l’IESM d’Aix-en-Provence, maîtrisait avec bonheur les élans de celle que certains surnommèrent « la dixième symphonie de Beethoven », tant elle rappelle à bien des égard l’œuvre du maître, on y entend la tonalité de la Cinquième, et surtout, dans le thème du finale, l’Ode à la joie de la Neuvième Symphonie. (« c’est si évident qu’un âne s’en apercevrait » ! s’exclamait à son propos le compositeur). Cependant, tout Brahms est déjà là, dans son ampleur, la finesse de ses variations, de l’agencement des lignes orchestrales, les tutti éclatants, les fléchissements alanguis. Après cette partition monumentale, comment offrir un bis qui ne soit pas encore de son auteur ! « Après du Brahms, que jouer sinon du Brahms ! » sourit Débora Waldman. Instants éblouis !

Le concert Rapprochement des Peuples a été joué au Grand Théâtre de Provence le 29 novembre 2025

Inventions poétiques

Inventions poétiques

Le dernier projet du pianiste Jean-Marie Machado, traduit sous la forme d’un album titré Como as Flores, donnait lieu à un concert au théâtre de Fontblanche à Vitrolles, à l’invitation de l’association Charlie Free.
Autour du poète du piano, le percussionniste Zé Luis Nascimento et le contrebassiste Claude Tchamitchian apportaient la finesse et l’inventivité de leur jeu. Puissance, élégance, onirisme, liberté, les termes ne manquent pas pour qualifier les trois musiciens dont le dialogue déploie sa grâce tout au long du concert.
Les morceaux ne suivent pas l’ordre de l’album, mais s’organisent selon l’inspiration du moment. Pendant que Zé Luis Nascimento noue une ceinture de clochettes autour de sa cuisse, Jean-Marie Machado essuie ses lunettes : « je profite de ce temps pour nettoyer mes lunettes, même si elles ne me serviront pas puisque que je joue sans partition ! » ironise-t-il. 

Les premières notes du piano nous font entrer dans le recueil poétique des pièces de Como as Flores, où percussions et contrebasse rejoignent les rêveries pianistiques avec un égal bonheur. Tout commence par un hommage au fado, De memorias e de saudade, ondes nostalgiques qui s’emballent dans les rythmes de la Valsa ouriço avant de se lancer dans une « suite-impro » Our tears never cried, inspirée par Christian Bobin, qui écrivait dans Le Murmure : « Peut-être que quand on pleure et qu’on sait pourquoi, ce ne sont pas encore des larmes. Les vraies larmes sont sans raison. Inconnues. » Les poètes sont des compagnons de route, leurs mots nourrissent les compositions. On ne peut s’empêcher de penser aux Cantos Brujos que Jean-Marie Machado composa pour la danseuse Ana Pérez, en écho à L’Amour sorcier de Manuel de Falla sur le livret de Gregorio Martínez Sierra lorsqu’il nous présente son Romantic spell, « très efficace en slow pour conquérir l’être aimé » (dixit !) … 

Machado Novo Trio © Cecil Mathieu

Machado Novo Trio © Cecil Mathieu

L’ombre de Fernando Pessoa plane sur Transvida, un concertino pour batterie, piano et contrebasse. Cette dernière explore avec virtuosité toutes les possibilités de ses cordes, allant sur le fil, puis revenant à un son large et velouté. Les êtres aussi inspirent : Piuma est dédié à Carmen de Haro, l’âme de La Buissonne, et Romantic Spell à « la » Catherine de Jean-Marie Machado…Pas de concert de jazz sans un clin d’œil aux géants, Nardis, « un standard connu de tous et de toutes » convoque la silhouette du compositeur et trompettiste Miles Davis (la contrebasse prend alors d’incroyables sonorités d’instrument à vent). On est séduit par Perdido en clareza ou Le voleur de fleurs où la batterie porte la « mélodie » sur les ostinatos du piano et de la contrebasse. C’est là aussi que réside la profonde originalité de ce trio : s’il semble « classique » par l’assemblage de ses instruments, leur fonction ne suit pas les « normes » : chacun endosse la voix première ou les ornementations, les contrepoints, les battements rythmiques. Une réelle liberté les unit. Les solos de bravoure ne sont pas là juste pour montrer l’habileté de chaque musicien, mais servent avec intelligence le propos de chaque page du concert.
En bis L’endormi, tout de délicatesse, est présenté avec humour, mais un ultime morceau sera proposé « en création mondiale de tout l’univers », un « poème éternel ». Rêves de sables en nappes sonores sur lesquelles les lignes mélodiques s’irisent, élans exacerbés, houles étonnées, le poème symphonique se déploie, lyrique, bouleversant de beauté.   

Concert donné le 28 novembre 2025 au théâtre de Fontblanche, Vitrolles.

Album Como as Flores, Jean-Marie Machado (piano, compositions), Claude Tchamitchian (contrebasse), Zé Luis Nascimento (drums, percussions), Label La Buissonne

Machado Novo Trio à Vitrolles novembre 2025 © M.C.

Machado Novo Trio à Vitrolles novembre 2025 © M.C.

Pour l’amour de la vérité

Pour l’amour de la vérité

Georges Lavaudant met en scène Le Misanthrope de Molière avec une fine intelligence.
Le choix des comédiens est tout simplement idéal, Eric Elmosnino campe un Alceste tiraillé entre son amour pour la coquette Célimène, magnifique Mélodie Richard, et celui de la vérité, Philinte, François Marthouret, tente de ramener son ami vers une voie « moyenne », aimer la vérité certes, mais aussi se plier aux politesses du monde sans en être dupe, soutenu en cela par la lumineuse Éliante (Anysia Mabe). Astrid Bas brille dans le difficile rôle d’Arsinoé qui pourrait être un écho dans le temps de ce que serait Célimène plus âgée… On rit aux répliques et aux tenues d’Oronte (Aurélien Recoing), ampoulé à souhait et des « petits marquis », Clitandre (Luc-Antoine Diquéro) et Acaste (Mathurin Voltz) qui ramènent avec un talent fou la pièce dans le registre de la comédie avec les valets de Célimène et d’Alceste, Basque (Bernard Vergne) et Du Bois (Thomas Trigeaud).   

« Je veux qu’on soit sincère, et qu’en homme d’honneur, /On ne lâche aucun mot qui ne parte du cœur. » déclare, péremptoire, Alceste à Philinte au cours de la première scène de l’Acte I. Qui est plus éloigné de lui que celle qu’il aime !
Célimène cultive le plaisir des mots, sacrifiant tout à un trait d’esprit, une image, une saillie. Peu importe celui ou celle qui est écorché au passage, la société est un vaste jeu dans lequel elle se meut avec élégance, ne s’appesantissant jamais, papillonnant toujours. Pourquoi choisir alors que tous les possibles s’offrent à elle ? La vérité est bien trop austère à ses yeux et elle lui préfère les jeux de miroir, les tenues qui sont autant de déguisements, les parures qui permettent la théâtralisation de soi. Célimène est théâtre. 


Le Misanthrope / Georges Lavaudant © Ephrem Koering

Le Misanthrope / Georges Lavaudant © Ephrem Koering

Le décor, génialement conçu, offre un mur de scène pivotant sur deux longues faces, l’une est composée de vingt-sept miroirs plus ou moins dépolis, l’autre présente un long portant sur lequel toutes les robes de la jeune femme se pressent, colorées, vaporeuses dans leur profusion de tissus et de dentelles.


Autres dentelles, celles des alexandrins, superbement portés par la troupe, dans leur rythme si proche de celui de la respiration, leurs délicates diérèses, leurs coupes, leurs échos internes. « On pourrait dire qu’Alceste et Célimène croisent les vers comme on croise le fer », écrit Georges Lavaudant dans sa note d’intention qui souligne à quel point c’est autour du soleil de Célimène que tout s’orchestre et non de celui d’Alceste, sombre et emporté dans la galaxie des satellites de la belle qui se sert des mots avec la virtuosité d’un prestidigitateur. Au cœur des multiples facettes du langage, les liens se diffractent, les destinées se tissent, monde subtil des apparences où le moindre reflet devient signifiant. La pièce devient une danse, un oratorio qui s’achève sur une pirouette. 

Le Misanthrope / Georges Lavaudant © Marie Clauzade

Le Misanthrope / Georges Lavaudant © Marie Clauzade

Les derniers mots de Célimène semblent préfigurer la réponse (popularisée par la chanson de Brassens) que Tristan Bernard fit aux « Stances à la Marquise » de Pierre Corneille. (À « Souvenez-vous qu’à mon âge / Vous ne vaudrez guère mieux », la jeune femme rétorque : « J’ai vingt-six ans, mon vieux Corneille, / Et je t’emmerde en attendant ! »). 
Le tout est mené avec un rythme sans failles, osant les flashes d’appareils photos en arrêt sur image. Un théâtre enlevé, vivant, spirituel, profond et ironiquement léger, une version de maître !

Le Misanthrope a été joué du mardi 18 au samedi 29 novembre 2025 au Jeu de Paume, Aix-en-Provence.

Le Misanthrope / Georges Lavaudant © Ephrem Koering

Le Misanthrope / Georges Lavaudant © Ephrem Koering

Voyage napolitain

Voyage napolitain

Emmanuelle Haïm et son Concert d’Astrée sont des familiers des Théâtres. En cette fin d’automne, ces passionnés de la période baroque proposent un parcours dans les partitions de l’École Napolitaine avec, en point d’orgue, le sublime et célèbre Stabat Mater de Pergolèse.
En musique, on nomme l’École napolitaine les compositeurs qui à partir de 1650 environ développèrent l’opéra. À cette époque, Naples était une ville florissante, capitale en son royaume et troisième ville d’Europe après Londres et Paris. On se presse dans ses conservatoires et on se dispute les places au Teatro du San Carlo, la plus grande scène du monde… 


Le concert donné au Grand Théâtre de Provence offrait en première partie des partitions de Francesco Durante, Domenico Scarlatti et Leonardo Leo. 
Durante fut, cas exceptionnel dans l’histoire de la musique napolitaine, maestro di cappella dans deux conservatoires de Naples. S’il n’écrivit aucun opéra, il composa beaucoup pour ses élèves mais aussi de nombreuses œuvres instrumentales et de la musique sacrée. L’élégance de son style était superbement servie par le Concert d’Astrée dans son Concerto pour cordes n° 5 en la majeur. La légèreté des premières mesures se ploie dans les voix d’un style contrapuntique presque académique, puis se dégage une certaine solennité qui ne se leurre pas de ses propres révérences. Enfin, comme une réponse quasi dialectique aux deux premiers mouvements, l’Allegro rappelle une certaine gravité que soulignent les arpèges descendants, mais les conjure par une vivacité aux accents juvéniles.


Emmanuelle Haïm © Caroline Doutre

Emmanuelle Haïm © Caroline Doutre

Après cette entrée en matière orchestrale qui permettait de découvrir la palette colorée et subtile de l’ensemble, deux Salve Regina introduisaient les chanteurs qui seraient réunis pour le duetto du Stabat Mater de Pergolèse : Sur le Salve Regina pour alto et cordes en la majeur de Scarlatti, le contre-ténor Carlo Vistoli à l’irréprochable diction faisait entendre une voix nuancée et souple, ciselant les phrasés et laissant percevoir les intentions de l’auteur avec une grande finesse (finesse qui aurait mérité sans doute une acoustique plus intimiste que celle de la grande salle du GTP). Avec le Salve Regina pour soprano et cordes en fa majeur de Leonardo Leo (un concurrent de Francesco Durante), la soprano Emöke Baráth, lumineuse, abordait avec un timbre presque verdien la partition baroque, lui offrant une voix large et veloutée au vibrato d’opéra. 


La seconde partie du programme était la plus émouvante. Après la poignante Symphonie funèbre que le violoniste Pietro Locatelli écrivit à l’occasion du décès de son épouse, le Stabat Mater de Pergolèse poursuivait la thématique dessinée autour de l’image de la Vierge en la représentant, douloureuse, au pied de la Croix. Œuvre du compositeur rongé par la tuberculose et se sachant condamné, le Stabat Mater de Pergolèse résonne comme un chant du cygne. Les premiers mots du Stabat mater dolorosa, « la Mère se tenait là, souffrant la douleur », a des allures prémonitoires : Pergolèse mourra quelques semaines plus tard, à vingt-six ans. La tension douloureuse de cette pièce composée dans le couvent de Pouzzoles où vivait alors le compositeur, offre une partition somptueuse aux cordes et aux deux chanteurs qui duettisent ou déploient des soli envoûtants. 

Emmanuelle Haïm et le Concert d'Astrée © Caroline Doutre

Emmanuelle Haïm et le Concert d’Astrée © Caroline Doutre

Depuis son orgue, Emmanuelle Haïm dirige avec précision et intelligence l’ensemble. Légèreté, souplesse, grâce, expressivité, tout concourt à un temps suspendu où les voix enrobent de leur orbe délicate un propos où l’émotion certes tangible ne s’abaisse jamais à la surenchère. Les voix des deux chanteurs se mêlent avec subtilité en une complémentarité spirituelle et sensuelle. 
L’enchantement se poursuivra avec deux bis dédiés à Haendel, sa Résurrection, composée en Italie et Esther, en Angleterre. Les musiques et les musiciens voyagent et leurs auditeurs les suivent…

 

Concert donné le 21 novembre 2025 au Grand Théâtre de Provence à Aix-en-Provence

Seize ânes pour Cézanne

Seize ânes pour Cézanne

L’année Cézanne à Aix-en-Provence a suscité nombre de manifestations, art vivant, expositions, conférences… Dominique Bluzet, directeur des Théâtres, ne pouvait résister à exercer son humour potache et convoquer des jeux de mots dont il est friand. Jouer avec le nom de Cézanne ouvrait une perspective asinienne aussi loufoque que jubilatoire : seize ânes !

Ainsi naissaient des balades littéraires et musicales (16 ânes, Oui, Cézanne !) concoctées par le compositeur Marc-Olivier Dupin et scénarisées par l’auteur Ivan Grinberg, au cours desquelles les enfants se promenaient à dos d’âne sur les flancs de la Sainte-Victoire à partir du Tholonet. Les récits menés au rythme des pas des ânes se prolongeaient au Conservatoire Darius Milhaud en novembre avec le conte musical Seize ânes et le voleur, grâce à la commande passée auprès du compositeur et de l’auteur par le Grand Théâtre de Provence dans le cadre de l’année Cézanne 2025, dédiée à l’œuvre et l’héritage de Paul Cézanne à Aix-en-Provence. Des liens se tissent entre les deux évènements, ainsi, l’ânesse du conte porte le nom d’une de celles qui prêtèrent leur dos aux enfants en septembre : Lili.

Seize ânes et le voleur / GTP © X_D.R

Sur scène, la Compagnie Tsipka, composée des musiciens Hélène Giraud (flûtes), Pascal Clarhaut (cornet), Anthony Millet (accordéon), Gabriel Benlolo (percussions), Afaf Robillard (contrebasse) tient en quintette une véritable partition d’orchestre qui dessine les paysages, fait chanter les oiseaux et tympaniser les cigales, s’amuse à reprendre l’air du Duo de l’âne de Messager (dans son opérette Véronique) ou, afin de souligner un élément dramatique, s’emporte en un Dies Irae convaincu, accordant sa palette colorée aux toiles projetées en fond de scène sur un grand écran. Posées en regard de la narration, elles campent les silhouettes des grands pins autour de Bibemus, le sentier qui mène au barrage Zola, le cabanon de Cézanne, sa bonne, sous les traits de La Femme à la cafetière, dont l’air sévère convient au rôle qui lui est attribué, le marchand d’art, sous les traits de L’homme aux bras croisés, la jeune fille, sous ceux de la gravure Portrait de jeune fille, Cézanne lui-même par divers autoportraits, enfin, le clou de la représentation, Les Voleurs et l’âne. Marion Tassou, récitante et chanteuse, donne vie aux protagonistes de l’histoire, le gros marchand qui ahane sur le sentier qui mène à l’atelier du peintre, l’employée de ce dernier qui en garde scrupuleusement l’entrée, la jeune fille qui promène son ânesse, Cézanne enfin, sa bonhommie souriante et son goût pour le canard aux olives. 

 Le sujet est construit sur l’enchâssement entre le rêve, la réalité fictionnelle et les tableaux du peintre (la plupart exposés au Musée Granet lors de son exposition « Cézanne au Jas de Bouffan ») : un gros marchand ahane sur le sentier pentu qui mène à l’atelier du peintre. Ce dernier est absent et la porte de son cabanon est bien gardé par sa bonne. Fatigué et agacé plus que de raison par l’absence du peintre, le marchand s’endort contre un grand pin. À une jeune fille qui passe il demande d’aller chercher le peintre. Elle ne comprend pas Cézanne mais seize ânes et lui ramène le troupeau. Furieux devant tant de bêtise, le marchand entre dans le cabanon, vole une toile parmi celles qui gisent au sol, toutes froissées. Il déballe l’objet de son larcin dans sa chambre d’hôtel. Il s’agit de la peinture Les voleurs et l’âne. La nuit du voleur s’avère cauchemardesque… lorsqu’il se réveille, il est sous le pin face au cabanon de Cézanne qui le réveille gentiment. « Il ne faut pas s’endormir au soleil ! ». 

Les Voleurs et l’âne, Paul Cézanne © X-D.R. image tombée dans le domaine public

La visite de l’atelier peut enfin avoir lieu, nourrie de descriptions gourmandes des tableaux, du traitement de la lumière, des masses, des volumes, des épaisseurs des traits, des couleurs dont les rapprochements chantent, veloutés. Se dévoilent alors les fameux Joueurs de cartes, les dessins, les pommes qui occupèrent une si grande place dans l’œuvre de Cézanne au point qu’il fut surnommé « le peintre des pommes ». Selon lui « La pomme peut tout remplacer, et tout peut être remplacé par une pomme. », il avouait même « avec une pomme, je veux étonner Paris ». Et bien sûr, le tableau Les Voleurs et l’âne occupe une place centrale !
En quarante minutes, tout se déploie avec allant, humour, espièglerie. La saveur des mots se mêle à celle de la partition. Les enfants du public sont captivés et les plus grands se délectent de ce petit bijou.

Seize ânes et le voleur a été joué au Conservatoire Darius Milhaud, Aix-en-Provence le 21 novembre 2025

Les photographies sont © Grand Théâtre de Provence

Seize ânes et le voleur © Grand Théâtre