Le festival Les Concerts en Voûtes a la particularité d’accueillir ses concerts dans un lieu aussi original qu’aux vertus sonores intéressantes, surnommé « la cathédrale souterraine ». De cathédrale il n’y a pas, mais la structure d’une immense citerne scandée par ses vingt colonnes.
Construite à Saint-Martin-de-Pallières entre 1747 et 1750 et d’une surface au sol de 500m2, elle était destinée à alimenter des jardins en cascade, mais le projet n’a jamais pu être réalisé, et l’eau contenue dans ce vaste bâtiment a servi à abreuver les chevaux de l’écurie voisine…
Les lieux sont inscrits aux Monuments Historiques depuis 2003 et les propriétaires, Diane et Michel de Boisgelin ont entrepris en février 2017 des travaux d’une grande ampleur et réussi à ouvrir la « cathédrale » au public en mai de la même année.
Lors d’une visite, un visiteur demande s’il peut tester l’acoustique du lieu en chantant. C’est un émerveillement !
Depuis 2018, Les Concerts en Voûtes proposent une série de concerts classiques compatibles avec les résonances de l’ancienne citerne.
Un concert à deux pour trois voix !
Le 20 août dernier, étaient à l’affiche Céline Frisch (co-fondatrice de Café Zimmermann) et Juan Manuel Quintana, dans un programme qui convoquait les Sonates pour viole de gambe et clavecin de Jean-Sébastien Bach. Bien sûr, ce répertoire a déjà été joué sur disque par les deux complices (chez Harmonia Mundi), mais l’entendre interprété sur la petite scène ornée de bougies, sous un lustre d’un autre temps au cœur de la forêt de colonnes de la cathédrale souterraine, tient de la magie pure.
Le dialogue des musiciens est d’un subtil équilibre, l’un jamais ne venant couvrir l’autre. La délicatesse du jeu de la claveciniste tisse une dentelle subtile aux mille nuances.
Les accords sont pailletés, les mélodies ourlées de songes, méditatives ou joyeuses, apportant un caractère intime jusque dans les pages les plus festives.
Il y a toujours une part de profondeur même dans les élans de joie. On se plaît aux contrastes des divers mouvements, à la vivacité d’une lecture intelligente qui maintient une tension fine de bout en bout des œuvres et leur donne un sens.
On est séduit par la première sonate qui fut conçue à l’origine pour deux flûtes et continuo (la fameuse « basse continue » de la musique baroque), si bien que la viole et la main droite du clavecin se partagent les mélodies tandis que la main gauche conserve la partie de basse.
La sensation d’une conversation animée est rendue sensible grâce à une variété de climats, de hauteurs, d’allures qui accordent à la pièce une élégance et un naturel lumineux. Cette clarté était développée dans la deuxième sonate puis la somptueuse n°3 qui apparaît presque concertante, tant l’équilibre polyphonique est éblouissant. La virtuosité des musiciens se coule avec finesse dans ces pièces qui constituent un véritable Everest pour les gambistes.
Six cordes d’époque et un clavecin d’aujourd’hui
Longtemps on a pensé pouvoir rattacher la conception de ces œuvres à la période de Coethen car Bach y connaissait deux merveilleux gambistes, son ami Adel et le prince Leopold himself. Mais la datation n’est pas primordiale pour apprécier ces pièces au phrasé fluide et souple ! Se rencontraient aussi sur la scène de la Cathédrale souterraine deux instruments aux parcours différents.
La viole de gambe, « d’époque », avec ses cordes en boyaux poussait Juan Manuel Quintana à se réaccorder plus souvent que d’ordinaire en raison de l’humidité des lieux (L’orage de la veille avait menacé la tenue du concert…), en effet, la matière vivante des six cordes de la viole souffre des moindres variations de température ou d’hygrométrie.
La tessiture de l’instrument est cependant d’une ampleur rare, et les partitions abordées offraient des moments de sublime virtuosité à l’instrumentiste.
Le clavecin, fabriqué par Andrea Restelli (facteur de la région de Milan), était très attendu par Céline Frisch : pas moins de quatre années entre la commande et la réception de cette petite merveille inspirée d’un modèle de Christian Vater de 1738 conservé au Germanisches National Museum Nurnberg.
La beauté des formes moulées dans le bois clair du noyer, la marqueterie entourant le clavier, les petits anges agrémentant chaque bout de touche (« ça le public ne peut pas le voir ! » sourit-elle). La sonorité chaude de l’instrument, sa puissance, son rendu sont magnifiés par le jeu tout en finesse de Céline Frisch.
En bis, les deux musiciens ovationnés par une salle comble et comblée offraient malicieusement une transcription pour leurs instruments du célèbre Jesus bleibet meine Freude, (Que ma joie demeure). Cette joie était prolongée par le convivial buffet donné au public sur la restanque en contre-bas de la cathédrale. Délices de l’été !
Concert donné le 20 août 2025 à la Cathédrale Souterraine dans le cadre du festival Les Concerts en Voûtes
Les photos de l’article sont signées Lucie Donetta (Café Zimmermann)
Christian Vater (11 octobre 1679 / 25 janvier 1756) était facteur d’orgue, de clavicorde et de clavecin. Un seul clavecin lui a survécu, une pièce de 1738 dont la beauté (avec son piètement torsadé), la belle qualité sonore et l’état de conservation en font encore aujourd’hui un modèle pour les copies.
Cathédrale souterraine © Mariel Colombani