Révélée au public aixois lors de l’édition 2023 du festival Nouveaux Horizons par sa pièce, Si je te quitte, nous nous souviendrons, Camille Pépin revenait au Grand Théâtre de Provence avec La Nuit n’est jamais complète, co-commande du GTP (commanditaire principal) et de l’OPRL (Orchestre Philharmonique Royal de Liège), création-évènement en première mondiale qui permettait à Dominique Bluzet, directeur des Théâtres, de rappeler qu’en quatre années de festival, trente-six commandes avaient été passées à trente-six artistes contemporains !

Sur les traces de Paul Éluard 

Lors de l’avant-concert animé par Joël Nico, la jeune compositrice livrait quelques explications sur sa création, conçue pour précéder son concerto pour violon Le sommeil a pris ton empreinte, créé en 2023 avec Renaud Capuçon. Les poèmes de Paul Éluard suivent les créations de l’artiste, (les trois œuvres citées sont toutes composées à partir d’un texte du poète de Liberté). Sans doute, l’apparente simplicité qui se conjugue avec une profondeur humaniste et sensible des poèmes d’Éluard correspond particulièrement à la facture des œuvres de Camille Pépin : il y a une sorte d’évidence de l’écoute doublée de mystère qui séduit l’auditeur. « Dans cette pièce, explique la compositrice dans sa note d’intention (disponible sur le site des Théâtres), j’ai voulu traduire le désir profond de croire à une lumière dans la nuit. Le défi fut de restituer, par l’écriture, des sonorités denses et évocatrices malgré l’effectif réduit d’un orchestre de chambre. »

Le fait d’avoir déjà travaillé et de connaître l’approche de Renaud Capuçon apportait beaucoup à l’exécution de l’œuvre, souriait Camille Pépin, ainsi, certains effets qu’elle souhaitait au pupitre des cordes et qu’elle ne pouvait montrer techniquement aux instrumentistes étaient décryptés avec aisance par le soliste qui, violon à la main, soulignait tel trait de poignet, telle position des doigts, telle attitude, afin que le son rêvé par la compositrice se voie mis en œuvre. Entre la compositrice et l’interprète, il y a aussi le même attachement à la poésie d’Éluard et une sensibilité commune. 

OPRL/ Camille Pépin / Renaud Capuçon © Claire Gaby

OPRL/ Camille Pépin / Renaud Capuçon © Claire Gaby

« Cette œuvre est dédiée à Renaud Capuçon grâce à qui ce cycle inspiré de la poésie de Paul Éluard a pu naître », affirme Camille Pépin qui révélait aussi l’importance de la danse, premier art auquel elle s’est consacrée, dans son travail de composition : « je suis incapable d’écrire ce que je n’ai pas ressenti corporellement. C’est pour cela que je commence toujours à composer au piano, j’ai besoin du geste pour développer mes idées ». 
L’Orchestre Philharmonique Royal de Liège, dirigé avec précision par Renaud Capuçon, apportait la richesse de ses tessitures à La Nuit n’est jamais complète. Bien sûr, on peut se laisser aller au jeu des devinettes et trouver les influences des classiques des débuts du XXème siècle, de la musique répétitive (Camille Pépin évoque sa découverte de Steve Reich grâce à la chorégraphe Anne Teresa de Keersmaeker dans Fase, Four Movements to the Music of Steve Reich de 1982) …

L’œuvre de Camille Pépin s’inscrit en effet dans cette continuité, mais porte la marque de l’artiste, puissante et colorée, depuis le frémissement initial des cordes semé des fulgurances des vents à l’envoûtement tournoyant dans lequel l’auditeur se love avec délectation. Renaud Capuçon est ici souverain dans sa direction, inspirée et fine. Il le sera encore pour le Siegfried-idyll que Richard Wagner composa pour l’anniversaire de son épouse, Cosima. Il avait disposé le long de l’escalier de leur maison les musiciens de l’orchestre pour accompagner le réveil de son aimée… 

Renaud Capuçon © Claire Gaby

Renaud Capuçon © Claire Gaby

Une rareté était aussi offerte, magistralement jouée, les Quatre interludes symphoniques d’Intermezzo de Richard Strauss. Ces pièces s’intercalaient entre les deux actes de l’opéra qui s’inspirait d’une anecdote vécue par Strauss : il avait reçu par erreur une lettre d’amour d’une inconnue, ce qui créa quelques tensions dans son couple…
La fraîcheur des partitions, leur variété, leur humour, sont retranscrits avec une verve rare par l’orchestre dont les pupitres dansent un univers léger et profond à la fois. Temps suspendu ! Il ne faut pas oublier le seul passage dirigé par Renaud Capuçon de son violon, le Concerto pour violon n° 4 de Mozart : l’élégance sobre des phrasés de cette interprétation conquiert le public. Le programme semble taillé sur mesure pour l’OPRL et son chef !

Concert donné le 23 octobre 2025 au Grand Théâtre de Provence

OPRL / Renaud Capuçon © Claire Gaby

OPRL / Renaud Capuçon © Claire Gaby