Rares sont les artistes lyriques à débuter leur discographie par un détour entremêlant musiques populaires et classiques. Le plus souvent, la notoriété est attendue avant un ouvrage où le musicien « lâche la bride » et, après avoir fait preuve de son talent dans les acrobaties des grands rôles ou des lieder romantiques, se décide à présenter de lui une facette plus intime par le biais d’œuvres qui échappent à la nomenclature « officielle ».
C’est ce qu’entreprend pourtant la jeune mezzo-soprano Anne-Lise Polchlopek dans son premier album dont le titre se réfère à une chanson de Violeta Parra, Gracias a la vida.
Le résultat : une petite merveille ! Et ce, dès la note d’intention qui accompagne le disque.
La chanteuse, en rappelant ses études d’architecte, livre une analyse très fine des divers morceaux interprétés, tissant des correspondances, « des ponts », explique-t-elle, entre les époques, les univers.
Les analogies fleurissent entre « les vers de Ronsard, extraits du second livre des Amours (1556), mis en musique par Pauline Viardot en 1895 » et « ceux de Violeta Parra de 1966 », les berceuses « tanguent », rapprochant dans leurs balancements les pièces de Richard Strauss, Gabriel Fauré et Jacques Brel, les mots d’amour de Cécile Chaminade trouvent des échos avec celles de Mozart et son Cherubino (Le Nozze di Figaro)… les motifs musicaux s’interpellent : piano de Polnareff et « basse d’Alberti mozartienne » tandis que le folklore de la danse se réinvente avec Ravel, Bizet, Méndez, Giménez, et que « l’anti-diva dans Candide de Bernstein (1956) » semble répondre « à la marche de La Diva de l’Empire d’Erik Satie ».
À la manière des réflexions de Goethe, le voyage s’élabore au fil des « affinités électives » dont les vagabondages semblent dictés par un « hasard objectif » qui devine les trames communes sans distinction d’époque ni d’appartenance. Les différences établies entre « savant », « populaire », « classique », « contemporain », ne sont plus que des figures obsolètes d’école. Tout est musique, et l’éclectisme du recueil recouvre un amour absolu et inconditionnel pour l’art.
Il n’est pas de gommage des styles : la mezzo-soprano ne garde pas de placement « lyrique » pour les airs populaires, et reprend sa voix naturelle, subtilement travaillée, ce qui accorde à chaque pièce un naturel qui se coule avec élégance dans toutes les langues, anglais, espagnol, français, allemand, italien et tous les genres. Peu importe l’écriture musicale, chaque fois, tout sonne juste dans les sublimes arrangements inédits pour la guitare de Pierre Laniau et le piano de Federico Tibone. La voix de la chanteuse se déploie avec une conviction percutante, s’emporte avec vivacité, se poétise en finesse, ne s’appesantissant jamais sur un effet, mais les maîtrisant tous, de La tarantula e un bicho mu malo de Giménez, La Chanson des vieux amants de Jacques Brel, Bonjour mon cœur de Pauline Viardot, au I am easily assimilated de la Old Lady de Bernstein, sans compter le merveilleux Gracias a la vida de Violeta Parra… ! Inutile de tout énumérer, il faut juste écouter, revenir, se perdre entre les plages de l’album et en espérer une suite !
Gracias a la vida, Anne-Lise Polchlopek, Fuga Libera, Outhere music.