Avec ses allures d’enfant sage, le jeune pianiste Mao Fujita revient pour la troisième fois à La Roque d’Anthéron et la réenchante
Déjà en 2022 et en 2023, la fluidité narrative, la capacité à apprivoiser les pages les plus revêches et à les transmuter en évidentes paraboles avait séduit le public de La Roque d’Anthéron. Tant pis pour la cérémonie de clôture des Jeux Olympiques ! Les spectateurs étaient là, avides de retrouver ou de découvrir ce déjà grand pianiste.
Avec un programme en mosaïque, le musicien donnait à écouter une palette aux multiples nuances.
Mozart ou un parfum d’enfance
Les deux parties du concert débutaient par Mozart : d’abord la magnifique Sonate n° 13 en si bémol majeur K. 333 permettait d’exposer le déploiement varié des thèmes arrangés comme pour un grand orchestre. À l’évidence joyeuse de l’Allegro succède un Andante cantabile d’une subtile plénitude que l’on ne voudrait pas quitter. Enfin, l’Allegretto grazioso frappe par sa liberté et sa désinvolture. Le compositeur atteint un point d’insouciance qui lui autorise toutes les inventions. La clarté du jeu de l’interprète qui ne frappe jamais mais aborde tout avec une subtilité nuancée, dessine les espaces, met en valeur les contrastes, fait oublier sa virtuosité et ne laisse en empreinte qu’une sensibilité extrême. Derrière la fluidité limpide, la transparence, se glisse la profondeur des émotions.
En début de seconde partie, il reviendra vers Mozart et ses Douze variations en ut majeur sur « Ah vous dirais-je Maman » K.265. La poésie se teinte d’humour, « on n’est pas sérieux quand on a (25) ans ! ». La chanson enfantine se voit augmentée de fantaisie, d’acrobaties techniques, pied de nez à la simplicité du thème… le rire est aussi musique !
Mao Fujita à La Roque d’Anthéron © Valentine Chauvin
Une marqueterie ciselée
Les autres pièces voyagent entre les auteurs aimés. On a l’impression d’être entrés dans une bibliothèque et de feuilleter au hasard des rayons les pages d’ouvrages parfois oubliés.
Ainsi on croise Les Fêtes, extrait de Cerdaña de Déodat de Séverac. Sans doute parce qu’admirateur de Mistral et royaliste, ce compositeur que la postérité a baptisé le « musicien paysan », a été mis de côté. Pourtant, Vladimir Jankélévitch écrivait à son propos « Déodat de Cerdagne prolonge à cet égard l’heureuse humeur de l’impressionnisme». La partition étonne, n’est pas sans évoquer Ravel, passe de factures anciennes à la plus grande modernité avec l’apparition de paysages fulgurants.
Mao Fujita à La Roque d’Anthéron © Valentine Chauvin
La Barcarolle en fa dièse majeur opus 60 de Chopin frissonne dans l’air du soir avec ses suspensions, ses apaisements son lyrisme, ses harmonies d’une infinie tendresse qui semblent approcher les mystères des êtres. La Sonate n° 1 en fa mineur opus 1 de Prokofiev a des accents de Scriabine et de Schumann. Ses ruptures de dynamique, sa pulsion interne, ses articulations, sa puissance semblent domptées par une certaine tendresse qui ironise sur les grands élans.
Les Kreisleriana que Schumann dédia à Clara qui deviendra sa femme, sont traitées sur le même tempo rapide que prend Martha Argerich dans ses enregistrements. Les huit pièces de cet ensemble inspiré de l’un des personnages d’Ernst Theodor Amadeus Hoffmann, mettent en scène Johannès Kreisler, cet archétype du musicien romantique aux errances hallucinées. Naissent à son propos, de l’imaginaire de Robert Schumann, deux personnages, reflets de ses états d’âme changeants, Florestan et Eusebius représentants de ses contradictions, impulsivité et rêverie. Leurs deux penchants se heurtent et se croisent dans chaque morceau, disant l’amour ressenti par le compositeur pour Clara, en une houle musicale sublime et fantasque…
Mao Fujita à La Roque d’Anthéron © Valentine Chauvin
Mao Fujita, reviendra plusieurs fois sur scène à petits pas, comme étonné de l’ovation qui lui est réservée et offrira trois rappels, Improvisation en la bémol majeur et Improvisation n° 15 « Hommage à Edith Piaf » de Poulenc et Lieder ohne Worte OP. 67 n° 2 (Allegro) de Mendelssohn. Magie…
Récital donné le 11 août au Parc de Florans de La Roque d’Anthéron
Mao Fujita à La Roque d’Anthéron © Valentine Chauvin