Invité en résidence par Les Nouvelles Hybrides, l’écrivain Marcus Malte évoque quelques pans de sa bibliothèque idéale

Il peut être considéré comme un défi que de choisir quatre auteurs dans une bibliothèque qui nous serait idéale. C’est ce que, malicieusement, l’association Nouvelles Hybrides demande aux auteurs qu’elle invite en résidence. Exercice de style auquel Marcus Malte s’est prêté, choisissant des œuvres « au sommet de la littérature », dues à Cormac MacCarthy, Vladimir Nabokov, Jean Giono et Albert Cohen. L’entretien mené avec la complicité du journaliste Michel Gairaud permettait d’aborder ces monuments en cherchant à déceler leur influence sur l’écriture et les univers de Marcus Malte.

Le cicerone rappelait en préambule la manière de travailler ses textes de l’auteur, « comme une mélodie, sans doute parce qu’il a été pianiste de jazz » avant la lecture introductive d’un premier extrait du premier écrivain de la « bibliothèque idéale », Méridien de sang de Cormac McCarthy, anti-western, roman noir somptueux situé dans les années 1850 au Texas.

Du côté de chez McCarthy

Seul écrivain du florilège à être traduit, il est aussi le plus jeune de tous, Nabokov et Giono sont nés la même année, et Albert Cohen juste avant eux. Évoquant Cormac McCarthy, Marcus Malte s’exclame « avec ce genre de mec, ça va du très bon au génial » ! Certes, l’auteur américain n’a pas écrit plus d’une bonne dizaine de romans en cinquante ans. « Il prend son temps », sourit l’auteur né à la Seyne-sur-Mer qui ajoute « j’ai énormément de mal à dire pourquoi j’aime un livre, mais son roman La Route (The road, sorti en 2006), j’ai l’impression qu’il ne l’a écrit que pour moi et que c’est ce que j’aurais voulu écrire ». Les rencontres avec les auteurs sont souvent liées au hasard, mais Marcus Malte avoue une intuition particulière pour ces rencontres littéraires : « j’ai une espèce de flair pour les romans, il est rare que je choisisse quelque chose qui ne me plaise pas ».

Marcus Malte, invité des Nouvelles Hybrides

Michel Gairaud et Marcus Malte © M. C.

Marcus Malte, invité des Nouvelles Hybrides

Michel Gairaud et Marcus Malte © M. C.

En ce qui concerne Cormac McCarthy, l’un de ses livres est déniché dans une librairie toulonnaise, (Charlemagne) puis il restera sur une étagère de l’auteur durant cinq ans. Lecture faite, il conduit à la commande de tous les autres ouvrages ! « Méridien de sang fait partie des livres qui m’ont foudroyé ». Les similitudes entre ce dernier ouvrage et Le garçon (Marcus Malte, éditions Zulma, prix Femina 2016) prennent un tour d’évidence, dans les deux cas, il s’agit d’un jeune garçon en rupture avec son milieu et sa confrontation au monde, pas toujours très douce ! « Le livre de McCarthy est tiré d’une histoire vraie, d’une violence incroyable et d’une immense poésie. La relation entre le noir et la poésie, le côté mystique, voire biblique dans la manière de raconter (l’Amérique est en train de se former et c’est terrible) me séduisent », avoue le lecteur passionné qui ajoute : « d’une manière générale, les quatre auteurs dont nous parlons ce soir ont un style puissant.On peut très bien ne pas rentrer dedans, certains les détestent justement pour ça. En général j’aime les auteurs qui ont un style fort. J’aime ce parti pris, et quand vous aimez, vous êtes littéralement happés. La plus grande partie du plaisir de lecture vient de leur style. Ces auteurs-là travaillent la matière humaine qui n’est pas d’un seul bloc. Dans sa trilogie De si jolis chevaux, sa manière de parler des animaux, de la nature, moi qui ne sors pas de chez moi, j’y suis ! ».

Nabokov le « balèze »

Il n’a en effet rien de commun avec McCarthy, dans Ada (roman choisi pour la soirée par Marcus Malte), il y a plusieurs strates narratives, « c’est balèze », et c’est ce qui rend ce livre le plus difficile à lire des quatre.

« C’est un bouquin avec lequel on n’en finit jamais. Il y a toujours une part de mystère qui reste et ça me plaît : il y a toujours un truc à gratter. C’est un auteur que je n’osais pas lire. Nabokov a écrit en russe, puis en anglais et quelques livres en français. Souvent il joue avec les mots et les traductions des mêmes textes. C’est fin, subtil ironique avec un art de dire les choses sans les dire. J’adore quand les auteurs nous font comprendre les choses sans les formuler. C’est une manière de montrer que tout n’est pas si simple. Ce qui est « hyper fort » c’est aussi de montrer la pureté, la luminosité, la beauté, même dans des scènes qui ne sont pas évidentes, ainsi les scènes érotiques qui sont des incestes entre Ada et son frère ».

Michel Gairaud et Marcus Malte, invité des Nouvelles Hybrides

Michel Gairaud et Marcus Malte © M. C.

Il est des scènes dont l’évocation émeut profondément l’auteur, qui, les larmes aux yeux, poursuit en expliquant combien Nabokov s’amuse avec la structure et les mots : « il fait ce qu’il veut, il se balade, nous balade et c’est beau et c’est bon ».

Jean Giono le « magnifique »

Marcus Malte rit lorsqu’il raconte comment il a fait la connaissance de l’auteur : celle qui allait devenir son épouse suivait alors des études à la faculté de lettres d’Aix-en-Provence.

En lecture imposée, elle avait Que ma joie demeure. « Ne lis pas ça c’est trop chiant ! » lui lança-t-elle. Bien évidemment, c’est ce qui motiva la plongée dans l’œuvre puis dans les autres textes du père des Cahiers du Contadour. « Le hussard sur le toit est un bon exemple de son écriture, car c’est en même temps « grand public » et magnifiquement écrit. Même si Angelo est un héros assez pur, des choses atroces sont écrites. Giono est un type qui est capable de nous emmener où il veut et de nous faire croire tout ce qu’il raconte, même si les faits sont tout autres, mais on est embarqués, mystifiés. Il y a la beauté, la dureté, ce qui est implacable dans la nature de même que chez les hommes. » Lorsque l’adaptation cinématographique est mise sur la sellette, chacun conviendra que la comparaison nuit au film.

Marcus Malte, invité des Nouvelles Hybrides

 Marcus Malte © M. C.

« Il est important que ce soit un bon film, même s’il n’est pas fidèle, il s’agit de deux médiums différents », sourit Marcus Malte.

Albert Cohen, celui qui « n’a peur de rien »

Mangeclous, deuxième roman de la trilogie (puis tétralogie, précédé de Solal, et suivi par Belle du seigneur et enfin Les Valeureux) d’Albert Cohen, est pour Marcus Malte, le livre le plus drôle qu’il ait jamais lu, alliant satire politique, humour, esprit de la farce. « Il n’a peur de rien, Albert Cohen, il n’hésite pas à aller dans la grossièreté du trait. Ce qui est difficile pour lui, c’est de s’arrêter, il avait l’habitude de dicter ses textes et se laissait emporter par le flux des mots. D’habitude, précise Marcus Malte, je n’aime pas trop ça que l’on force l’accent, mais avec lui, ça marche, il n’a pas peur de s’emparer de clichés » … La verve inextinguible du diplomate fait partie des jubilations littéraires de l’invité qui les partage avec gourmandise avec le public de la bibliothèque de La Tour d’Aigues.
Ce qui rend les auteurs fabuleux, c’est la conjonction entre un style et une histoire… la dernière jubilation en date de Marcus Malte, 2666 de l’auteur chilien Roberto Bolaño.

Le 16 novembre, bibliothèque de La Tour d’Aigues