Trois monuments du classique attendaient le public du parc de Florans grâce au Sinfonia Varsovia sous la houlette de la jeune et talentueuse Marie-Ange Nguci.
Constructions puissantes
Le 13 août, très attendue depuis le concert sous la conque de l’an dernier qui a consacré son talent de chef d’orchestre, la pianiste Marie-Ange Nguci, revenait avec un programme d’une extrême densité, réunissant Beethoven, Mozart et Stravinsky. Les trois monuments de la soirée semblent vouloir chacun, renouer avec une harmonie que des tensions contraires renient.
C’est de son piano, placé au centre du plateau, découvert, que la jeune et brillante artiste (outre ses prouesses musicales, elle parle aussi sept langues !) dirigeait le Sinfonia Varsovia. Le choix du Concerto pour piano et orchestre n° 4 en sol majeur opus 58 beethovénien lui permettait de donner le ton dès les premières mesures, car, rareté dans le monde concertant, c’est l’instrument soliste qui ouvre le bal, non pas dans une démonstration préliminaire de sa virtuosité, mais par une phrase toute simple, presque discrète.
Le premier mouvement, Allegro moderato, s’installe dans une sorte de légèreté au lyrisme qui s’assombrit peu à peu tandis que les hardiesses du piano entraînent l’orchestre à sa suite. La direction de la jeune musicienne relève de l’exercice de haute voltige. Lorsque les mains sont sur le clavier, la tête, les mimiques, le corps entier prennent le relais des indications précises données à l’orchestre.
Les deux entités, piano/orchestre, deviennent deux personnages qui luttent, s’affrontent dans l’Andante con moto. Il y a quelque chose de troublant dans ce dialogue aux accents d’une gravité nouvelle. Enfin, le Rondo Vivace réconcilie l’instrument-roi et l’ensemble en une écriture vive et syncopée. On sent dans le jeu de Marie-Ange Nguci, vélocité des traits, effleurements tout en clarté des touches, profonds empâtements, l’influence de son regretté mentor Nicolas Angelich qui joua de nombreuses fois ce concerto. Au concerto de Beethoven succédait le N° 20 en ré mineur K466 de Mozart. Peu chronologique direz-vous !
Marie-Ange Nguci/ Sinfonia Varsovia/ La Roque 2025 © Valentine Chauvin
Cependant, la pâte beethovénienne se retrouve dans l’œuvre de Mozart : les cadences ne furent pas notées par Mozart et ce sont celles que Beethoven, grand admirateur de cette pièce, composa qui sont jouées !
Il faut bien dire que Mozart, alors au sommet de sa carrière, vit depuis trois ans à Vienne avec son épouse Constance, il a vingt-neuf ans. Il est pressé. Il finit d’écrire son concerto le 10 février 1785. L’œuvre doit être jouée le lendemain à l’occasion d’un concert de souscription au Mehlgrube de Vienne le lendemain, 11 février ! Le copiste n’arrive pas à livrer la partition pour la répétition, et l’orchestre déchiffrera le troisième mouvement à vue lors de la représentation.
Mozart improvise les cadences qu’il n’a pas pu travailler en dirigeant l’orchestre du piano.
Et c’est brillant, démesuré ! Le père du compositeur est venu spécialement de Salzbourg pour assister à la représentation.
Il écrira à Nannerl, sa fille : « le concert a été incomparable, l’orchestre remarquable ».
La tonalité mineure rapproche l’œuvre du romantisme, sublime et expressive, animée de contrastes qui se résolvent dans le rêve et l’indicible avant le triomphe d’un équilibre lumineux.
Les méandres des contes
Toute d’énergie, Marie-Ange Nguci qui sera artiste en résidence à la Maison de la Radio et de la Musique pour la saison 2025-2026, dirigeait à la baguette trois extraits de la Suite de 1919 de L’oiseau de feu de Stravinsky. Le compositeur russe s’était attaché au conte pour la première commande que lui avait passé le directeur des Ballets Russes, Serge de Diaghilev. Et même si la grande Anna Pavlova, danseuse étoile des Ballets refusa de danser sur de « telles inepties » et fut remplacée dans le rôle de l’Oiseau par Tamara Karsavina qui deviendra à son tour l’étoile de la compagnie.
Surgit dans les fastes de l’orchestre le terrible magicien Kastcheï qui retient prisonnières treize princesses dont le sommeil est transcrit dans une berceuse que vient bousculer un Finale éclatant. La puissance exacerbée de l’orchestre correspond bien à la jeunesse fougueuse de l’artiste qu’ovationne le public. Il n’y aura pas de rappel, tout a été dit !
Concert donné le 13 août 2025 au parc de Florans, dans le cadre du Festival de la Roque d’Anthéron.
Toutes les photographies de l’article sont signées Valentine Chauvin