La deuxième édition du Festival international de Choro d’Aix-en-Provence réunissait des musiciens d’exception, certains venus depuis le Brésil pour cette formidable fête musicale concoctée par l’association La Roda et ses deux infatigables fondateurs et subtils musiciens, Claire Luzi et Cristiano Nascimento.
Parmi les invités, Abel Luiz, joueur de cavaquinho, mandoline, violão tenor, se prêtait au jeu du concert-conférence, décrivant sa démarche totalement liée à son histoire personnelle. Enfant, il suivait son grand-père, « Seu Luis » dans les Rodas de Choro qui fleurissaient un peu partout dans les immenses banlieues de Rio de Janeiro.
Cristiano Nascimento, lors de la présentation de cet immense musicien sourit : « depuis des années, nous chantons et interprétons ses chansons. Le recevoir aujourd’hui revêt un sens particulier dans notre propre parcours. C’est une rencontre éblouie ! »
Ce dernier évoque alors quarante ans de la relation entre le choro et les gens de la ville de Rio de Janeiro. « Il est possible de parler «histoire de la musique », explique Abel Luiz, traduit au fil des mots par Jean-José Mesguen, mais, la plupart du temps, on ne parle que de l’industrie musicale et il ne s’agit pas de cela maintenant. » Il pose le cadre de son propos : si dans les années soixante, on s’est mis à écouter la Bossa Nova, puis dans les années soixante-dix, le rock, il serait réducteur et faux de penser qu’il n’y a pas eu d’autre type de musique. À côté des formes qui ont inondé les radios et les télévisions, à grand renfort d’articles destinés au grand public et ont connu de flamboyantes carrières « commerciales », ont été occultées des pratiques qui ont toujours existé. « Ici, nous allons parler des musiques qui se jouent chez les gens, dans les rues sur les places » insiste le musicien.
Festival international de Choro d’Aix/ Concert-conférence Abel Luiz © M.C.
Ces musiques vivantes, éloignées des circuits commerciaux et donc des audimats, ont pourtant drainé pléthore de très grands interprètes et compositeurs.
« Pour ma part, j’ai connu la musique chez moi avec mon grand-père qui menait de front trois ou quatre boulots comme ses copains et qui faisait aussi de la musique. » Le moindre moment de liberté de ces vies laborieuses (multiplier les métiers permettait juste de s’en sortir !) était consacré à la musique, une musique « qui se partage », c’est sa caractéristique essentielle. Le choro émerge au Brésil à Rio de Janeiro au XIXème siècle et fleurit jusque dans les années 2005 à peu près. Il s’agit d’une musique urbaine, des banlieues de la ville, jouée par les personnes qui viennent de tout le Brésil. La légende voudrait que la première roda de choro ait été fondée par trois frères émigrés à Rio dans leur cour ou leur jardin, qui, ce qui est sûr, donnait sur la rue.
Les gens s’approchaient pour écouter, demandaient s’ils pouvaient jouer aussi avec eux … guitare, cavaquinho, mandoline ont été enrichis par l’apport des flûtes traversières, des clarinettes, trombones ou saxophones. Les gens allaient ainsi se voir les uns chez les autres pour le plaisir de jouer ensemble. Ils se retrouvaient aussi sur les places, à la fin du marché, les prix sont moins élevés à ce moment-là… Pas de partitions, rares sont ceux qui savent « lire », tout est « à l’oreille ». On écoute, puis, à l’invitation des plus anciens, on se lance, on « révise » chez l’un ou l’autre, puis on rejoint le cercle des musiciens. Certains sont de véritables bibliothèques vivantes, des conservatoires de musique à eux tout seuls.
Festival international de Choro d’Aix/ Concert-conférence Abel Luiz © M.C.
Chaque roda avait son propre répertoire ses interprétations, ses compositions. « On avait quatre dimanches pour connaître la première partie d’un choro et comme la plupart des compositions sont bâties sur trois mouvements, il fallait trois mois pour en apprendre un en entier », raconte Abel Luiz, « il s’agissait de faire de la musique et de construire des relations autour de la musique. On va à la roda quel que soit le temps. La roda est un fantastique lieu d’apprentissage.»
Entrer dans la roda constitue un véritable engagement. S’y élabore un système de connaissance très complet, et se tisse une réelle culture où chacun cherche l’excellence, non par volonté de concourir à qui sera le plus virtuose, mais dans une quête permanente d’un dépassement perpétuel de soi. Il y a le désir de suivre ceux qui ont laissé une trace.
La roda, une manière de vivre
La vraie roda n’est pas un évènement, un spectacle auquel on se rend comme on peut le faire lorsque l’on va assister à une représentation, c’est une vraie manière de vivre. D’abord, on écoute, on se demande si on va pouvoir être à la hauteur pour jouer, et comment on va jouer. « Je me suis assis, dit Abel Luiz, je ne savais que faire. Par chance, mon grand-père jouait de la guitare et je pouvais répéter avec lui tous les jours. »
Il ne faut pas oublier l’infinie variété des genres qui se retrouvent dans la choro, les musiques venues d’Europe, polka, scottish, mazurka, quadrille (…) mais aussi celles apportées par les musiciens émigrés des autres régions du Brésil et celles, plus anciennes qui ont traversé l’Atlantique avec les esclaves arrachés à leur Afrique natale. Le choro est une manière d’interpréter toutes ces musiques et elles en deviennent quelque chose de neuf. Il y a un récit de l’adaptation des gens au son de la ville. La puissance d’adaptation du choro est telle que chaque région du Brésil a désormais son propre choro !
Festival international de Choro d’Aix/ Concert-conférence Abel Luiz © M.C.
Il est à noter que peu d’enregistrements sont effectués. Les meilleurs musiciens préfèrent aux concerts les cérémonies de mariage où ils vont jouer parfois huit heures d’affilée, interprétant à la demande (souvent assortie d’un billet glissé dans le corps de l’instrument) les morceaux réclamés par les membres du public.
« Nous sommes des artisans » reprend Abel Luiz et toutes les fêtes, tous les moments de la vie sont assortis de musique. Lorsque les interprètes sont trop vieux pour se déplacer, alors les musiciens de leur roda vont chez eux sous n’importe quel prétexte et perpétuent les rencontres. Cette façon de vivre la musique abolit les hiérarchies, les âges. On apprend de l’autre, on perpétue, on enrichit, on crée. Les relations dans la roda sont « horizontales » et c’est pour cela qu’elle est l’expression vive d’un peuple.
La musique du choro qui a donné naissance à toutes celles que l’on peut entendre aujourd’hui au Brésil ne s’est pas éteinte en s’inscrivant dans une sorte de vision linéaire de l’histoire, mais poursuit son évolution propre. Elle réussit le tour de force d’être à la fois savante et populaire, virtuose et accessible à tous.
Les pièces jouées en intermèdes par Abel Luiz au cavaquinho accompagné de Cristiano Nascimento à la guitare à sept cordes en furent une éloquente démonstration qui s’enrichit de la venue du pandeiriste Ikaro Kai Mello qui ouvrit « le cercle ».
Concert conférence donné à la Manufacture le 16 avril 2025 dans le cadre du Festival International de Choro d’Aix.
le « pandeiriste » est le joueur de pandeiro, instrument à percussion semblable à un tambourin. La variété de sonorités et de rythmes possibles grâce à ce petit instrument est impressionnante.
