Samedi 23 novembre la salle comble du GTP accueillait l’Orchestre national Avignon-Provence dirigé par sa cheffe, Débora Waldman, première femme à avoir été nommée à la tête d’un orchestre national en France, et la pianiste Shani Diluka.
En préambule la délicate Meditacija (« Méditation ») que sa compositrice lettone Lūcija Garūta (1902-1977) avait écrite d’abord pour piano, son instrument, prenait un relief particulier dans sa version symphonique, portée par la phalange des vents, rejointe par les cordes. « La musique est le souffle de d’esprit » disait Lūcija Garūta qui étudia la composition à Paris. Avec l’orchestre, son lyrisme se teinte d’ombres dont la gravité s’inspire d’un romantisme russe où affleureraient les airs des traditions populaires baltes. Cette plongée dans une inspiration du XIXème est sans doute aussi une marque de résistance pour cette compositrice, l’une des premières reconnues dans les pays baltes, contre l’occupation russe au moment de la Seconde Guerre mondiale.
Le temps d’un réajustement du nombre de musiciens, moins nombreux pour Mozart, Shani Diluka apportait son jeu velouté et au 23ème Concerto pour piano du compositeur de Salzbourg. Dès la cadence du premier mouvement, on est séduit par la capacité de l’artiste à entrer dans ce concerto dont Messiaen dira qu’il se place au tout premier rang des concertos pour piano ; c’est sans doute le plus parfait de tous, si non le plus beau !). Bien sûr, le célébrissime Adagio qui a été utilisé comme musique de film (L’incompris de Luigi Comencini, Le nouveau monde de Terrence Malick) ou même de ballet (Le Parc d’Angelin Preljocaj), convie à une somptueuse méditation où douceur, émotion se conjuguent en une poésie sublime. La pianiste et l’orchestre dialoguent avec justesse, usent de contrastes, se séparent, se fondent. Les phrasés savent s’alanguir ou s’emplir d’une joyeuse vivacité.
Débora Waldman © Lyohdo Kaneko
En rappel, la jeune pianiste offrira une ardente Danse du feu de De Falla dans son arrangement pour piano. Les frémissements des flammes et leurs éclats se transcrivent avec une impatiente élégance.
Après l’évocation ensorcelée, et un entracte, l’orchestre complété par des élèves de l’Institut d’enseignement supérieur de la musique-Europe et méditerranée (IESM), dessinait les variations implacables du destin par le biais de la Cinquième Symphonie de Tchaïkovski avec son thème cyclique revenant dans chacun des quatre mouvements, symbolisant la providence. Évitant les écueils de la lourdeur ou de la mièvrerie, Débora Waldman impulse avec une subtile précision des tempi qui mettent en valeur la puissance de l’orchestre mais aussi les parties solistes (magnifique cor solo de Mathilde Dannière, première femme à occuper ce poste dans un orchestre national en France). Les angoisses métaphysiques du compositeur hanté par la « fatum », qu’il décrivait comme « une épée de Damoclès qui reste suspendue au-dessus de notre tête » sont rendues sensibles dans les volutes tourmentées des partitions. Mais la lumière éclot en fin de compte : si l’œuvre débute par un mode mineur aux sombres reflets, elle s’achève par le mode majeur, esquissant la lumière derrière l’obscurité.
Un très grand moment !
Concert donné le 23 novembre au Grand Théâtre de Provence