Deux pianistes, Claire Désert et Emmanuel Strosser, et deux percussionnistes, Camille Baslé et Georgi Varbanov, se sont partagé la scène de la conque pour un concert aussi original qu’enlevé.
Le piano est un instrument à cordes, certes, mais frappées par des marteaux, ce qui le range aussi dans la catégorie des percussions. Prenant cette double appartenance à la lettre, le Festival international de Piano de La Roque d’Anthéron proposait « Le piano et les percussions dans tous leurs états ». 

En guise d’apéritif, Claire Désert et Emmanuel Strosser offraient au soir déclinant la subtilité de leur approche dans le Prélude à l’Après-midi d’un faune de Claude Debussy. Pas de syrinx initial mais sur les dernières mesures, leurs complices percussionnistes, installés de part et d’autre des roseaux qui bordent la scène de la conque du parc de Florans, s’emparaient chacun d’une flûte champêtre et venaient apporter la sonorité de l’instrument joué par le faune des légendes. La poésie de l’instant se conjuguait à celle des lieux, leur accordant une portée symbolique : la scène posée sur la petite pièce d’eau du parc a quelque chose d’initiatique. « Ne murmure point d’eau que ne verse ma flûte/ Au bosquet arrosé d’accords ; et le seul vent / Hors des deux tuyaux prompt à s’exhaler avant / Qu’il disperse le son dans une pluie aride,/ C’est, à l’horizon pas remué d’une ride / Le visible et serein souffle artificiel / De l’inspiration, qui regagne le ciel », écrivait Mallarmé dans Le Faune qui inspira Debussy. La barrière aquatique encercle les éclosions de l’imaginaire, autorise la magie à s’incarner.

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Claire Désert, Emmanuel Strosser, Camille Baslé, Georgi Varbanov © Valentine CHAUVIN 2024

Et Bartók vint

La géométrie de la scénographie était orchestrée selon le souhait de Béla Bartók pour sa Sonate pour deux pianos et percussions Sz110 : les deux pianos sont disposés en angle dos au public face aux percussions. Les musiciens avaient choisi aussi de faire se rencontrer les textures d’un Steinway et d’un Bechstein de concert, le premier, sans doute plus chatoyant, le second plus intime.

L’œuvre de Bartók mêle dans une même pâte sonore les percussions, xylophone, timbales, cymbales, tambour, caisse claire, tam-tam, triangle et les marteaux des pianos. Un sourd roulement de timbales inaugure la pièce suivie par les graves du piano qui se brisent sur l’explosion de notes aigües. Les martellements se déchaînent, dessinent une ossature ferme au propos, dialoguent avec fougue. Une réponse dionysiaque est donnée au faune de Debussy, explorant les rouages les plus intimes de l’être, l’interrogent, le poussent à se dépasser. Tantôt les percussions marquent les lignes de crête des passages mélodiques, tantôt elles formulent le lied principal soutenu par les accords pianistiques qui se déversent en sources luxuriantes. L’ensemble résonne comme un orchestre mu par de puissantes pulsations internes.

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Camille Baslé et Georgi Varbanov  © ValentineCHAUVIN 2024

Si l’on pose la question de la programmation, revient souvent le fait que René Martin, directeur artistique du festival, laisse une grande liberté aux artistes mais aime donner des points d’ancrage. Ici, sans nul doute, sourit Aline Pôté, la merveilleuse attachée de presse et de communication du festival, c’est lui qui a proposé Bartók. C’est grâce à ce compositeur qu’il est venu à la musique classique. Il était fou de jazz et c’est en lisant la correspondance de Charles Mingus qui déclarait au journaliste Nat Hentoff que ce sont les quatuors de Béla Bartók qui, alors qu’il était à l’hôpital, ont été une véritable révélation : c’était la musique qu’il voulait écrire : « il faudra que j’abandonne le jazz- c’est un mot qui recouvre trop de duperie » (in Beneath the Underdog, paru en 1971, (Moins qu’un Chien), de Charles Mingus).

Variations autour des percussions

La suite du programme, beaucoup plus légère, en regard de la claque musicale de la pièce de Bartók, séduisait par la perfection de son exécution et son caractère primesautier et joyeux. Saëta, première des Huit pièces pour quatre timbales d’Elliott Carter, suit les modulations d’une chanson andalouse improvisée (il s’agissait de lancer une flèche, « saïta » vers les nuages pour faire venir la pluie) lors d’anciens rites. L’accélération graduelle propre aux compositions traditionnelles débouche sur la version pour deux pianos et percussions de la Rhapsodie espagnole de Ravel et ses tableaux d’une Espagne rêvée dont certains accents ne sont pas sans rappeler ceux des danses de Granados.  L’arrangement pour marimba du Gornodikansko horo, issu du folklore bulgare, par Georgi Varbanov, renoue avec un esprit de fête plus proche de la fête trad. Enfin, les extraits des Danses symphoniques opus 45 dans leur version pour deux pianos et percussions de Sergueï Rachmaninov permettent de faire le lien entre les musiques populaires et savantes, abolissant les frontières. Tout n’est que musique et le bis offert, Le jardin féérique (Ma mère l’Oye) de Ravel, nous laisse dans le bonheur d’un temps suspendu.   

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Claire Désert © Valentine CHAUVIN 2024

« Temps suspendu » par pour tous ! Certains spectateurs d’une incorrection indescriptible se lèvent avant la fin des rappels, se hâtent vers la sortie, n’attendent même pas le départ de scène des artistes qui ont su, et avec quel brio!, enchanter la soirée. Est-ce l’une des conséquences d’une société consumériste à outrance ? Un manque d’éducation certain en tout cas !

Le 8 août, parc du château de Florans, Festival international de Piano de La Roque d’Anthéron

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Claire Désert, Emmanuel Strosser, Camille Baslé, Georgi Varbanov © Valentine CHAUVIN 2024