Le nouvel opus de Gabriel Sivak, Miniaturias para decorar el silencio, est accessible désormais sur les plateformes de streaming.
« Je venais de publier un album (Danza en las aguas de buriti), une monographie dense où la plupart des pièces sont destinées à de grandes formations instrumentales et vocales, explique-t-il. Dans ce nouveau disque, j’ai voulu faire le contraire : explorer la miniature comme une forme de réinvention. »

Un kaléidoscope d’univers

Les instruments les plus divers et les plus inattendus se succèdent dans la ronde hypnotique de ces miniatures, piano, accordéon, harpe, ondes Martenot, voix, machine d’imprimerie… Le compositeur présente sa démarche : « Dans cet album, l’abstrait et le concret, l’enfantin, l’émotionnel et l’absurde sont combinés par le son : ce matériau puissant que nous utilisons pour décorer le silence. » 
Le travail de Gabriel Sivak s’apparente alors à celui du sculpteur : de la masse du silence il fait émerger les formes sonores. Reprenant les principes du « sonorisme », courant initié par le compositeur polonais Krzystof Penderecki (avec Threnody for the Victims of Hiroshima et le Quatuor à cordes n°1, composés en 1960), Gabriel Sivak peut s’appuyer dans certains passages sur le son pour structurer l’espace, lui accorder un sens. 

Ainsi, le poème d’Apollinaire, Au prolétaire, dit par Jean-Marie Fonbonne, est placé dans l’écrin des sons d’une machine d’imprimerie (l’ensemble fit partie d’une installation sur l’imprimerie, Rivière d’encre, concoctée avec l’historien Serge Grunzinski, le vidéaste Gaston Igounet et le luthier Benoît Poulain, accueillie à la Sorbonne en 2018). 
Tout prend sens dans les créations de Gabriel Sivak : le poème d’Apollinaire se réfère au métier du grand-père du musicien, « imprimeur socialiste en Andalousie, raconte Gabriel Sivak. La machine d’imprimerie qui accompagne la lecture du texte symbolise à la fois la machine qui ne cesse de produire et celle qui nous écrase. C’est un modeste hommage à la classe ouvrière. Au prolétaire faisait partie d’une installation sur l’imprimerie, dans laquelle je mettais en parallèle l’arrivée de l’imprimerie et son impact sur la société de l’époque, avec celle d’internet et son influence sur la société d’aujourd’hui. ».

Gabriel Sivak © X-D.R.

Gabriel Sivak © X-D.R.

Chaque pièce a une histoire différente, certaines clés sont données par le compositeur : « le point de départ a été la peinture. Ensuite, un travail d’écriture et de recherche avec la harpe et les ondes Martenot m’a conduit à un résultat final électroacoustique. C’est dans cette dernière étape du processus que j’ai trouvé la forme des six miniatures. C’est une pièce qui a évolué au fil du temps. » Ce kaléidoscope d’univers est habité par une logique de composition qui lui apporte une unité. Ce fin tissage trouve une cohérence dans le chatoiement de ses différentes formes d’expression. 

 Lumières liquides

On se laisse séduire par Kathakali, une pièce pour piano solo inspirée des rythmiques de tablas (percussion indienne) et jouée par David Kadouch. Les premières notes répétées à la main gauche, comme pour l’introduction d’une danse de Chopin, vite ornées de rêveries ravéliennes à la main droite, scandent un temps ostinato qui se transmue en accords colorés. La partition s’emballe, effectue des retours sur elle-même, amplifie son propos, se heurte à des silences en falaises qui stoppent ses élans, reprend son bourdon rythmique, dessine un paysage de gouttes de pluie lumineuses, s’adosse au vide et renoue avec les récits initiatiques d’une création qui naît du néant, avant que les traits des notes tenues de l’accordéon de Vincent Lhermet poursuivent le chemin dans la série Ultramar, commande de l’accordéoniste.

Les trois mers, « Mer de Célèbes », « Mer de Barents », « Mer de Tasman », sont évoquées par « l’usine onirique » qu’est l’accordéon pour Gabriel Sivak. Puissantes, envoûtantes… tandis que les Miniaturas, semblent naître de chants d’oiseaux, grâce à la harpe de Florence Bourdon et les ondes Martenot de Nadia Rastimandresy. La mezzo-soprano Clémence Vidal se joindra à elles pour Moi baiser jaune de Obaldia. L’orchestre des Petites mains Symphoniques tente de réveiller un éléphant, et la « pièce aléatoire », Liquido, offre au percussionniste Nathan Bedel des pages d’un étonnant onirisme.

Miniaturas para decorar el silencio

Pochette de « Miniaturas para decorar el silencio »/ dessins de Kafka © X-D.R.

La pochette de ce disque « web » est peuplée de dessins de Franz Kafka… étonnements absurdes et pensées suspendues dans les espaces au-delà des mondes…
C’est là sans doute que l’art affirme combien il nous est essentiel !

Miniaturas para decorar el silencio, Gabriel Sivak, format digital