Sarah McCoy posait ses valises au 6mic pour une soirée luciférienne avec son nouvel album, High Priestess
En première partie, la chanteuse-compositrice Liquid Jane (Jeanne Carrion) séduisait le public par la vivacité de sa voix, de ses textes, son empathie, son humour. Accompagnée de « Simon au synthé et Ben à la batterie » (ainsi les présenta-t-elle), elle proposait des chansons de son répertoire et quelques nouveautés en avant-première. Les textes renvoient au vécu, s’attachent à des détails drôles, épinglent ceux qui ont trahi leur parole, les êtres aimés puis détestés, dessinant un univers prenant servi par une voix juste et pure aux envols affirmés. Sa pop-rock-néo-soul aborde les ombres pour les transmuter en lumière. « Je suis fière de partager la scène avec Sarah McCoy, une femme aussi forte » déclarait-elle avant un dernier bis.
Il est vrai que la diva Sarah McCoy impose d’emblée une âme, un style, une approche, vivante, pugnace, mutine, blessée parfois, rebelle toujours. Seule sur scène, à genoux, elle lance son premier morceau a cappella, bouleversante de fragilité et de force. Sur le tapis électro-pop-jazzy décliné avec un talent fou par ses deux complices, Jeff Halam (basse) et Antoine Kerninon (batterie, machines), (on les avait déjà entendus en trio au théâtre Durance en novembre 2022), sa voix puissante et nuancée déploie mots et mélodies, ostinato envoûtant d’Oracle, blues crépusculaire de Weaponize me… La vie de la chanteuse continue de nourrir ses créations soulignées par un piano qui flirte avec les ombres dans un nouveau répertoire qu’elle qualifie de « thermonucléaire », tant le bouillonnement des instruments sous-tend les incantations vocales.
Sarah McCoy au 6mic © Olivier Gestin
Le spectacle reprend les compositions de High Priestess, album qui expose « la dissection et l’interrogation de soi et de la santé mentale avec un couteau musical douloureux mais gentil » (ibid).
Le refrain de Weaponize me, « each lie was just a bullet in your gun, but all it took was one, to weaponize me » (chaque mensonge n’était qu’une balle dans ton fusil, mais il n’en fallait qu’un seul pour m’armer) montre la jeune femme debout face aux violences reçues. Le rire homérique de la diva-lionne emporte tout, triomphe des petitesses de la vie. Si le cœur reste vulnérable, jamais l’artiste ne se pose en victime. Se moquant de ceux qui se « mettent à la place des êtres dans la peine », et serinent « I’m sorry », elle répond « I’m sorry, take it all » et se désaltère d’un verre de vin rouge disposé à côté d’elle avant de convoquer les fantômes des pianistes comme Rachmaninov au cœur d’une rêverie aux accents telluriques sur le piano.
Sarah McCoy au 6mic © Olivier Gestin
Sa première chanson en français, La fenêtre, invite les « souvenirs noirs et blancs » alors que la pluie tombe sur Paris égrenant des souvenirs douloureux. L’amour ne met pas cependant la chanteuse en état de faiblesse : elle rugit avec sa voix de blues, refait des détours par la soul, s’enracine dans la pop, orchestre les contours d’un univers personnel qui fascine l’auditeur. La musique plane, groove, s’enivre de beats obstinés, émeut, subjugue, clame une liberté qui se conquiert et c’est très beau.
Concert donné au 6mic, Aix-en-Provence le 2 novembre 2023
Sarah McCoy au 6mic © Olivier Gestin
Diva-Lionne
Le théâtre Durance, scène conventionnée d’intérêt national-art et création, délégataire de Provence Alpes Agglomération sait dénicher des propositions fortes, où l’esthétique et le sens se mêlent. L’invitation du Sarah McCoy Trio nous conduisait auprès d’un monument du blues et du jazz.
Sarah MacCoy arrive dans la pénombre de la scène, sa voix s’élève et l’on est conquis. D’emblée. Le timbre, puissant, syncrétise ceux de Nina Simone, Billie Holiday, Janis Joplin, Bessie Smith, Amy Winehouse et j’en passe. Il y a du vécu derrière le rire, les mimiques, les interpellations, les éclats, une existence d’errances, de hobo, de deuils, de drames, de violences, une capacité hors-norme de résilience, de courage, d’énergie. Les compositions de cette artiste impressionnante sous son maquillage vert dont des larmes scintillantes sont dessinées sur une joue s’inspirent de sa vie, de sa tête « embrouillée », métaphorise le monde en un pas sur le côté qui le transcende. Les mélodies se font intimistes, prennent des tours d’orage. Au piano, la chanteuse laisse les notes rêver, s’emporte en citations classiques, n’hésitant pas à convoquer le jazz de la New Orleans, un passage d’Éric Satie, un brin de Kurt Weil ou un concerto de Rachmaninov; « le piano c’est ce qui permet de se retrouver quand tu as des turbulences mentales comme moi, sourit-elle, face aux dissonances de mon histoire la musique arrive en moi pour faire la paix ». Son univers palimpseste interroge les apparences : « quel masque portent les gens ? celui pour les autres, pour eux-mêmes, devant leur miroir ? Moi, j’en ai dix de plus. Qui je suis ? qu’est-ce que je suis derrière chaque masque que je porte ? ». Si « l’amour c’est l’enfer » de Hot Shot, « chacun a sa vérité, mes ex en ont une mais seule la mienne est la bonne ! Des fois je « struggle » le dialogue dans ma tête » … Le rire gagne, joue avec le verre de vin laissé par le staff du théâtre, invite Jeff Halam (basse) et Antoine Kerninon (batterie, machines) à la suivre dans son parcours onirique mêlant les sons acoustiques et électroniques aux élans lyriques du piano, dans des lumières qui caressent les personnages et leurs musiques. Émergent les figures de la mère, du terrifiant Boogieman, émotions telluriques ! Le chant se théâtralise, la vie se sublime en œuvre d’art. Un concert d’exception !
Le 8 novembre, théâtre Durance, Château-Arnoux-Saint-Auban