Pas d’autodafé rimbaldienne ! L’injonction que « l’homme aux semelles de vents » aurait communiquée au récipiendaire de la célébrissime « lettre du voyant », Paul Demeny, à propos des textes qu’il a laissés chez lui, n’a pas été suivie par l’une des nièces de ce dernier, Adèle, qui a conservé précieusement les manuscrits du jeune poète… elle les offrira à Rodolphe Darzens.
Remontons le temps au rythme de la plume alerte d’Henri Guyonnet, qui revient dans ce premier roman, Brûlez tout !, sur l’un des poètes de sa constellation, Arthur Rimbaud. Il met en scène (de nombreux passages de l’ouvrage ressemblent à des moments de théâtre assortis de leurs didascalies), dans le rôle d’enquêteur, journaliste, sportif, amoureux de la petite reine au moins autant sinon davantage que des mots façonnés au tour de potier des auteurs, le jeune pigiste Rodolphe Darzens, récemment réfugié de Russie, bouillant adepte des duels, séduisant, brillant, doté d’un délicieux accent russe, et qui tente sa chance dans le journalisme (il sera dans la réalité le premier reporter sportif de l’histoire !). Bien sûr l’exactitude des faits n’est pas toujours respectée, il s’agit d’un roman, mais la plupart des personnages, les principaux en tout cas, ont existé et la magie du romancier leur accorde l’épaisseur de la vie, la complexité des sentiments et des sensations, la modulation de leurs voix, leurs intonations propres. Le prologue suit un avant-propos explicatif de la matière romanesque, comme un redoublement de précautions oratoires avant d’oser se lancer dans le vif du sujet et convoquer les fantômes au cœur d’une nouvelle existence de papier.
Tout débute par l’enterrement du personnage principal, Rodolphe Darzens, en 1938 à Neuilly-sur-Seine, cortège, discours, un miaulement de chat dans un coin, l’analepse est prête à dérouler son long retour en arrière. Ce sera la technique du récit, nourri de flash-back, d’aller-et-retours entre le fil de la narration et les évènements des différents passés qui s’entrecroisent, resserrant le tissu de l’intrigue, accordant un écho matériel à la polysémie des mots. Voici Rodolphe Darzens qui se voit confier un sujet en or : l’enquête sur la disparition d’un obscur poète, Arthur Rimbaud, occasion de brosser le paysage du journalisme et du monde artistique de la fin du XIXème, d’arpenter les routes à vélo, ce nouveau moyen de locomotion révolutionnaire, et de croiser ces investigations avec la vie de Rimbaud lui-même qui, de retour d’Abyssinie, se cache, malade et amputé, dans sa ferme familiale avant de repartir pour l’hôpital de Marseille où il va finir ses jours. Émergent les portraits de Verlaine, le cher « Lélian », Moréas, Pierre Louÿs, Isambard, Demeny, mais surtout les poèmes qui restent la seule réponse devant l’angoisse de l’infini. « J’avais été damné par l’arc-en-ciel. (…) / Cela s’est passé. Je sais aujourd’hui saluer la beauté ». La quête se solde par un livre, Le Reliquaire, recueil des poèmes découverts assorti d’une préface de Darzens… Un roman palpitant, que l’on ne lâche pas et dont on attend impatiemment la suite : deux volumes devraient suivre aux côtés de Rodolphe Darzens, un être décidément fort attachant. Alors que les JO sèment des débuts de zizanie en opposant sport et culture, il serait bon de renouer avec les mots de Darzens : « il y a autant de jouissance à écrire un beau poème qu’à établir une performance remarquable. »
Brûlez-tout !, Henri Guyonnet, éditions Anne Carrière, 20€