sVespro était créé et enregistré chez Alpha en 2018 par Simon-Pierre Bestion et son inclassable ensemble, La Tempête. La référence shakespearienne a été rarement aussi bien illustrée sur scène tant cette phalange de musiciens, instrumentistes et chanteurs sait s’approprier les lieux en y déclinant une vie foisonnante de registres, d’atmosphères, de sensations. Le spectacle, conçu autour des Vêpres de la Vierge, prend des allures d’opéra, incluant déplacements des solistes et des choristes, voire danses des chanteurs sur le modèle des représentations joyeuses des vases antiques sur des pas de bourrée.

L’orchestre réparti en deux groupes sur le plateau attend, chef d’orchestre au centre, l’arrivée du double chœur. Tourné face au public, Simon-Pierre Bestion impulse les premières notes qui jaillissent depuis le fond de la salle comble du Grand Théâtre de Provence. Lentement, enrobant l’auditoire de sons, les chanteurs descendent les allées latérales, munis de leurs partitions juste éclairées de lampes de lecture. Lumières minuscules et ampleurs sonores… c’est l’office du soir, les vêpres. Les vapeurs qui enfument l’air, diluent les lueurs de cette heure incertaine.
Le Vespro della Beata Vergine de Claudio Monteverdi déploie sa magie évocatrice, parle aux imaginaires par le biais de la multiplicité des timbres des voix et de l’orchestre. Ce dernier réunit vingt-et-un musiciens dont les instruments mêlent les époques : aux côtés des deux violons, de l’alto, de l’orgue, du clavecin et des deux contrebasses, sont glissés deux théorbes, trois violes de gambe, une doulciane (ancêtre du basson), deux harpes triples, trois cornets à bouquins, trois sacqueboutes, un serpent, qui semblent vouloir nous faire entrer dans un tableau de Pieter Brueghel l’Ancien.
Vespro © Léo-Paul Horlier- Photoheart

Vespro © Léo-Paul Horlier- Photoheart

Simon-Pierre Bestion raconte combien l’ont marqué les soirs d’été où résonnaient les cloches d’église. Les émerveillements de l’enfance se transcrivent dans Vespro, qui s’inspire de la partition de Monteverdi, la première œuvre sacrée du maître vénitien, l’enrichissant de psaumes extraits d’un manuscrit du XVIIème siècle conservé à l’Inguimbertine, la bibliothèque de Carpentras, de réécritures de parties instrumentales par Simon-Pierre Bestion qui relient en un ample continuo les morceaux de Monteverdi. Le tout y gagne une puissante unité qui semble arpenter les modes musicaux des pourtours de la Méditerranée, s’orientalisant ici par un souple variation mélodique, renouant avec les polyphonies corses et leurs finals à trois voix.
Il n’est plus de distance entre le savant et le populaire dans cette appréhension universaliste des traditions orales et leurs harmonisations qui répondent aux débuts des chants grégoriens. Éclosent en solo, duo, trio, quatuor, quintet, sextet voir septet, les voix des sept solistes, Eugénie de Mey (alto) et ses somptueuses antiennes grégoriennes parfois lancées du haut du premier balcon sur le faux-bourdon du chœur, Adèle Carlier (soprano) qui remplaçait à « voix levée » Amélie Raison, Aline Quentin (mezzo-soprano), René Ramos Premier (baryton), François Joron (ténor), Florent Martin (basse), Axelle Verner (alto), Edouard Monjanel (ténor).
Vespro © Léo-Paul Horlier- Photoheart

Vespro © Léo-Paul Horlier- Photoheart

On se laisse transporter par les voix, les vibrations de l’orchestre, les variations d’intensité, la scénographie qui joue avec les lumières des cierges, des boules à facettes disposées sur le plateau, miroitement baroque où se reflètent les modes anciens et les volutes infinies où s’architecturent les symboles d’un temps qui se refuse au linéaire mais revient sur lui-même sans jamais reformer l’immobilité d’un cercle fermé et l’ouvre à une irrésistible progression qui voit l’un de ses accomplissements dans le « trillo » qui répète une note sur une même syllabe (l’une des notes de la feuille de salle y est consacrée). 
Cette cérémonie lumineuse et mystique s’achève sur l’éblouissement du Magnificat. Quatre-cents ans ! Quelle modernité !

Vespro a été joué le 11 octobre 2025 au Grand Théâtre de Provence

Vespro © Léo-Paul Horlier- Photoheart

Vespro © Léo-Paul Horlier- Photoheart