Une lune punk qui s’accorde à la vie d’après, deux duos complices en notes et en poésie… Aurélien Pitavy, directeur de Charlie Free, sait concocter des programmes qui conjuguent virtuosité et lectures neuves du monde. Le 24 octobre dernier, se succédaient sur la petite scène du Moulin à Jazz le Duo Brady et le « tandem » formé par la chanteuse Claudia Solal et le claviériste Benjamin Moussay.
Violoncelles et androïdes
Sortant le violoncelle de son pupitre classique, Michèle Pierre et Paul Colomb, le Duo Brady, l’entraînent dans des univers nouveaux où l’instrument devient élément percussif, guitare, banjo, harpe, contrebasse de jazz… toutes les techniques sont convoquées pour moduler le son, l’étirer, l’assombrir, le rendre métallique, lui donner un phrasé semblable aux stridulations d’insectes stellaires, faire entendre la matière des cordes puis s’envoler en échappées lyriques en longs coups d’archet. Les deux musiciens nous font entrer dans le temps de l’émerveillement, musant entre dystopies et lendemains éblouis de nouvelles ententes.
Si le nom du groupe peut venir de l’adjectif grec « bradus » (βραδύς) signifiant « lent » et correspondre aux extases mélancoliques de ses évasions spatiales, il ne répond en rien aux pulsations rock voire techno qui emportent l’auditoire dans des transes joyeuses. La musique danse et le public aussi.
En fait, le nom du Duo Brady est emprunté au passage parisien dont monsieur Brady était  l’un des fondateurs. Ce passage, situé dans le 10ème arrondissement et construit en 1828, est imprégné des couleurs et senteurs de l’Inde, les deux musiciens s’y donnaient parfois rendez-vous : dans un tel contexte, il n’est guère étonnant que l’évasion vers les ailleurs et les découvertes en soit le thème…
Les titres sont annoncés comme autant de gourmandises, mis en scène dans des scénarii empruntés aux mythologies du futur.
Duo Brady © Zoé Cavaro
Ne manquent plus que le Capitaine Solo et Chewbacca dans ces rendez-vous où l’on danse avec des androïdes après avoir bu un verre sur Mars… à bord de la « fusée Merlin 2025 » ses commandants de bord « proposent de décoller pour la vie d’après et observer du hublot le ballet des planètes, de s’immerger dans des histoires sombres où notre monde déraille mais aussi de garder l’esprit de la fête ». L’invention est reine ici, d’une liberté sans limites. Les deux violoncellistes, complices malicieux, font circuler les phrases musicales, les rythmes, se livrent à tous les détournements du classique, du jazz, du rock, de la pop, du contemporain, improvisent, explorent, dessinent des paysages, des scènes aux multiples personnages… « Papillons et galaxies » déploient leurs couleurs et leurs ailes. Et c’est très beau.
Aux couleurs punks de la lune
En deuxième partie, Claudia Solal et Benjamin Moussay venaient présenter leur dernier CD, Punk Moon. (Lire ici). Les « rivages émotionnels » des diverses pièces de cet opus prennent en live un relief particulier. On prend davantage conscience des acrobaties techniques du claviériste sur son piano préparé, bardé de capacités électroniques. Les sons travaillés, modulés, transformés, offrent à la voix de la chanteuse un cocon subtilement irisé. Sur scène, Claudia Solal est complètement habitée par les sons, les phrasés. Le corps est un instrument vibrant, une respiration qui halète, s’envole, se brise, se nuance, se développe, se condense, se réduit à un fil, s’ouvre, ample, emprunte le ton de la confidence, naturelle, évidente. Voyage sensible dans lequel on se love avec délices.
Concert donné le 24 octobre 2025 au Moulin à Jazz, Vitrolles
Le concert a été proposé dans le cadre de Jazz Migration, dispositif d’accompagnement de musicien.ne.s émergent.e.s de jazz et musiques improvisées porté par AJC, avec le soutien du Ministère de la Culture, la Fondation BNP Paribas, la SACEM, l’ADAMI, la SPEDIDAM, le CNM, la SPPF, et l’Institut Français.
Album Duo Brady : La Vie d’après (Le Ponton des Arts, 2023)
Album Claudia Solal & Benjamin Moussay : Punk Moon (Jazzdor Series, 2025)
 
					