Comment avec « rien » faire du théâtre ? Le dramaturge et metteur en scène Tim Etchells nous donne par le biais de « L’Addition » à repenser cet art et lui accorde des profondeurs inattendues

Invité par Un Automne à l’Archevêché, le Bois de l’Aune cultivait en ouverture de l’évènement son goût sûr du théâtre contemporain et du paradoxe : la scène imposante habituée aux grandes représentations lyriques de l’été se voyait investie par le public installé face au mur de scène mythique de tant d’opéras devant un « plateau » délimité par ses spots lumineux et clos en fond de scène par le long rideau de velours rouge classique des lieux dédiés au théâtre. Mais il est situé d’ordinaire devant, et se lève pour dévoiler un spectacle… 

Les contrastes ainsi mis en espace ouvraient un champ propice aux pirouettes et surprises. L’entrée des deux performeurs, Bertrand Lesca et Nasi Voutsas (Bert & Nasi), pantalons noirs et chemises blanches mettait d’emblée le propos en doute en un prologue au cours duquel les acteurs se renvoient la balle en un duo solidement mis au point, depuis les hésitations, les paroles qui se coupent, les mots qui surenchérissent, les phrases qui se complètent, se précisent, se mettent en doute, se reprennent, se contredisent, s’approuvent enfin… Le sujet est ridiculement anodin : un client assis devant une table recouverte d’une nappe blanche (signe ou non de l’excellence de l’établissement ?) demande un verre de vin à un serveur, lequel lui fait d’abord goûter le breuvage, puis le sert, mais s’oublie et continue de verser alors que le contenant est plein, débordement qui amène affolement général et échange des rôles avant que la même scène ne recommence et ce ad libitum… à l’instar des Exercices de style de Queneau qui raconte 99 fois la même histoire de 99 façons différentes, la scène se répète avec d’infimes variations, des ruptures de ton, des accélérations, des cafouillages, jusqu’à un tournoiement délirant où l’on est projeté (pas tous évidemment) cinquante années plus tard dans la même spirale infernale.

TIM ETCHELLS<br />
L’ADDITION © Christophe Raynaud De Lage

Tim Etchells, L’ADDITION © Christophe Raynaud De Lage

TIM ETCHELLS L’ADDITION © Christophe Raynaud De Lage

Tim Etchells, L’addition © Christophe Raynaud De Lage

Le génial de cette pièce réside dans sa capacité à faire du théâtre sans l’ossature d’une trame narrative, à jongler avec l’absurde, les réitérations, les variations, les échos, et trouver sa colonne vertébrale dans ce ressassement qui tourne à vide et pourtant par ses écarts, sa puissance ludique qui s’emballe et conduit à une appréhension quasi tragique du monde, est empli d’une tension dramatique rare. Une grande leçon de théâtre !

Les 3 & 4 octobre au Théâtre de l’Archevêché, Aix-en-Provence