Le deuxième ouvrage consacré à l’art de l’aquarelle de Pétra Wauters, Regards croisés sur l’aquarelle aux éditions Ulisse s’inscrit dans la continuité de son livre Ma méthode d’aquarelle : jusqu’au bout du pinceau, paru en 2021 dans la même maison d’édition. L’approche de cet art à la longue histoire est conduite ici sur le mode des exemples, des rencontres et de l’analyse des œuvres. Dans ce nouvel opus, Pétra Wauters conjugue son expérience d’artiste, de professeur et de journaliste culturelle, nous faisant partager ses émerveillements mais aussi ses techniques.
L’artiste nous invite à la rencontre de six autres peintres qui déploient leur propre vision du monde par le prisme de sensibilités modelées par leurs pays et régions d’origine ou de choix, Inde, Argentine, Pérou, Bretagne, Grand-Est, Île-de-France…
Pétra Wauters ayant elle-même beaucoup voyagé retrouve dans l’itinéraire qui naît de ces rencontres une cartographie poétique propice aux imaginaires.
Aquarelle Catherine Rey/ Regards Croisés sur l’aquarelle / Pétra Wauters © Pétra Wauters
Chaque peintre devient alors objet d’étude, présentation d’un florilège d’œuvres assorties pour la plupart d’un commentaire critique, micro-interview retraçant les itinéraires artistiques, analyse précise de l’élaboration d’un tableau en un « pas à pas » éclairant. En fin de volume, l’autrice propose dans le chapitre intitulé « Réalisations » quelques leçons « pas à pas ».
Tout au long du volume se posent les questions des matériaux employés, supports de papiers plus ou moins « lourds », absorbants, dont les factures correspondent à diverses marques. Que choisir ? Le grain du papier, sa composition, cellulose ou coton, son format, tout entre en jeu. Il n’est pas de réponse définitive, c’est aussi le charme du propos de Pétra Wauters : elle n’impose rien, conseille, oriente, partage son expérience afin que chacun ait suffisamment d’éléments pour déterminer ses choix. Les sujets, la manière de les traiter, demanderont des outils et des supports différents. Est ainsi rendue tangible une réelle conscience d’artiste. L’art s’ancre dans la matière et cette jonction entre l’expression sensible et les moyens de sa réalisation est particulièrement touchante et intéressante.
Portrait par Helen Barenton / Regards croisés sur l’aquarelle © Pétra Wauters
Certes, Bobby Lapointe chantait « La peinture à l’hawaïle / C’est bien diffic’hawaïle / Mais c’est bien plus beau / Dalida la di a dadi / Que la peinture à l’eau ». Il n’avait sans doute pas suivi le cours de Pétra Wauters ! Si les tableaux à la peinture à l’huile sont moins fragiles à conserver que ceux peints « à l’eau », ces derniers sont d’une difficulté de réalisation qui n’a rien à envier à ceux élaborés par d’autres types de peinture !
Pétra Wauters insiste sur le caractère de surprise, voire d’inattendu qui peut résulter de telle ou telle application, de tel dosage de l’eau, de telle capacité d’absorption des papiers… au séchage les couleurs varient, peuvent perdre de leur éclat.
Catherine Rey, l’une des artistes présentés explique combien elle « a été séduite par la douceur, la légèreté et la transparence offertes par l’aquarelle, mais aussi par la force que l’on peut donner aux pigments, l’imprévisibilité et les surprises qu’elle suscite dans chaque œuvre. Rien n’est figé, tout est vivant dans l’aquarelle ».
Aquarelle Pétra Wauters / Regards croisés sur l’aquarelle © Pétra Wauters
Ses natures mortes offrent une incroyable palette de reflets et de détails, perles, montres dont les assemblages semblent conjurer le temps et le figent, pot de confiture entamé sur la table du petit déjeuner, seaux de peinture d’un « gros chantier », bobines de fil, boutons, fouillis émouvant d’un quotidien intimiste, lorsqu’une vieille deux-chevaux ou un tracteur ne deviennent des objets d’art au même titre qu’un bouquet de fleurs dans un vase ancien.
On part au Pérou aux côtés d’Oscar Cuardos qui suggère dans chaque tableau une histoire, regard d’une femme qui retourne à son village, marché aux pots sur une place lumineuse, rues endormies mais aussi peut être mis en scène un canari aux couleurs vibrantes. L’Inde s’invite grâce à la rencontre de Vikas Vinayak Patnekar, ses paysages verdoyants, ses paysans entre terre et mer, ses marchés colorés, ses envols d’oiseaux.
L’Argentine se trouve saisie par le regard d’Alejandro Fidelio qui nous conduit au bout du monde, au phare d’Ushuaia, au port de Mar del Plata, fait un long détour par Buenos Aires, évite tout folklore mais donne à voir avec la même poésie le quartier de la Boca ou les cataractes d’Iguazú. Les portraits de la « rémoise » Helen Barenton sont époustouflants de finesse (comment dire après eux que l’aquarelle est la technique du flou !!!).
L’artiste est aussi à l’aise dans ses « portraits » de ville ou d’animaux. Les émotions naissent de la délicatesse des traits, des équilibres des architectures, des transparences des fonds.
Pétra Wauters / Ma méthode d’aquarelle © Pétra Wauters
Enfin, le « croquineur » Jean-Paul Schifrine révèle des talents de funambule, réussissant à accorder un équilibre à des constructions les plus improbables, croise l’univers du Château ambulant de Miyazaki, fait entrer l’imaginaire dans le familier, dessine des univers propices aux contes, déploie les ailes d’un « vaisseaunirique », jouant des mots avec la même aisance qu’avec des pinceaux, rend compte de la fragilité des choses humaines que la nature berce de ses branches accueillantes. On parcourt l’ouvrage comme une galerie d’art, aux superbes clichés, on s’attarde sur un commentaire poétique, l’énumération complexe des étapes de création… Regards croisés sur l’aquarelle apparaît comme le prolongement logique du cours évoqué dans « Ma méthode d’aquarelle », approfondissant la connaissance de cet art par la pratique de l’exemple. Une invite à sauter le pas et à s’intéresser à l’histoire plus large de l’aquarelle.
Regards croisés sur l’aquarelle, Pétra Wauters, éditions Ulisse
D’eau et de lumière
Pétra Wauters nous livre avec son nouvel opus, Ma méthode d’aquarelle, Jusqu’au bout du pinceau, un ouvrage passionnant qui ne se contente pas de donner des indications aux amateurs, mais nous fait entrer dans sa démarche, sa lecture des choses et sa manière sensible de les aborder, d’en rendre compte avec une délicate intelligence.
Si le livre répond d’abord à une demande des élèves de l’artiste, il va plus loin que la simple leçon et constitue un art poétique où l’on se plaît à rêver, revenir, se laissant happer au détour d’une page par des couleurs, des alliances, des mouvements. Car il s’agit bien de créer le mouvement, retrouver l’instant où il prend vie sur le papier mouillé. Des directives ? Certes pas, des directions tout au plus sont indiquées à l’apprenti. Il n’est pas de technique imposée, « la meilleure est celle qui vous va » explique Pétra Wauters qui conseille, guide avec légèreté, montre, nous évite les erreurs, insiste sur la simplicité. Et vraiment, tout semble prendre un caractère d’évidence au fil des explications claires assorties de remarques humoristiques. On sent le regard chaleureux et empathique de l’aquarelliste sur les travaux débutants. Tout commence par les couleurs, « les couleurs de la vie », les trois primaires « indispensables », les « subsidiaires de ma palette » (oui, pas de trucage en vue, l’artiste nous livre ses ficelles, et pourtant la magie des résultats persiste), le choix des pinceaux, du papier… crayon HB, taille-crayon, gomme, règle, petite éponge, assiette en carton en guise de palette et c’est parti ! On apprend à lever le pinceau, éviter les excès, le blanc laisse les ombres animer le sujet, même « le noir offre à voir… du blanc ». On étudie reflets et lumières avec des billes (simple, n’est-ce pas !) puis l’on passe aux paysages, étape par étape. Les anecdotes fusent, les rencontres se nouent. L’aquarelle, comme une partition musicale, se joue en variations multiples. Des photographies précèdent parfois les œuvres, nous font percevoir la puissance évocatrice de cet art, qui mène à l’essentiel et laisse à l’imagination de chacun la capacité d’habiter les vibrations lumineuses des couleurs. Poésie pure des ciels d’Houlgate en fin de journée où murmure le pinceau d’un Turner, pétales aériens de coquelicots cueillis dans un champ impressionniste, hommage animé à la Sainte-Victoire de Cézanne… Observer, regarder mais, surtout, tout passe par le filtre de l’esprit : on ne reproduit pas, on pense un sujet. « Afin que le ciel reste le plus naturel possible, ne dessinez pas les nuages. Pensez-les, réservez-les dans votre tête »…
Catalogue autant que méthode, condensé de procédés (même la cire d’une bougie peut être utile !), Ma méthode d’aquarelle s’adresse à ceux qui pratiquent ou souhaitent se lancer dans l’aquarelle, mais aussi à tous, éveillant un nouveau regard, aiguisant notre perception de cet art qui conjugue si bien l’eau et la lumière.
(article paru en 2021 dans les pages web désormais inaccessibles du journal Zibeline)
Ma méthode d’aquarelle, Jusqu’au bout du pinceau
Pétra Wauters
Éditions Ulisse